Pour David Baker, Nobel 2024, la création de protéines contre les problèmes du monde
Publié le - par Le blob.fr, avec l'AFP
Contre les tumeurs ou le plastique, la solution de l’Américain David Baker, prix Nobel de chimie 2024, est toute trouvée : la création de nouvelles protéines n’existant pas dans la nature, une idée longtemps considérée comme impossible à réaliser, voire complètement « folle ».
Aujourd’hui, des protéines aux fonctions inédites sortent pourtant les unes après les autres de son laboratoire, avec un champ d’applications presque infini, allant de traitements ultra-ciblés à la création de nouveaux matériaux, en passant par des vaccins. « Face à l’ensemble des problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, en médecine, santé, développement durable, énergie, technologie, le potentiel de la conception de protéines est énorme », dit David Baker depuis Seattle aux États-Unis, quelques heures après avoir remporté un prix Nobel aux côtés de deux colauréats.
Les protéines sont des molécules jouant un rôle fondamental dans presque toutes les fonctions d’un organisme vivant : contracter un muscle, digérer la nourriture, activer les neurones… Elles ont évolué dans la nature « pour régler tous les problèmes auxquels nous avons fait face durant le processus de sélection naturelle », explique le biochimiste de 62 ans aux cheveux hirsutes. « Mais l’humain est aujourd’hui confronté à de nouveaux problèmes », pointe-t-il. « Nous réchauffons la planète et nous avons donc besoin de nouvelles solutions en matière d’écologie et de durabilité. Nous vivons plus longtemps, ce qui rend des maladies comme Alzheimer plus importantes. Il y a de nouveaux agents pathogènes comme le coronavirus. » Laisser l’évolution résoudre ces problèmes « prendrait beaucoup de temps », poursuit David Baker. Or « avec de nouvelles protéines, nous pouvons les résoudre, mais dans un délai très court. »
De « marginal » à « mainstream »
Chaque protéine est composée d’un enchaînement d’acides aminés, qui détermine la forme qu’elle va prendre, et ainsi sa fonction. Durant des décennies, les scientifiques ont cherché à déduire la structure de protéines à partir de leur séquence d’acides aminés. À la fin des années 1990, David Baker développe un programme baptisé Rosetta pour s’attaquer à cette difficile équation, avec un certain succès. Mais il pivote rapidement vers le processus inverse : après avoir imaginé une nouvelle forme de protéine, Rosetta est utilisé pour déduire la séquence d’acides aminés correspondante. Ce code peut ensuite être introduit dans une bactérie, qui produit la nouvelle protéine à la structure inédite, pouvant alors être récupérée. En 2003, il publie le résultat de la première protéine conçue n’ayant jamais existé auparavant dans la nature. Mais celle-ci n’a pas encore de fonction. « Nous avons alors commencé à essayer de concevoir des protéines qui auraient des fonctions utiles », explique le chercheur. « C’est à ce moment-là, je crois que les gens ont vraiment commencé à penser que c’était de la folie. » Mais « au cours des 20 dernières années, et surtout plus récemment ces cinq dernières années, nous avons pu fabriquer des protéines qui font toutes sortes de choses étonnantes », se félicite-t-il. Et Rosetta a progressivement été amélioré en incluant l’intelligence artificielle. « Ce qui est amusant c’est que nous sommes passés de marginal » à « mainstream », dit-il dans un sourire.
Clé dans une serrure
Comment les chercheurs déterminent-ils la forme des nouvelles protéines pour en obtenir la fonction recherchée ? David Baker donne un exemple : « Mettons que nous voulons cibler un type spécifique de tumeur dans le corps, et que nous connaissons la forme d’une protéine qui se trouve sur cette tumeur. Alors nous concevons une protéine qui est comme une clé s’insérant dans cette serrure. » Autre application : pour décomposer le plastique, une protéine est créée pour s’attacher à la molécule de plastique, accompagnée de composés chimiques permettant de le « couper », détaille le professeur à l’Université de Washington.
En médecine, cette technologie a déjà été utilisée pour un vaccin contre le Covid-19 approuvé en Corée du Sud. Des chercheurs veulent également s’en servir pour créer de nouveaux matériaux. « En biologie, les dents et les os sont fabriqués par des protéines interagissant avec des composés inorganiques comme le carbonate de calcium ou le phosphate de calcium », expose le biochimiste. Il envisage donc des protéines interagissant avec d’autres composés, pour fabriquer des matériaux aux propriétés nouvelles. Captage de gaz à effet de serre, vaccin universel contre la grippe, meilleur antivenin… David Baker n’en finit pas d’énumérer les applications possibles. « À mesure que la conception de protéines s’améliore, je suis incroyablement enthousiaste à l’idée de tous les problèmes que nous pourrons résoudre », conclut-il.