OGM : vers une crise de confiance ?
Alors qu’une étude récente sur les OGM vient de réactiver la question de l’expertise, le philosophe Denis Grison et le biologiste Pierre-Henri Gouyon débattent des enjeux liés aux OGMs et en particulier du rôle des experts.
Dans la série « Le débat et vice-versa ».
Réalisation : Sylvie Allonneau
Production : Universcience
Année de production : 2012
Durée : 37min35
Accessibilité : sous-titres français
OGM : vers une crise de confiance ?
LE DÉBAT ET VICE-VERSA Un plateau, deux invités, seuls devant les caméras, pour une conversation qu'ils mèneront comme ils l'entendent. Le débat et vice-versa OGM : vers une crise de confiance ? On commence par vous. Qui êtes-vous ? Je suis Pierre-Henri Gouyon, je suis agronome et généticien de formation et je m'intéresse à l'évolution, à la théorie de l'évolution et à la biodiversité. Maintenant je suis professeur au Museum national d'histoire naturelle et les questions que je me pose, concernant aussi bien l'évolution que la biodiversité, ont des tas de rapport avec la société, et puis évidemment, il y a l'affaire des OGM là-dedans, et j'ai étudié les risques écologiques liés à la culture d'OGM. Ça m'a amené à avoir des ennuis d'une part et à constater que mes collègues scientifiques étaient souvent très, très partiaux sur ce sujet. Je trouve ce sujet, du coup, fascinant. Même question : qui êtes-vous ? Je suis Denis Grison, enseignant chercheur à l'université de Lorraine. J'enseigne à l'IUT de Nancy et je fais ma recherche au sein du laboratoire des archives Henri Poincaré. Cette recherche concerne la philosophie de l'action, et j'essaie de trouver quel type d'action est requise pour un véritable développement durable. Dans ce cadre, je travaille sur le principe de précaution et son bon usage, et la question des OGM bien sûr, est pour moi emblématique et je suis heureux de pouvoir en débattre aujourd'hui. Top chrono, vous avez maintenant 30 minutes pour converser. Mais avant le débat, petit préambule. OGM, vers une crise de confiance. Moi je crois qu'on y est depuis longtemps dans la crise de confiance. On n'est pas en train d'y aller. Ça a commencé déjà avec la vache folle. Les OGM se sont rajoutés par-dessus, il y en a eu d'autres. Et puis aujourd'hui alors, ce qui est remarquable c'est qu'une étude réalisée par un chercheur, Gilles-Éric Séralini a donné des résultats qui semblent... Gilles-Éric Séralini Professeur de biologie moléculaire montrer que toutes les expertises qu'on fait pour le moment ça vaut rien. Et je trouve que – moi j'espère au contraire que ça va renouer un petit peu les choses et qu'on va enfin en arriver à mettre en place des vrais systèmes de contrôle. C'est vrai qu'on est là au cœur de l'actualité donc on en parle beaucoup aujourd'hui. Donc la crise de confiance comme vous dites elle est bien établie maintenant, depuis de nombreuses années. Quant à moi je souhaite que ce soit vraiment l'occasion d'une prise de conscience. Donc crise de confiance, prise de conscience, que la première entraîne la seconde. Prise de conscience de ce que quelque chose dans notre mode de développement avec la puissance technologique énorme (en particulier on le voit avec les OGM) et le pouvoir que ça confère à l'homme implique une nouvelle responsabilité, une nouvelle philosophie de l'action, une nouvelle vision du progrès dans laquelle les citoyens se trouvent beaucoup plus associés. Et c'est toutes ces pistes que j'aimerais que nous puissions échanger durant cette conversation. Science ou agit-prop politique ? Alors science ou agit-prop politique ? Bon. Gilles-Éric Séralini publie un article dans une revue scientifique incontestée. Et cet article scientifique va être repris dans un journal, le Nouvel Observateur, pour ne pas le citer, qui dit, les OGM sont des poisons. Et puis le Nouvel Obs a l'exclusivité de l'info. Alors ça c'est pas tout à fait dans l'éthique du journalisme et du coup tout le monde crie aux écorchés et on voit tout d'un coup une immense réaction contre le travail de Séralini. Moi je trouve ça fascinant. Je trouve ça fascinant à plusieurs titres. Alors pourquoi Séralini a-t-il fait ça ? Ça fait des années que dans le cadre du CRIIGEN (Centre de Recherches Indépendant sur le Génie Génétique) CRIIGEN : Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique Il y a une demande que les expertises soient mieux faites sur les risques liés aux OGM et aux pesticides qui vont avec. Depuis quinze ans que c'est demandé, rien n'avance et donc Gilles-Éric Séralini se débrouille pour avoir l'argent pour faire les manips, à partir de fonds privés. Et il obtient des résultats qui semblent montrer que ces OGM sont – cet OGM-là est effectivement dangereux pour la santé, au moins chez les rats. Alors bon, il aurait pu se contenter de publier son article et puis c'est tout, donner quelques interviews. Il a pas fait ça. Il a effectivement préparé un coup médiatique avec un magazine, avec un film d'ailleurs qui va sortir, avec un livre qui va avec. Pourquoi ? C'est la réponse au silence assourdissant des médias et des pouvoirs politiques à ces