
Du sucre partout : l’addition est salée !
Dans les yaourts et les biscuits, mais aussi les pizzas ou le jambon industriel : le sucre est partout. Alors, peut-on s’en passer ? Faut-il vraiment diaboliser cet ingrédient plaisir ?
Une enquête d’Alexandra Pihen, avec les étudiants de l’École supérieure de journalisme de Lille - Publié le
Trop, c’est trop !
Petits pois en conserve, pesto, mayonnaise, biscottes… 85 % des produits transformés contiennent du sucre ajouté ! Et ce sont les produits les moins chers qui, en moyenne, en contiennent le plus, selon une enquête rendue publique en janvier 2025 par l’association Foodwatch dans cinq grandes enseignes de supermarchés français.
Un constat alarmant, puisqu’en France comme ailleurs, la consommation de sucre excède les seuils recommandés. Ainsi, un quart des adultes et adolescents, 60 % des 8-12 ans et les trois quarts des enfants de 4 à 7 ans mangent trop de sucre. Pour décourager les consommateurs et pousser les industriels à améliorer la formulation de leurs produits, la France a adopté en 2012 une taxe sur les boissons sucrées et artificiellement édulcorées. Depuis 2018, elle est même indexée sur la quantité de sucres ajoutés.
Cette taxe devait théoriquement réduire la consommation annuelle de 2 kilogrammes de sucre par personne et éviter près de 700 décès chaque année. D’une efficacité limitée, elle a connu une hausse significative en février 2025, avec un doublement sur les boissons les plus sucrées, et des recettes fiscales anticipées de 800 millions d’euros. À l’échelle mondiale, une trentaine de pays taxent également des produits sucrés.
Cela étant, les chercheurs recommandent d’instaurer des politiques mixtes, en recourant à des mesures à la fois financières et réglementaires. Depuis janvier 2018, la France interdit ainsi toute publicité lors des programmes destinés aux moins de 12 ans sur France Télévisions. De son côté, le Royaume-Uni a annoncé la fin de la promotion télé des aliments trop sucrés, trop salés ou trop gras avant 21 heures dès l’automne 2025.
Une consommation stable depuis les années 1970
L’évolution de la consommation de sucres en France est stable depuis les années 1970. Il s’agit ici des sucres au sens de « glucides simples », présents dans notre alimentation et dans les produits transformés : sucre roux ou blanc obtenu à partir de la betterave ou de la canne à sucre ; miel ; sucre contenu dans les fruits et légumes, laitages… Les mesures réglementaires ont, pour l’heure, échoué à infléchir durablement la consommation de sucres.


Le sucre, une addiction ?
Plus on en mange, plus on en a envie ! La consommation de sucres peut faire naître des comportements addictifs, lorsque les récepteurs gustatifs sont surstimulés, et activent les zones du cerveau associées à la récompense, à la motivation et au contrôle moteur. Stress, anxiété, irritabilité : les symptômes de manque à l’arrêt brutal des sucres sont d’ailleurs notables. Mais ils sont le plus souvent légers et passagers, sans comparaison avec ceux du sevrage de l’alcool ou des opiacés. Sans compter qu’une consommation excessive n’entraîne pas d’intoxication. Les spécialistes préfèrent donc évoquer une « dépendance légère » comme celle au café.
Sucres, quels sucres ?
Pas facile à première vue de se repérer au sein de la grande famille des glucides ! En réalité, le tableau est assez simple, car les glucides sont classés en deux grandes catégories, selon leur structure moléculaire.
Les glucides simples, ou « sucres » à proprement parler, sont constitués de molécules uniques ou doubles, d’où leur nom. Ce sont eux qui focalisent l’attention des scientifiques et inquiètent les nutritionnistes. On les trouve dans le sucre de table, le saccharose, qui associe une molécule de glucose et une molécule de fructose, et donc dans tous les aliments ou boissons avec sucres ajoutés. Ils sont aussi présents naturellement dans les fruits et légumes sous forme de glucose et de fructose ou encore dans le lait et les produits laitiers qui combinent glucose et galactose. De leur côté, les glucides complexes sont constitués de très longues chaînes de molécules. Ils sont présents sous forme d’amidon dans les céréales, les légumineuses et les pommes de terre. Leur digestion est lente – d’où le nom de « sucres lents ».
Sucres et amidon sont décomposés par le système digestif en molécules uniques qui passent dans le sang au niveau de l’intestin grêle. Leur digestion dépend de nombreux paramètres : le moment de la prise, au cours du repas ou non ; la cuisson ; la présence de lipides en association ; l’association ou non à des fibres alimentaires…
Dans tous les cas, les glucides participent à des processus métaboliques vitaux dont le principal est la fourniture d’énergie au corps. L’apport de glucose dans le sang permet de conserver une glycémie constante : environ 1 gramme par litre à jeun chez une personne en bonne santé.
Glucose, le carburant de notre corps
Présents dans quasiment tous les aliments, les glucides sont indispensables au fonctionnement de l’organisme. Selon les recommandations nutritionnelles, ils doivent couvrir la moitié de nos apports énergétiques journaliers. Ils alimentent un métabolisme complexe dont est notamment issu le glucose, la source d’énergie nécessaire aux cellules, aux muscles et au cerveau.


