Oubliez les cancers du poumon, du sein ou de la prostate. Il faut changer notre façon de désigner ces maladies. C'est ce qu'écrivent 5 cancérologues de Gustave Roussy, le plus grand centre européen de lutte contre le cancer, dans un éditorial publié en février 2024 par la revue Nature. Le professeur Fabrice André, directeur de la recherche de Gustave Roussy, est l'un des auteurs de cette tribune. On voit de nos expériences avec les patients que certains d'entre eux, même 10 ans après les premières études de médicaments, n'y ont pas accès. On s'est aperçus que c'est vraiment la modalité de comment on développe le médicament. D'abord l'étude dans le mélanome, ensuite dans le cancer du rein, ensuite ailleurs... Ceux qui sont à la fin y arrivent plus de 10 ans après. À partir de cette expérience patient, on s'est dit que ce serait bien d'avoir une sorte de document qui mentionne que si on changeait de classification, peut-être qu'on pourrait accélérer l'accès au médicament pour les patients. Un cancer, c'est quoi ? Ce sont des cellules qui sont devenues cancéreuses, c'est-à-dire qu'elles présentent des altérations moléculaires. Ces altérations moléculaires - mutations, protéines ou toutes autres anomalies - font que la cellule d'origine se met à se multiplier et c'est irréversible. Et elle peut diffuser dans d'autres organes. C'est la définition du cancer. On voit bien que la définition du cancer, c'est ça : quels sont les gènes ou les protéines, les molécules qui font basculer une cellule normale en cellule cancéreuse. Là-dessus, elle se multiplie, elle diffuse et elle crée son environnement pour devenir une tumeur, ensuite métastatique. Donc la classification moléculaire, l'identité moléculaire, c'est pouvoir analyser, grâce à une nouvelle technologie, les mutations, les protéines, les cellules qui entourent les cellules cancéreuses, les différences entre les cellules cancéreuses, pour aboutir vraiment à un portrait de ce qu'est le cancer au niveau moléculaire. L'approche qui consiste à caractériser les anomalies moléculaires du cancer a radicalement changé la prise en charge de certains cancers. Il y a 2 types de cancer. Ceux qui ont des métastases : quand le cancer qui naît dans un organe est ensuite allé dans d'autres organes. Ensuite, il y a les cancers localisés, uniquement dans leur organe. Mais dans les cancers localisés, le rôle de la chirurgie et de la radiothérapie est si important que là, les classifications moléculaires sont aujourd'hui vraiment au second plan. Exemple avec le cancer du poumon : les mutations de ce gène s'appellent BRAF. Dans le cancer du poumon, on donne des anti-BRAF qui sont exactement les mêmes que pour les autres cancers avec la même mutation. Donc on dit "cancer du poumon" mais en réalité, cette mutation BRAF est commune à plein de cancers et on donne le même médicament. Il y a un médicament qui marche vraiment sur tous les cancers. Et aujourd'hui, c'est rentré dans l'esprit des médecins de nommer ce cancer-là par cette anomalie, et non par l'organe d'origine. Quand vous voulez développer un médicament, pour faire la preuve qu'il marche, on mène de grandes études. Si on a un médicament qui marche avec une protéine donnée, on va d'abord faire l'étude dans le mélanome par exemple, puis dans le cancer du rein, puis dans le cancer du poumon, puis dans le cancer du sein, et ainsi de suite, jusqu'à faire toutes les maladies. Résultat : comme ces études sont faites les unes après les autres, il faut régulièrement 10, 12 ou 13 ans pour qu'un médicament prouve son efficacité dans chacune des maladies. Si on renverse la situation en disant qu'on va classer les maladies selon la cible du médicament, alors l'affaire est résolue en 3-4 ans. Puisque vous faites 1 à 3 grandes études, dans lesquelles les patients sont inclus pour présenter l'anomalie moléculaire ciblée par le médicament. On pense que ça pourrait tout de même concerner plusieurs centaines de milliers de patients, voire plus. Aux États-Unis, sous l'impulsion notamment de la Food and Drug Administration, qui est l'agence de régulation des médicaments, certains médicaments sont déjà disponibles en fonction de l'altération moléculaire, indépendamment de l'organe d'origine. Mais on parle de 8 à 9 médicaments seulement alors que ça devrait être beaucoup plus systématisé. Que communique-t-on aux patients ? Moi, médecin oncologue, j'ai des patientes avec un cancer du sein. Une patiente me dit : "Je ne comprends pas : j'ai un cancer du sein, ma voisine a un cancer du sein et pourtant, son traitement est complètement différent du mien, il n'a rien à voir." Donc forcément, quelqu'un a faux quelque part. Mais non, c'est juste que cette patiente a un cancer du sein qui est lié à une anomalie moléculaire précise, par exemple qui s'appelle HER2. Et peut-être que sa voisine a un cancer du sein où l'anomalie moléculaire est complètement différente et s'appelle par exemple BRCA. Ce n'est même pas la même maladie. Ce sont des maladies guidées par des anomalies complètement différentes. Donc les séquences thérapeutiques sont différentes aussi. La vision qu'on a, c'est de dire qu'à côté des examens d'imagerie, qui sont très importants pour voir où sont les métastases, leur nombre, il faut réaliser de façon systématique une analyse approfondie du génome du cancer : ADN et ARN, des protéines du cancer, l'analyse de tout le micro-environnement et l'analyse de la génétique de l'individu. Tout ceci définira quelles molécules ont guidé le développement du cancer. C'est en couplant l'ensemble des lésions, qui nécessitent éventuellement des traitements locaux, avec la biologie qu'on arrive à prendre les meilleures décisions.