questions. Si depuis quinze ans on fait remarquer que les tests qui sont faits sont pas bons et que du coup il faudrait les faire autrement et qu'il y a aucun écho, c'est un peu compréhensible que le chercheur qui en a assez finisse par dire, je vais faire un coup médiatique, ils vont bien être obligés de me répondre. Ce qui est peut-être intéressant aussi c'est d'essayer de voir justement quel est le statut scientifique de la recherche de Séralini et aussi tout cet environnement qu'il y a autour. Parce que ce qui est beaucoup à mon avis en question ici c'est l'image et le statut de la science. On a vécu longtemps avec une image de la science, c'était le scientisme au XIXe siècle, comme quoi la science était la vérité absolue, c'était le progrès assuré et c'était la boussole qui devait guider la société. Alors aujourd'hui, et le XXe siècle a montré à l'envi que cette image un petit peu idéale même très idéalisée ne fonctionnait pas et nous font nous réinterroger sur ce qu'est la vérité scientifique. Alors c'est vrai mais dans le cas présent ce qui est intéressant c'est que au fond, il y a des tests officiels qui servent à accréditer les OGM. Ce qui est remarquable c'est qu'il y a quasiment aucune obligation sur ces tests, ils sont faits par les entreprises qui commercialisent les OGM elles-mêmes, sans contrôle très fort et sans publication des résultats. C'est-à-dire que ça reste secret. Ce qui fait qu'il y a quasiment pas moyen de faire une contre-expertise. Alors là où il y a un aspect scientifique qui est intéressant, c'est que quand on fait un test, ça c'est un peu compliqué parce qu'on fait des statistiques. Et les statistiques ça consiste à choisir une hypothèse et à voir si on peut la rejeter. Or, il y a deux risques dans un test. Un des deux risques c'est d'accepter l'hypothèse alors qu'elle est fausse et l'autre c'est de la rejeter alors qu'elle est vraie. Dans le cas présent, la question c'est : est-ce que les OGM sont dangereux ou pas pour la santé ? Et l'hypothèse qu'on va choisir pour la rejeter ou pas c'est l'hypothèse : les OGM sont pas dangereux, parce que c'est la plus simple à travailler. Pour des raisons techniques on est obligé de choisir celle-là. Les tests habituels tels qu'ils sont faits, sont faits de telle façon qu'il est quasiment impossible de prouver que ces OGM sont dangereux. Et ce que Séralini a fait c'est juste de rallonger le temps. Il a gardé les mêmes souches de rats, il a gardé des effectifs comparables à ceux des tests mais il a simplement rallongé le temps. Et ça, ça augmente beaucoup la probabilité de voir un problème. Du coup la probabilité de ne pas voir un problème devient plus faible. Mais la probabilité de voir un problème qui existait en fait pas, devient plus forte. Ça c'est le problème de la balance entre les deux. Je pense qu'on ne peut pas non plus négliger tout à fait les critiques qui sont faites aujourd'hui à la fois par le conseil des biotechnologies, par l'Anses, par l'agence européenne... Anses Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail sur la qualité scientifique du travail de Séralini. Moi je voudrais d'abord appuyer cette recherche, parce que donc j'étais en train de dire qu'est-ce qui aujourd'hui sert un petit peu de boussole à la qualité scientifique attribuée à un travail ? Eh bien c'est beaucoup le fait que la proposition, le travail soit soumis aux pairs, à la critiques des pairs et publié dans des revues scientifiques reconnues. Or, c'est bien cela qui était acquis par Séralini, c'est donc une première étape qui montre la qualité scientifique. Mais maintenant, la science, comme je le disais, c'est pas blanc, noir. Claude Bernard, déjà, disait... Claude Bernard (1813-1878) Médecin et physiologiste français, fondateur de la médecine expérimentale Les vérités scientifiques sont des vérités partielles et provisoires. Donc on est dans un domaine où les vérités sont amenées à être transformées par la critique et par la discussion. Et il est hors de question bien sûr de penser que les essais de Séralini tranchent définitivement ce débat. Il y a aucun doute là-dessus. Là où pour moi son travail tranche le débat c'est sur la question de la validité des tests. C'est-à-dire qu'actuellement personnellement je n'ai aucune idée de savoir si cet OGM-là en tout cas est dangereux, et en fait j'en ai aucune idée pour les autres non plus parce que ce que Séralini démontre, de façon relativement indéniable, c'est que les tests tels qu'ils sont faits actuellement sont pas suffisants pour trancher. Et c'est ça que je trouve fascinant, c'est de voir toute la communauté scientifique qui se mobilise pour trouver des erreurs dans le protocole de Séralini alors que cette même communauté scientifique depuis quinze ans laisse accepter les OGM sur exactement le même protocole en moins bien. C'est là qu'on voit qu'il y a un aspect idéologique. Maintenant je trouve très malsain la manière dont la presse a relayé, et le titre du Nouvel Observateur « Les OGM sont des poisons » me semble limite un peu scandaleux. Il y a là une espèce de spirale qui fait que nous nous éloignons