Pic de glycémie, et alors ?
Boire du vinaigre avant les repas, commencer par les légumes… Voici certains « conseils en nutrition » dispensés par l’influenceuse française Jessie Inchauspé et sa méthode Glucose Goddess afin d’éviter des pics de glycémie soi-disant mauvais pour l’organisme. Mauvais ? Attention à ne pas « pathologiser une réaction physiologique naturelle ! », alerte l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Le taux de glucose sanguin après un repas s’élève naturellement : chez une personne en bonne santé, non diabétique, le rôle de l’insuline est justement de le réguler, tout en stockant le surplus en réserve dans le foie ou les muscles.

Gare aux sucre dans l’enfance
Publiée fin 2024 dans la revue Science, une étude historique confirme les risques de l’excès de sucres dans la prime enfance. À partir d’une vaste base de données médicales, elle compare les trajectoires de santé de 60 000 individus nés entre 1951 et 1956 au Royaume-Uni. Jusqu’en septembre 1953, en effet, le sucre y est rationné, à raison de 40 grammes par jour et par personne, l’équivalent de huit morceaux de sucre. Après cette date, le rationnement est levé et dès l’année suivante, les ventes de sucre sont multipliées par deux.
Résultat ? Le risque de développer à l’âge adulte un diabète de type 2 et de l’hypertension artérielle des individus ayant été rationnés jusqu’à l’âge de deux ans est inférieur de 35 % et 20 % à celui des enfants ne l’ayant pas été. En outre, l’âge moyen de survenue de ces deux maladies est plus tardif de quatre et deux ans respectivement chez les anciens « rationnés ».
Autre résultat significatif : le rationnement de sucre durant la grossesse entraînerait à lui seul la réduction d’un tiers environ du risque.
D’autres études confirment par ailleurs le lien entre les sucres et plusieurs pathologies : caries dentaires ou maladies cardiovasculaires comme l’anévrisme. Présent dans les jus de fruits et ajouté aux sodas, le fructose engraisse le foie, conduisant à des dysfonctionnements hépatiques. Manger trop de sucre réduirait aussi la quantité de certaines cellules immunitaires essentielles à la protection de l’organisme contre les infections. Enfin, surpoids et obésité (1 personne sur 8 dans le monde), et diabète de type 2 (1 sur 10) sont désormais des épidémies d’ampleur mondiale.
L’ombre du cancer
L’excès de sucres entraîne des perturbations métaboliques comme la résistance à l’insuline, l’obésité ou des troubles inflammatoires qui accroissent le risque de cancer. Destinée à étudier les liens entre nutrition et santé, l’étude française NutriNet-Santé confirme ainsi sur une cohorte de 100 000 personnes l’association entre consommation excessive de boissons et produits sucrés et risque accru de cancers, notamment du sein, et ce indépendamment de la prise de poids. Les mécanismes précis restent cependant à élucider. Après un diagnostic de cancer, en revanche, inutile de renoncer aux sucres ! Il est simplement conseillé de manger équilibré.


