L'insensibilité congénitale à la douleur, une maladie rarissime mais gravissime
Publié le - par LeBlob.fr, avec l'AFP
Ne rien ressentir quand on se fait mal, un rêve ? Un cauchemar plutôt. L’insensibilité congénitale à la douleur, une maladie « rarissime, mais gravissime », qui peut transformer les traumatismes bénins en infections chroniques, ruine la vie de ceux qui en souffrent.
Le 12 avril, Patrice Abela, 55 ans, se lancera dans un défi de taille : courir l’équivalent de 90 marathons en moins de quatre mois, en suivant le parcours du Tour de France 2022, de Copenhague à Paris.
Avec pour objectif d’« interpeller la communauté scientifique » et « faire connaître la maladie » dont sont atteintes ses deux filles de 12 et 13 ans : une insensibilité congénitale à la douleur.
Dans sa forme la plus sévère, ce syndrome se caractérise par l’absence de sensation douloureuse depuis la naissance.
« Pour l’aînée, on s’en est rendu compte quand elle a commencé à marcher, car elle laissait derrière elle des traînées de sang. C’était assez impressionnant et elle ne se plaignait pas », raconte Patrice Abela, ingénieur dans la région de Toulouse, dans le sud de la France.
Une première infection à l’orteil, suivie d’une deuxième, les pousse à consulter divers médecins, qui finissent par poser le diagnostic.
Pour leur seconde fille atteinte du même syndrome, « on avait l’expérience de la première », poursuit ce père de quatre enfants.
Plus que la maladie elle-même, ce sont ses conséquences qui posent problème. « À cause d’infections répétées, ma fille aînée a perdu la première phalange de chacun de ses doigts; elle a aussi dû être amputée d’un orteil », décrit-il.
Souffrant de micro-fractures au niveau du genou ayant abîmé leurs articulations, les deux sœurs, qui passent environ trois mois par an à l’hôpital, ne se déplacent plus qu’en béquille ou en fauteuil.
« Hyperlaxes (souplesse extrême : ndlr), elles peuvent reproduire le même mouvement à l’infini », raconte leur père.
« Quand elles prennent leur douche, elles perçoivent le chaud et le froid, mais si ça brûle, elles ne sentent rien », illustre-t-il encore.
La douleur, elles la connaissent, mais c’est d’une « douleur psychologique » qu’il s’agit, avec de graves retentissements dans leur vie quotidienne.
« Rarissime » — seuls quelques milliers de cas sont répertoriés dans le monde, une quinzaine en France — cette maladie n’en est pas moins « gravissime », souligne le Dr Didier Bouhassira, qui exerce au Centre d’évaluation et de traitement de la douleur de l’hôpital Ambroise-Paré (AP-HP), à Boulogne-Billancourt, en région parisienne.
« La douleur joue en effet un rôle physiologique majeur en nous protégeant des dangers de l’environnement », explique-t-il.
Dans les cas les plus extrêmes, les enfants vont « se mutiler la langue ou les doigts lors des premières poussées dentaires ». Puis avoir « tout un tas d’accidents, en se brûlant ou en continuant à marcher sur des membres fracturés, qui cicatrisent mal »…
Si la pathologie est détectée assez tôt, « il faut alors leur apprendre ce qui est inné chez les autres : à se protéger », indique-t-il.
Mais de nombreuses situations restent très problématiques : une simple appendicite, qui se manifeste par de la fièvre, mais aussi par une forte douleur, peut par exemple se transformer en infection généralisée de l’abdomen si elle n’est pas prise à temps.
Décrite pour la première fois dans les années 1930, l’insensibilité à la douleur s’explique, selon plusieurs études, par des mutations génétiques qui empêchent le développement des récepteurs de la douleur ou obstruent leur fonctionnement.
Dans la plupart des cas, un enfant a une chance sur deux d’être atteint si ses deux parents sont porteurs de l’anomalie génétique.
D’autres études ont montré qu’une production excessive d’endorphines — des hormones ayant un puissant effet antidouleur —, dans le cerveau, pourrait aussi être en cause.
Si aucun traitement n’existe face à cette maladie particulièrement invalidante, la mise en évidence des anomalies qui l’expliquent a au moins permis d’identifier le rôle crucial que jouent certaines molécules face à la douleur, souligne le Dr Bouhassira.
Or mieux comprendre la douleur permettra sans doute de « contribuer à développer de nouveaux antalgiques » pour, paradoxalement, profiter à tous ceux qui la ressentent, parie-t-il.