des conditions d'un bon débat. Le problème c'est que je pense que les conditions d'un bon débat elles étaient déjà plus là depuis longtemps. Parce que ça fait des années que toute une série de scientifiques disent et redisent et écrivent qu'il n'y a pas de risque avec les OGM. Or ils n'ont pas plus de preuves que le Nouvel Obs. Et donc on est dans un mensonge si vous voulez généralisé où on nous dit que les OGM font pas de risque, que ça va nourrir la planète, que etc. etc. Comme tout ça est faux... Faux, c'est-à-dire que qu'il y ait des risques ou pas on le sait pas étant donné les tests qui sont faits. Et que ça nourrisse la planète ça on sait que c'est pas vrai. Donc on est quand même dans une situation où il y a une somme de mensonges du côté des fournisseurs d'OGM qui est tellement grande, qui est tellement reprise par la communauté scientifique, parce que ça l'arrange pour diverses raisons, et en particulier d'ailleurs parce que c'est l'histoire du progrès qui est en cause. Du coup je crois pas que les conditions d'un bon débat puissent être réunies pour le moment. Ce qu'il faut c'est un clash. J'espère que tout ça fera un clash, et j'espère que tout ça, comme vous le disiez tout à l'heure, amènera à repenser un tout petit peu notre vision du progrès. Le malheur c'est que la communauté scientifique n'y est pas prête. Et moi je trouve que la manière dont on a accepté que des tests à 3 mois qui étaient ceux proposés par Monsanto servent de règle pour évaluer la toxicité des OGM est quelque chose d'incroyable. Quand on pense à l'effet massif de l'introduction des OGM, à tous les intérêts financiers qu'il y a derrière aujourd'hui (il y a les ¾ du soja, presque bientôt 40 % du maïs qui sont devenus OGM) et qu'on n'ait pas réussi à consacrer de l'argent pour faire des tests non pas sur 3 mois mais sur la vie entière de rat, c'est-à-dire sur 2 ans, c'est pas quelque chose d'excessif non plus, me paraît proprement hallucinant. Oui, tout à fait d'accord et ce qui est... Alors premièrement... Pas tout à fait d'accord d'ailleurs parce que je pense qu'il faut non seulement travailler sur la durée de vie entière des rats mais aller au moins jusqu'à la génération d'après. On sait qu'un certain nombre de produits sont des perturbateurs endocriniens qui n'ont pas d'effets très visibles sur la première génération mais qui ont des effets visibles sur la génération d'après. Donc évidemment il faut aller jusqu'à la deuxième génération. Ce qui est remarquable d'ailleurs c'est qu'on nous a dit mais ça fait des années qu'on fait l'expérience aux USA, puisque les gens mangent des OGM depuis belle lurette. Oui, mais effectivement il y a toute une série de maladies qui augmentent aux USA, on est bien incapable de dire si certaines d'entre elles sont liées à la consommation d'OGM ou pas. Donc actuellement on ne sait presque rien et effectivement on est bien dans ce problème du fait que la communauté scientifique croit au progrès. Croit comme... C'est une foi. Je me souviens, j'étais moi présent aux premiers débats sur ces questions où on demandait à ce que les tests soient plus longs et on nous a répondu « c'est trop cher. » « Un OGM donné ça rapporte pas assez. » Parce qu'on change de variété de plante assez souvent. Et du coup eh bien on pourra pas faire les tests, ça nous coûtera trop cher, on pourra pas le faire. Et on leur a répondu ah bon, ben si c'est trop cher pour vous, ne le faites pas. Voilà, et tant pis, on acceptera sans. L'argument financier est inacceptable ici. En travaillant sur ce dossier, je me suis rendu compte que la vraie raison pour laquelle les entreprises développent des OGM, c'est pas tellement parce que ils vont arriver à vendre une variété ou une autre un peu plus. Ça serait pas assez pour justifier un tel investissement de la part de géants de la chimie comme Monsanto. Monsanto : Entreprise américaine spécialisée dans les biotechnologies vététales En fait, la vraie raison elle est certainement liée au fait que les OGM contiennent des gènes brevetés et que ces gènes brevetés assurent une possession à l'entreprise qui les a mises dans la plante, non seulement des plantes dans lesquelles elle a introduit ce gène, mais aussi des plantes qui seront contaminées par le pollen de ces plantes transgéniques. Il y a une histoire que je trouve personnellement hallucinante c'est un fermier canadien qui resemait ses colzas tous les ans. Les colzas d'à côté étaient des colza Monsanto, et les pollens des colzas d'à côté sont venus rentrer leurs gènes dans les colzas de ce monsieur qui s'appelle Percy Schmeiser. Monsanto a prouvé que leur gène breveté se trouvait dans les colzas de monsieur Percy Schmeiser et a obtenu qu'il n'ait plus le droit de semer ses semences. Donc en fait, l'idée fondamentale des OGM est liée au brevet et est liée au fait que si jamais vous mettez un gène breveté dans une plante eh bien, à terme, toute l'espèce sera à vous. Et là, effectivement, on est dans des intérêts économiques monstrueux puisqu'il s'agit de la possession de toute la nourriture de la planète en gros. Donc des intérêts énormes et qui