L’excès de sucre mauvais pour le cerveau
S’il en a besoin pour fonctionner, notre cerveau souffre malgré tout d’une consommation excessive de sucres. En août 2023, une étude menée sur plus de 200 000 personnes au Royaume-Uni révèle ainsi qu’elle augmente significativement le risque de démence, y compris la maladie d’Alzheimer. D’autres travaux scientifiques établissent quant à eux un lien de causalité entre l’excès de sucres et les troubles dépressifs, un régime appauvri en sucres permettant en revanche de soulager les symptômes. Mais tous les troubles ne sont pas concernés, et notamment pas les troubles de l’attention et de l’hyperactivité (TDAH) chez les enfants.
Du sucre, oui, avec modération !
Alors, faut-il bannir les sucres de son alimentation ? Les recommandations sont beaucoup plus nuancées ! L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) conseille aux adolescents et aux adultes de simplement limiter leur consommation à 100 grammes de sucres par jour (hors lait et produits laitiers), soit concrètement une orange, une banane, une portion de céréales sucrées de 50 g et une boisson sucrée (jus de fruit ou soda) sur la journée. Pour les enfants de 8 à 12 ans, la limite conseillée est de 75 g/j (60 g/j pour les 4-7 ans). L’Anses rappelle aussi qu’une alimentation riche en glucides complexes suffit à couvrir les besoins en glucose.
De son côté, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise de limiter à 25 g environ, soit 5 morceaux de sucre, l’apport journalier en « sucres libres » : ceux ajoutés aux aliments et aux boissons, et ceux naturellement présents dans le miel, les sirops et les jus de fruits.
Si ces seuils quantitatifs ne sont pas simples à mesurer dans la vie quotidienne, le Nutri-score apporte, lui, une aide précieuse, avec un système de cinq notes allant de A à E qui permet d’estimer d’un coup d’oeil la valeur
nutritionnelle d’un aliment. Pour des produits comparables, l’aliment riche en sucres sera par exemple classé D/E plutôt que A/B. Un nouvel algorithme, approuvé en 2024 par le comité scientifique du Nutri-score, intègre les édulcorants et abaisse la note des produits contenant des sucres ajoutés. Une fois adopté, il conduira à la dégradation de la note des céréales et boissons lactées sucrées. Cette notation est d’ores et déjà disponible sur l’application QuelProduit de l’association UFC Que Choisir.

Les édulcorants, une alternative ?
Aspartame, acésulfame K, stevia… Grande est la tentation de remplacer le sucre par un édulcorant, qui permet d’en conserver le goût sans apport calorique. Tentant, mais déconseillé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2022. D’une part, rien ne prouve que ces substituts contribuent réellement au contrôle du poids ou de la glycémie à long terme. D’autre part, comme les sucres, les édulcorants sont associés aux maladies cardiovasculaires et au diabète. L’OMS considère même l’aspartame comme cancérigène possible depuis 2023. Pour limiter sa consommation de sucres, mieux vaut donc se déshabituer au goût sucré petit à petit, estiment les scientifiques.
Le sportif, mangeur de sucres de haut niveau
Un marathonien dépense presque autant d’énergie en une heure (750 à 1500 kcal par heure) qu’une personne sédentaire en une journée (2 000 kcal). Le métabolisme des sportifs de haut niveau doit ainsi s’adapter à des demandes énergétiques hors normes. Or, au-delà de 90 minutes d’activité soutenue, les stocks de glucose de l’organisme s’épuisent : quelques jours avant la compétition, pour accroître ses réserves, un sportif d’endurance consomme davantage de céréales complètes, légumineuses et autres glucides complexes. Si bien que la capacité d’absorption d’un sportif amateur plafonne à 60 grammes de glucose par heure, contre le double pour un professionnel !

Ont contribué à ce dossier les étudiants en journalisme scientifique de l’École supérieure de journalisme de Lille : Anaëlle Charlier, Pierre Giraudeau, Esteban Grépinet, Charlotte Leduc, Florentin Lopacinski, Aurore Neyrat, Ugo Petruzzi, Théotim Raguet, Enola Tissandié, Josué Toubin-Perre, Louane Velten et Matteo Vivier.
Pour en savoir plus sur cette formation : Filière Journalisme de science