Pourquoi chez-vous ? Jean-François Deleuze – Directeur du Centre National de Génotypage au CEA - Genopole
Il y a des gens qui comme moi ont plutôt essayé de comprendre de nouveaux mécanismes, de comprendre pourquoi l’homme est sur Terre, de comprendre pourquoi est-ce qu’on est malade, de comprendre pourquoi le mec à côté n’est pas malade et que nous on est malade.Je pense qu’il y a autant de caractères de scientifiques qu’il y a de scientifiques et que les gens cherchent pour des raisons probablement assez différentes les uns des autres. Je pense qu’on a vraiment besoin de s’ouvrir vers les autres dimensions artistiques, intellectuelles, littéraires, même dans la recherche très très scientifique. Je ne peux pas vous dire que d’avoir vu la Vierge aux rochers de De Vinci, ça m’a permis de trouver le gène de telle maladie, ce n’est pas vrai. Mais des constructions géométriques, des couleurs, des choses comme ça, amènent un imaginaire, une faculté d’ouverture qui permet dans un autre domaine, justement en gardant cet esprit d’ouverture, de voir des choses de la biologie différemment. Donc ce ne sont peut-être pas des associations directes, mais des sensations qui sont apportées par un environnement différent. Si on les garde dans l’environnement scientifique dans lequel on revient, là on peut voir les choses de manière différente. Et ça, c’est très riche d’enseignement. L’état dans lequel ça me met permet de voir les choses différemment. Et d’ailleurs, j’ai des bouquins de peinture sur mon bureau, j’ai des bouquins de dessin. Je ne dis pas que ça a tout de suite un effet, un résultat sur ce que je fais, mais j’ai besoin d’avoir ce contact journalier avec de la peinture, avec de l’art, etc. A la différence de ces grands chercheurs du passé, aujourd’hui, la recherche est compliquée, elle est collective, et ce serait aberrant et arrogant de s’attribuer des résultats scientifiques à soi seuls. On a besoin d’avoir une espèce de tronc commun de connaissances qui est énorme et puis on aborde la vie avec des tout petits éléments. Mon outil de travail de la vie, c’est l’ADN. C’est quelque chose que je ne vois même pas. Quand j’étais dans le monde de la chimie, au moins j’avais des sensations d’odeur et des sensations visuelles et j’avais un plaisir tactile. Là, en fait, dans la biologie, on ne voit rien. Enfin, dans la biologie que je fais qui est l’étude du génome humain, donc je ne travaille pas sur des animaux etc. Je ne vois rien. J’ai essentiellement des tubes transparents qui contiennent un liquide transparent dans lequel il y a effectivement les sens de la vie que j’imagine. On essaye de mettre des images sur des concepts. On ne touche pas vraiment la science comme un sculpteur touche de la glaise. On a quand même la chance dans le génome humain de remonter aux sources à la fois de l’évolution des personnes, aux sources de la vie. Et ça, c’est un élément fascinant et extrêmement moteur. Je suis quelqu’un qui va avoir besoin d’imaginer qu’il doit y avoir une application à sa découverte, et si possible dans le monde de la santé, ça me motive. Cet aspect application d’être capable de changer le décours d’une maladie et d’impacter les gens.Et ça se retrouve aujourd’hui dans les associations de malades qui sont très partie prenante des recherches etc et ce sont souvent des éléments extrêmement moteurs. Et en tout cas, ce sont des éléments dont j’ai besoin. J’aimerais effectivement que dans le cadre de ma vie je puisse me rendre compte que des recherches que j’ai faites ont vraiment un intérêt médical et savoir qu’elles auront un intérêt dans 200 ans, c’est déjà pas mal. Je m’émerveille devant une peinture, je m’émerveille devant un paysage, je m’émerveille devant une architecture, je m’émerveille devant une femme, et de la même façon je m’émerveille devant un résultat scientifique, (comme) la lecture d’un papier ou d’un article scientifique qui me fait découvrir une nouvelle dimension de la biologie que je ne connaissais pas. Et ça, après 20 ans dans le domaine, ça continue à m’émerveiller exactement de la même façon que le premier jour.