engagent des passions également démesurées. Tout l'enjeu pour nous aujourd'hui c'est d'arriver à refroidir ces passions et à recréer des conditions d'un débat, je dis pas d'un débat dépassionné mais sur des arguments raisonnables. Parce que il y a de bonnes raisons de part et d'autre. Moi je ne suis pas du tout quelqu'un qui expédie les OGM en enfer, avec une vision religieuse en disant « les OGM, jamais ». Les OGM sont peut-être à certains égards une solution. Encore faut-il pouvoir en discuter de façon raisonnable et échapper à ce rapport de force qui fait que chacun se braque et finalement extrêmise ses propres propositions de peur d'être renversé par l'adversaire. Effectivement, vu la quantité d'argent en jeu, les scientifiques deviennent complètement obsessionnels par rapport à ça. Je me souviens d'une conversation que j'ai eue avec un collègue que je respecte parfaitement par ailleurs, un très bon scientifique. J'étais allé à un colloque et j'avais montré pourquoi ces OGM sont dangereux pour la diversité des semences et donc pour la nourriture de l'humanité. Et à la fin il vient me voir en disant « J'en ai marre de vous qui dites du mal des OGM. À cause de vous on a de moins en moins de bourses de thèses pour nos étudiants. » Et je lui dis, « Tu vas quand même pas foutre toute l'agriculture mondiale en l'air juste pour avoir plus de thèses pour tes étudiants ! » Et il me répond : « L'agriculture mondiale je m'en fous. » Et ça, je trouve que c'est très intéressant parce que (évidemment quelque part il s'en fout pas ; si j'avais commencé à discuter avec lui du fait que il y a des tas de gens qui meurent de faim, il m'aurait pas dit qu'il s'en fichait). Mais sur le coup, quand il s'agit de réfléchir aux questions comme ça, eh bien l'idée que l'on puisse, au nom de quoi que ce soit, y compris l'alimentation mondiale, freiner la science, eh bien est insupportable à la plupart des scientifiques. Et ça, cette vision d'un progrès qu'il ne faut freiner en aucune manière, c'est cette vision religieuse que je rencontre souvent et qui me pose des vrais problèmes. Des experts remis en cause Il s'agit pas du tout de jeter la pierre aux experts mais nous vivons constamment sous le régime de l'incertitude. Nous sommes dans le gris et le problème c'est que l'expert est amené à décider, l'expert c'est quelqu'un qui mobilise la connaissance scientifique mais pour une décision. Donc on est dans une situation assez particulière et qui effectivement est délicate. Et dans le gris, il faut qu'il donne, à partir des connaissances scientifiques, une opinion. Et c'est là où on voit que un expert qui a des intérêts financiers, qui n'est pas indépendant, dans le gris, il est fort tenté de ne pas indiquer que le gris lui semble un peu sombre et de voir un peu clair, de dire, non, on peut continuer. Beaucoup d'experts ont des intérêts financiers, au moins indirects. C'est-à-dire qu'il y en a qui vont carrément toucher de l'argent si ça marche bien. C'est le cas de beaucoup d'experts qui se sont déclarés dans l'affaire des OGM par exemple, puisque beaucoup sont liés à des boîtes de biotechnologie ou au moins ont des laboratoires qui sont alimentés sur le plan financier par les boîtes de biotech. Donc on a déjà un premier problème, c'est qu'il y a beaucoup d'experts qui sont dans un problème de conflit d'intérêt et qui ont quelque chose à gagner à ce que la réponse soit que les OGM sont commercialisés. Mais il y avait pas que ça. Il y a justement cette foi dans le progrès qui fait que pour beaucoup de scientifiques, admettre qu'il y a un problème serait jeter du doute sur la science et du coup qui vont préférer qu'on cache ce genre de choses. Donc il y a cette vision absolument folle je trouve actuellement, de la communauté scientifique. Et donc l'intérêt global de la communauté scientifique ce serait qu'on dise pas de mal de la science. Je pense que aujourd'hui, cette communauté commet une grave faute. Faute vis-à-vis d'elle, vis-à-vis même d'elle-même parce que contrairement à ce qu'ils pensent, le fait de nier tout problème est en train de faire perdre confiance aux gens. Si ce dont ils ont peur c'est que les gens perdent confiance en la science alors ils font exactement le contraire de ce qu'ils devraient faire. Je pense que l'ébauche de solution c'est d'essayer de voir comment fonctionne l'institution aujourd'hui et quelle réforme il faudrait lui apporter. Merci, je suis très content d'entendre ça. J'appartiens à la Fondation Nicolas Hulot et ça fait un moment qu'on demande une réforme de l'académie des sciences pour que ça change. Je pense aussi que ça se passe dans le fonctionnement, je dirais, des carrières scientifiques. Parce que, vous direz, vous êtes peut-être plus à même de le juger que moi, j'ai cru comprendre que la manière dont fonctionnait par exemple l'expertise des grandes agences nationales, l'ex-Afssaps devenue ANSM par exemple. ANSM (anciennement Afssaps) : Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé Il y a de nombreux experts qui travaillent. Souvent ces experts sont de jeunes scientifiques qui ont une carrière