Microchimérisme : des cellules étrangères sont en nous !
- Ici, chez cet individu, on voit donc des cellules masculines, et au sein de ces cellules masculines, on voit une cellule féminine, avec deux chromosomes X. Et ici on est chez un individu qui a 40 ans, donc c’est une cellule féminine qui a été échangée probablement pendant sa vie in utero à cet homme et qui est toujours présente 40 ans après.
Le saviez-vous ? Les humains sont tous, sans exception, des chimères. Nous possédons tous, naturellement, des cellules qui nous sont étrangères. Et on ne parle pas là de microbes, mais bien d’autres cellules humaines, génétiquement différentes des nôtres.
Et ces cellules sont tout droit issues… de la grossesse ! Loin d’être hermétique, le placenta permet en effet le passage de cellules fœtales vers la mère, et réciproquement, de la mère vers le fœtus.
- On a tous du microchimérisme maternel donc nous sommes tous des microchimères, ça, c'est sûr. Les hommes ont donc moins de possibilités de sources microchimériques puisqu'ils tombent pas enceintes, ils ne peuvent pas avoir la possibilité d'acquérir un microchimérisme fœtal. Néanmoins on peut très bien avoir eu pendant les premières semaines de notre vie in utero un frère ou une sœur jumelle qui sont ce qu'on appelle « évanescents », qui se sont évanouis ensuite. La plupart du temps, ça laisse très très peu de cellules microchimériques, mais ça peut en laisser.
Les chercheurs ont également trouvé des traces de frère et sœur aînés, voire de cellules grands-maternelles, chez certains individus. C’est donc un fait : nous possédons tous des cellules étrangères Et cela questionne. Ce « microchimérisme », qui semble pouvoir persister pendant des décennies, a-t-il un impact sur la santé ? Aurait-il des effets bénéfiques ou néfastes pour l’hôte ?
Nathalie Lambert, chercheuse à l’Inserm, travaille depuis plus de 20 ans sur cette question. Elle a commencé en cherchant à savoir si le microchimérisme pouvait avoir un rôle dans la sclérodermie, une maladie autoimmune rare qui affecte principalement les femmes.
Le constat était le suivant : les femmes développent souvent la maladie après 40 ans, âge auquel elles ont probablement déjà été enceintes et présentent potentiellement un microchimérisme « fœtal ». Par ailleurs, cette maladie a des similarités cliniques avec la maladie du greffon contre l’hôte, où le greffon se met à attaquer l’hôte. Le parallèle avec le microchimérisme est alors tout trouvé : les cellules étrangères pourraient attaquer l’organisme de la mère.
- L'idée, c'était de se dire : peut être que dans ce cas de sclérodermie, le greffon, en vérité c'est ce fœtus. C'est peut-être ces cellules fœtales qui attaquent l'hôte et peut être qu'il ne s'agit pas en fait d'une maladie auto-immune - donc contre soi - mais une maladie où ce sont ces cellules-là qui réagissent.
Les études ont montré que les choses sont plus compliquées que ça. Les patientes atteintes de sclérodermie ont, certes, plus de microchimérisme que les femmes en bonne santé, mais pour autant cela n’implique pas forcément une causalité.
Tout l’enjeu aujourd’hui est d’essayer de comprendre comment ces cellules microchimériques pourraient intervenir dans la survenue de maladies auto-immunes.
Et au printemps 2024, Nathalie Lambert démontre que ces cellules étrangères pourraient bien avoir un rôle dans certaines de ces maladies, notamment dans le cas de la polyarthrite rhumatoïde, son sujet d’étude actuel.
- Ce qu'on a réussi à faire grâce à un modèle murin, c'est à prouver qu'une souris qui est incapable de faire des autoanticorps, quand on se débrouille pour qu'elle ait du microchimérisme fœtal, du microchimérisme maternel, du microchimérisme gémellaire, eh bien, elle est capable de faire ces anticorps. 43% des souris faisaient des autoanticorps. Et ensuite on a prouvé que c'était bien les cellules microchimériques qui faisaient ces anticorps. Donc on a prouvé que les cellules microchimériques, même si elles ne sont pas très nombreuses en quantité, même si on n'en a pas tant que ça, sont capables d'avoir une fonction, ce ne sont pas simplement des spectatrices.
Des cellules étrangères qui semblent donc capables d’induire une maladie auto-immune chez l’hôte. Cependant, leur rôle potentiellement néfaste est contrebalancé par d’autres études suggérant cette fois-ci des effets bénéfiques, comme celle de Sélim Aractingi qui explore leur influence sur la cicatrisation de la peau.
- Dans un premier travail qui consistait à analyser des maladies inflammatoires qui surviennent dans la peau au dernier trimestre de la grossesse, nous avons montré qu'il y avait des cellules qui provenaient du fœtus. Et ensuite, nous avons pu montrer que ces cellules étaient des cellules de la peau et non pas des cellules immunes, non pas des cellules inflammatoires. Et donc, ça nous a amené à évoquer le fait que les cellules fœtales qui sont présentes chez la mère peuvent aider à réparer des tissus maternels face à diverses situations.
Et la suite de leurs recherches a confirmé cette hypothèse.
- Nous avons clairement pu montrer que les cellules fœtales qui sont transférées de l'enfant vers la mère sont capables d'aller dans le site de la plaie de la mère et d'aider la plaie à cicatriser plus rapidement.
Partant de ce constat, l’équipe a cherché à savoir quels étaient les signaux qui appelaient les cellules microchimériques sur le lieu des plaies. Elle les a identifiés chez la souris il y a quelques années, et cherche aujourd’hui à savoir s’ils sont similaires chez l’humain. Le but ? Trouver une alternative à la médecine régénérative qui repose sur les cellules souches.
- Plutôt que d'aller chercher des cellules de l'extérieur, de les amplifier, de prendre des cellules souches induites ou embryonnaires et d'en faire un tissu in vitro, ex vivo, en dehors de l'organisme et de venir le greffer. Nous notre vision alternative, notre stratégie, ça a été de se dire : ce potentiel de la femme qui a des cellules fœtales en raison d'une grossesse, est ce qu'on peut les exploiter ?
L’idée, c’est donc de trouver un moyen d’attirer ces cellules fœtales sur la partie du corps lésée qui en a besoin pour se réparer. L’équipe a déjà montré qu’il était possible, chez une souris qui a été gestante, d’appliquer une molécule qui agit comme un aimant et amplifie le recrutement des cellules pour faciliter la cicatrisation.
Un traitement basé sur le microchimérisme pourrait donc aider à la cicatrisation, mais aussi à guérir d’autres problèmes de santé, comme les AVC, à condition que la lésion soit repérable et accessible. Même si aujourd’hui il est exclusivement envisagé chez les femmes ayant déjà été enceintes, ce potentiel de guérison est fascinant. D’autres laboratoires explorent également leur rôle dans les cancers et la prévention de la maladie d’Alzheimer. Les recherches sur le microchimérisme émergent et n’ont pas fini de nous surprendre.