à faire. Et quand ils ont des décisions je dirais assez lourdes à prendre, qui peuvent être d'interdiction ou de demande de moratoire sur des produits et que là où va l'intérêt, enfin on va à l'encontre de l'intérêt économique ; on fait aussi appel à des experts extérieurs qui sont des sommités ou des gens très reconnus, mais qui sont aussi des gens qui dans leur carrière ont été sollicités par les grandes entreprises pour travailler avec eux, donc qui ont perdu cette indépendance qu'ils seraient censés avoir pour pouvoir s'exprimer librement. Je m'imagine que les jeunes scientifiques n'ont pas forcément, s'ils ont des doutes, envie de se griller entre guillemets, en disant voilà il faudrait regarder ça, sachant que la future personne qui va décider de leur carrière est en train de les regarder et de se dire, celui-là, s'il parle trop fort on va l'empêcher de bien progresser. Ça montre que le fonctionnement d'institution est quelque chose qui peut être profondément pervers. Donc il faut absolument arriver à avoir une réforme dans laquelle l'expert ait un véritable statut reconnu. Un expert qui puisse être indépendant sans forcément être misérable. Il faut également réinstaller dans la société une dimension éthique et morale. On ne peut pas faire une carrière scientifique si on se met assis sur l'éthique ou sur la morale. Actuellement il y a un énorme travail à faire. Moi, justement, l'affaire Séralini c'est un marqueur extraordinaire de ça. Quand on voit toutes les instances qui tout d'un coup se mobilisent pour dire du mal de lui, on se rend compte à quel point le système est miné. Alors on le savait pour ce qui concerne les instances européennes. Il y a vraiment partie liée complète entre les instances d'évaluation européenne et les entreprises. Bon. Pour ce qui concerne les instances françaises, c'est un peu plus compliqué. L'ancienne commission de génie biomoléculaire a été extrêmement mal constituée avec énormément de gens qui avaient un intérêt direct dans le système. Le haut conseil des biotechnologies a été créé avec un peu plus de précaution, n'empêche que ça a été très drôle. Il y a deux cercles dans ce conseil. Il y a un cercle de scientifiques, durs, disons, et puis autour les sciences humaines qui vont regarder ce que font les scientifiques durs et regarder comment ça s'interroge par rapport à la société. C'est intéressant comme mécanisme. Mais quand on a nommé les scientifiques durs ça a été très intéressant. Moi je m'étais amusé à me présenter pour voir ce que ça donnerait, ça a pas raté. Les pro-OGM du ministère de l'agriculture et du ministère de la santé qui étaient concernés ont tout de suite dit pas question que Gouyon soit mis dans ce conseil, il n'est pas indépendant parce qu'il appartient au conseil scientifique du CRIIGEN. CRIIGEN, je vous le rappel, ça veut dire Comité de recherche indépendant sur le génie génétique. Bon. Donc le fait d'appartenir au CRIIGEN était une preuve de non indépendance. J'ai attendu que tout le monde soit nommé, j'ai pris les noms des gens nommés et j'ai trouvé qu'au moins 6 personnes dans le conseil des biotechnologies avaient des brevets avec des boîtes privées. Donc on est dans une situation où l'indépendance des experts est d'abord difficile à réaliser parce qu'il y a quand même beaucoup de monde, il y a pas beaucoup de gens qui seraient vraiment indépendants, et deuxièmement, et du coup c'est encore pire je dirais, parce qu'on est actuellement dans cette situation où quand même des gens sont proclamés experts mais en étant absolument pas indépendants et en mentant sur ce sujet. Pour ça je pense qu'il faut donc d'une part effectivement un statut de l'expert qui permette qu'on puisse faire carrière en étant expert et deuxièmement ensuite, effectivement, et pour ça le cas du haut conseil sur la biotechnologie est intéressant, essayer de trouver une nouvelle forme de l'expertise. Alors il faut déjà absolument casser l'entre-soi des scientifiques. L'ancienne expertise c'est l'entre-soi des spécialistes. Et ça, forcément, ça conduit à des dérives et à des aveuglements. Et puis je pense que dans les discussions des scientifiques entre eux, il est indispensable de faire déjà apparaître des regards différents : à la fois de pluridisciplinarité. Je pense qu'il faut aussi introduire à ce niveau-là des sciences humaines et sociales, des gens qui ont une vision sociologique des choses et par exemple qui peuvent expliquer aux scientifiques purs et durs qu'entre le risque théorique sur lequel ils raisonnent dans leurs laboratoires et le risque réel qui est le risque que rencontre cet objet technologique sur lequel ils sont amenés à donner un avis, une fois qu'il est plongé dans la société et dans le monde économique, eh bien il y a une grosse différence. On peut penser qu'effectivement il serait possible peut-être de contingenter des OGM et d'éviter une dissémination quand on est dans un laboratoire. Mais quand on regarde les conditions réelles d'exploitation et qu'on voit que par exemple, pour amener les semences dans les champs on va prendre des camions qui vont être les mêmes, qui seront pas bien nettoyés, que, c'est très compliqué de mettre en place deux logistiques complètement séparées et que le risque réel de contamination qui était éliminé par les scientifiques, dans la réalité, sera partout présent. Eh bien ça serait un progrès énorme que déjà au niveau de la constitution, je dirais, du savoir scientifique, il y ait cette ouverture vers un regard multiple, pluridisciplinaire, contradictoire et transparent. Parce que bien entendu, tout cela il faudra en rendre compte à la société civile. Il y a un autre point qui me semblerait important par rapport à ce que vous dites, c'est justement la protection des lanceurs d'alerte puisqu'à l'heure actuelle, comme on le disait tout à l'heure, un jeune qui peut avoir une position un peu forte risque d'avoir des ennuis etc. et pas seulement un jeune. On a des chercheurs qui parce qu'ils ont pris des positions courageuses sont punis par leur administration, par leur organisme de recherche. D'où la nécessité d'une réforme institutionnelle qui fasse une place effectivement aux lanceurs d'alerte et en les protégeant. Sincèrement, je pense que la communauté scientifique aura tout à gagner à ce que ces lanceurs d'alerte soient protégés, à les respecter. Je ne sais pas si vous serez d'accord sur le fait que l'expérience de Séralini, pourrait être conçue comme un travail de lanceur d'alerte. Absolument. Alors là maintenant pour moi la question qui se pose c'est celle de savoir qu'est-ce qu'on fait de cette alerte. Et c'est là que vient peut-être se greffer le fameux principe de précaution qui est : qu'est-ce qu'on fait par rapport à cette alerte du principe de précaution ? Moi je considère que cette alerte justifie de déclencher le principe de précaution mais que contrairement à ce que beaucoup disent qui associe principe de précaution à interdiction moratoire, dire qu'on déclenche le principe de précaution c'est dire qu'on déclenche une procédure délibératoire qui ne débouchera pas nécessairement sur l'interdiction, par exemple, là, ici, du maïs en question. Ça reste ouvert. Le (dé)goût du risque Le dégoût du risque, le dégoût du risque, est-ce qu'il y a le dégoût du risque ? C'est vrai que les humains ont certainement, par leurs sciences et leurs technologies, tenté de réduire les incertitudes et malheureusement, d'une certaine façon, en espérant les réduire, on peut dire que, comme vous le disiez tout à l'heure qu'ils les ont augmenté parce qu'on voit mieux tout ce qui peut arriver, en terme de changements climatiques, etc. Non pas qu'il y ait pas eu de changements climatiques avant. Au fond, il y a déjà eu une petite ère glaciaire sous Louis XIV, etc. Mais parce que maintenant on est capable de prédire, et prédire, c'est pas annuler les risques. Évidemment le risque zéro n'existe pas, tout le monde le sait. Donc quand un scientifique vient dire quelque chose d'aussi évidemment faux que « il y a pas de risque », on sait qu'il ment, alors là on perd confiance. Et donc le problème de l'acceptation du risque devient beaucoup plus difficile en face de quelqu'un dont on sait qu'il ment. Donc ça c'est un premier point. Le deuxièmement point c'est que les scientifiques eux-mêmes, quand ils disaient qu'il y avait pas de risque, je leur disais après, mais enfin quand même, tu dis ça, c'est pas possible. Et ils me répondaient, oui bien sûr, il y a des petits risques, il y a pas de risque zéro, mais si on le dit aux gens ils vont avoir peur. Alors moi je me suis amusé dans des conférences que je faisais sur les OGM à dire aux gens, voilà, vous donnez de l'argent pour le Téléthon, eh bien le Téléthon ça consiste à fabriquer des OGM. Puisque la thérapie génique, qui est le premier objectif du Téléthon, ça serait les OGM. Et je leur dis, vous savez, dans la production des OGM qui peuvent permettre de soigner les enfants malades, il y en a certains qui pourraient être dangereux. Et les gens m'ont tout de suite dit, dans les conférences grand public, oui mais si c'est pour sauver des enfants malades, on est d'accord pour prendre des risques. Donc ça c'est le point vraiment intéressant. C'est qu'évidemment que les gens sont prêts à prendre des risques. Tout le monde sait qu'il faut prendre des risques. La question c'est pourquoi je prends un risque ? Prendre un risque pour sauver des enfants malades, beaucoup de gens seront d'accord. Peut-être d'ailleurs qu'ils seront prêts à en prendre trop, j'en sais rien mais ça reste possible. Quand il s'agit de prendre un risque pour faire que Monsanto se remplisse les poches et que les gros agriculteurs deviennent encore plus gros et les petits agriculteurs encore plus petits, personne ne voit l'intérêt de prendre un risque pour sa santé pour ça. Donc le risque, je pense qu'il est toujours accepté, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens mais il faut mettre un bénéfice en face et pas un bénéfice pour l'autre. Toute la science s'est construite au XIXe siècle sur la promesse de pouvoir éradiquer les risques. C'était la grande idée que la science allait permettre, en étudiant les mécanismes des productions des risques d'intervenir en amont, et par la prévention, de les supprimer. Et encore à la fin du XXe siècle, il y a pas si longtemps, et vous évoquiez le Téléthon, il y a donc un biologiste français, monsieur Cohen qui a écrit un livre qui s'appelle Les Gènes de l'espoir Daniel Cohen Généticien français qui laissait miroiter le fait que maintenant qu'on allait pouvoir connaître les génomes humains, on allait avoir accès à l'alphabet, donc tout ce qui déterminait l'existence de l'homme et pouvoir réparer, pouvoir anticiper pouvoir améliorer, et que donc il y avait une espèce d'ère absolument merveilleuse qui était annoncée, sans risque et même avec encore beaucoup de bénéfices. Alors bien entendu, ceci est un vaste mensonge et d'ailleurs on se rend compte aujourd'hui que le gène de l'espoir avance peu vite, parce qu'en fait la mécanique humaine est infiniment plus complexe que l'image très naïve qu'on s'en est faite à ce moment-là. Donc il faut revoir le rapport aux risques parce que le risque ne sera jamais éradiqué. Donc la question c'est pas celle du risque zéro mais c'est celle du juste risque. Et pour cela, il faut bien voir que le risque a une dimension qualitative. Ce qui a dominé très longtemps, en particulier avec cette approche scientiste c'était une vision quantitative du risque. Le risque, disent les Cyndiniciens, Cyndinicien : Métier consistant à analyser et résoudre les problèmes liés à l'environnement et à l'amélioration du cadre de vie c'est le produit de la gravité d'un danger par sa probité d'occurrence. Et à cet égard, le risque des centrales nucléaires est égal aux risques des piqûres de guêpes. Puisque centrale nucléaire très gros danger et faible probabilité de survenue, l'abeille, ou la guêpe, petit danger mais très souvent. Donc pour des scientistes, c'est irrationnel de s'inquiéter des centrales nucléaires et pas des piqûres de guêpes. Ça c'est une vision quantitative du risque. En réalité le risque il est qualitatif aussi, il faut le prendre en compte. Un risque peut être catastrophiste ou pas. La centrale nucléaire, visiblement on est du côté du catastrophisme, les piqûres de guêpes, non. Un risque, et là je rejoins ce que vous disiez, peut être juste ou injuste. Un risque pris pour soigner des enfants n'a rien à voir avec un risque pris pour engraisser une société qui va faire du bénéfice en le faisant courir à d'autres que lui-même. Donc cette prise en compte de cette dimension qualitative du risque, aujourd'hui a été théorisée sous le nom de théorie sociale du risque et il me semble que très souvent, des débats sur le risque qui s'enferrent pourraient être utilement défaits si vous voulez ou illuminés, éclairés par cette prise en compte des dimensions sociales du risque. Mais on n'échappera pas aux risques bien entendu. Oui, et on n'échappera pas non plus au fait que l'intérêt des entreprises, comme on dit souvent, c'est d'externaliser les risques en internalisant les bénéfices. Donc le problème c'est que laisser le libre champ aux entreprises pour jouer dans ce jeu-là c'est évident que ça va constamment arriver au fait de faire subir à des gens des risques sans qu'ils aient eux-mêmes les bénéfices, et l'entreprise au contraire aura les bénéfices et pas les risques. On l'a bien vu dans l'affaire des biotechnologies, c'est bien ce qui s'est passé. Dès le début, les compagnies de réassurance ont dit qu'elles refuseraient toute assurance concernant les OGM. Donc les compagnies d'assurance ont refusé d'assurer. Qu'est-ce qui se passe actuellement ? Si jamais il y a un problème grave avec un OGM qui est-ce qui pourrait être condamné ? Les entreprises ont réussi à faire marquer dans la loi que ça serait pas elles. Donc ça serait à la rigueur les agriculteurs qui auront bêtement cultivé ces OGM ou alors comme d'habitude ça sera l'état, c'est-à-dire ça sera l'ensemble des citoyens qui paiera pour un risque qui a été pris par des entreprises qui sont très officiellement déchargées de toute responsabilité concernant les risques. Évidemment l'ennui c'est que si on veut que ça soit autrement, il faudrait arriver à mettre en place une réglementation. Or, actuellement les réglementations sont vues comme des freins au libre échange etc, etc. à la liberté, au libéralisme. Et dans cette époque de néolibéralisme échevelé, les réglementations sont difficiles à faire passer. Maintenant la question c'est de savoir quelle est la place que la science doit avoir dans le débat autour de toutes ces questions sociétales. Je pense que cette place elle doit être très importante et que si on reprend les questions de l'expertise, que l'expertise scientifique, tout en étant relativisée quant à ses portées doit être mise dans le débat et pas contestée en disant c'est encore un regard de scientifique, c'est encore des intérêts économiques qui veulent s'imposer à travers cela et donc nous pouvons, nous citoyens savoir quel est notre bien sans avoir à nous éclairer de cette information. Je crois qu'il faut apprendre aussi à aimer la science. Moi j'adore la science et j'en fais depuis tout jeune et je continue et ça me plaît beaucoup. Simplement le problème que j'ai par rapport à ce qui se passe à l'heure actuelle c'est que c'est très difficile d'interroger la science justement. Parce que la science elle existe pas en dehors des scientifiques, et les scientifiques c'est des humains. Et les humains en question ils ont tous les problèmes dont on a parlé tout à l'heure et je pense que là il y aurait une très grosse réflexion à avoir. Je vous parlais de réforme de l'académie des sciences par exemple, pour essayer d'y faire entrer des domaines comme l'évolution, la génétique des populations qui sont 100 % absents actuellement par exemple, qui sont très importants pour les débats dont on parle, et puis d'y faire entrer les sciences humaines. Il faut bien voir que moi j'ai connu la biologie des années 70 à maintenant, et qu'est-ce que j'ai constaté ? Eh bien, une démarche de plus en plus réductionniste, où de plus en plus les gens cherchaient dans le génome la réponse à toutes les questions qui se passent depuis la compréhension de la santé d'un humain, jusqu'à celle des écosystèmes. Or, pourquoi ça ? Parce que le génome c'est technologique, ça fait bien, ça peut rapporter, ça peut se breveter, etc. Il y a des démarches plus écologiques, plus intégrées, plus holistes comme on dit, qui est pour s'opposer au réductionnisme. Ces démarches-là sont beaucoup moins rentables sur le plan financier. Le résultat c'est que les entreprises ont lourdement financé des recherches réductionnistes. Ces laboratoires ayant de gros financements ont eu des résultats plus importants et ont publié beaucoup, ont décidé en fait de ce qui devenait important, on a recruté dans ces domaines-là et du coup la communauté scientifique a une espèce d'hypertrophie réductionniste absolument faramineuse. Parmi les biologistes qui travaillent pas du tout avec de l'ADN, ça doit être, je sais pas moi, pas plus de 5 %. Donc il y a un déséquilibre extraordinaire et qui est lié à toute la dynamique du fait que quand on a laissé les entreprises influencer, on les a laisser doublement influencer ce qui se passait dans les labos. D'une part en finançant et d'autre part, en obtenant que l'état envoie des signaux vers la communauté pour développer ce qui intéressait les entreprises. Au nom de la compétitivité, droite comme gauche ont fait ça dans les gouvernements français. Donc le résultat c'est que la communauté scientifique est terriblement biaisée. Si je veux interroger la science sur les questions liées aux OGM, eh bien je me retrouve devant une difficulté qui est que la science, si je fais un sondage, ça va être en biologie 90 % de biologistes moléculaires et donc je ne sais pas comment faire pour rééquilibrer les domaines. Je pense que ça c'est très difficile. L'académie des sciences, il y a quelques années avait émis un rapport sur les risques liés aux OGM. Je sais qu'ils vont en refaire un bientôt. J'espère qu'il sera nettement mieux. Parce que maintenant il y a 2-3 spécialistes de l'écologie au sein de la commission. À une certaine époque il y en avait zéro, et ils avaient demandé à une biochimiste de faire la partie environnement. Donc évidemment, une biochimiste absolument pro-OGM, tout le monde le savait. Donc on savait ce que ça allait donner, il y avait zéro risque pour l'environnement et c'était prévu d'avance. La question c'est comment faire, moi je serais bien embêté aujourd'hui pour faire un comité d'experts dans lequel je sois tranquille sur le fait que tout le monde est capable de voir les problèmes de risques avec beaucoup de sérieux. On sent qu'on est à un moment où il faut changer de modèle. C'est-à-dire que c'est pas uniquement du côté des scientifiques mais c'est un modèle social nouveau qui est à réinventer. On vit depuis plusieurs siècles, sur deux siècles peut-être, le paradigme d'Adam Smith que j'appelle le paradigme de l'action déliée. Adam Smith (1723-1790) Philosophe et économiste écossais C'est-à-dire que chacun fait sa chose, le boulanger vend son pain, le scientifique fait sa recherche, le politique fait ses lois, etc. de façon complètement séparée, en cherchant simplement son intérêt et une main invisible ensuite vient rebattre les cartes pour le plus grand bénéfice, dit Adam Smith, de tout le monde. Or, aujourd'hui, on se rend compte que cette action déliée où chacun est dans son coin à faire sa chose ne marche plus. Ce qu'il faut c'est réinventer une philosophie d'action qui soit une philosophie de la liaison, du travailler ensemble et de la délibération. Et c'est à ce compte-là que la science va retrouver sa place. Pourvu que les scientifiques l'acceptent. Oui, mais il faut aussi que chacun s'y mette. Moi j'ai pas non plus l'idée que les scientifiques sont des gens qui refuseront toujours etc. C'est aussi au niveau des jeunes à l'université, l'école, qu'il faut faire advenir cette nouvelle culture. C'est déjà fini. Bravo et merci. On se retrouve bientôt pour un nouveau débat. Deux invités dans ce même plateau rien que pour eux.
Réalisation : Sylvie Allonneau
Production : Universcience
Année de production : 2012
Durée : 37min35
Accessibilité : sous-titres français