Déjà avant que la machine ne redémarre, il y avait beaucoup d'excitation. Tout de suite, vers le mois de janvier on a compris que des records allaient être battus. Le Synchrotron Européen de Grenoble, un gigantesque accélérateur d’électrons financé par 22 pays partenaires, vient de voir sa puissance démultipliée. À tel point, qu’il est désormais le synchrotron le plus puissant du monde. "Le véritable défi, c’était surtout de respecter le planning et les délais. C’est-à-dire de démanteler un accélérateur qui fait presque 1 km de circonférence en moins de trois mois, et puis surtout de reconstruire le nouveau en environ 9 mois." Grâce à ces travaux, les électrons circulent à l’intérieur de l’anneau central en rangs plus serrés et libèrent, à chaque virage, un faisceau de rayons X plus brillant, cent fois plus brillant qu’auparavant. C’est précisément cette lumière intense que les chercheurs vont utiliser pour explorer la matière. Installés tout autour de l’anneau dans des laboratoires spécialisés que l’on appelle des « lignes de lumière », les scientifiques vont récolter et transformer ces rayons X bruts pour réaliser leurs expériences. "Le faisceau arrive par là, il va entrer dans la gamelle, il va traverser l'échantillon, et il va sortir ici à travers une fenêtre de diamant, et il va continuer jusqu'au détecteur qui est ici, après il y a un microscope optique, et le détecteur est là-haut." Pour Alexandra Pacureanu, il s’agit de cartographier le cerveau en 3D, à commencer par celui de la drosophile, une petite mouche bien connue des biologistes, et celui de la souris. Et avec le synchrotron « nouvelle génération », c’est un réel changement d’échelle qui s’annonce. "Pour le cerveau, ce qui m’intéresse le plus c’est de voir comment les neurones sont connectés entre eux, comment ils communiquent, et comprendre la logique des circuits neuronaux. Ces connexions, qui s’appellent synapses, sont très très fines. Et ça, on n’arrivait pas à le voir avant. On espère pouvoir offrir la possibilité aux scientifiques de voir comment les circuits évoluent, par exemple quand il y a une maladie qui s’installe, comme Alzheimer, Parkinson ou la sclérose multiple. On cherche toujours à dépasser les frontières de la résolution avec l’imagerie X. C’est quelque chose qui est très excitant pour nous." Les rayons X sont désormais 10 000 milliards de fois plus brillants que ceux utilisés à l’hôpital pour faire une radio. L’idéal pour sonder encore plus en détail la matière vivante et les matériaux comme les verres, les supraconducteurs ou les métaux liquides. Marine Cotte utilise ce rayonnement pour percer les mystères des tableaux des grands maîtres. En savoir plus sur les pigments – comme le blanc de plomb employé par Rembrandt pour produire des reliefs sur ses toiles – mais aussi surveiller la dégradation de ces pigments. "On a notamment des lettres de Vincent Van Gogh à son frère dans lesquelles il se rend compte que certains matériaux dont il dispose ne sont pas stables. Pour le jaune de chrome typiquement, on va passer du jaune à un brun. Donc on va perdre la couleur originale. Michael tu peux y aller. L'échantillon est en place. Avec le nouveau faisceau, comme on va beaucoup plus vite, on peut faire beaucoup plus d’analyses et se rendre compte que, peut-être, il y a toute une variété d’espèces qui contiennent du chrome mais dans des états différents. Ça va vraiment être une révolution, comme si on passait d’une télé en noir et blanc des années 60 à la télévision couleur HD actuelle." Paul Tafforeau, de son côté, s’intéresse aux fossiles. Grâce aux rayons X, il est possible de scanner des objets sans les abîmer, de voir par exemple à l’intérieur d’œufs de dinosaures ou du crâne de « drôles de bêtes » comme l’Halszkaraptor. Dans une structure d’os, par exemple, on va réussir à voir les traces des cellules fossilisées dans les os. On y arrivait déjà sur certains fossiles mais il y en avait beaucoup pour lesquels on n’y arrivait pas. Avec la nouvelle machine, on devrait y arriver pour presque tous les fossiles. La nouvelle machine offre donc aux chercheurs la possibilité de voir plus de détails, avec plus de contraste et de réaliser des expériences beaucoup plus rapidement. Des qualités qui, dès les premiers essais début 2020, furent mises à contribution pour étudier le coronavirus et ses effets sur les poumons. On s’est rendu compte que les techniques développées pour imager les fossiles permettaient également d’imager les organes humains avec une précision que l’on n’avait jamais obtenue. Et donc de répondre à des questions comme : « Qu’est-ce qui se passe avec le covid ? Comment le poumon est-il dégradé par le covid ? » Et ces résultats étaient tellement bons qu'on a commencé à appliquer ça sur d’autres organes car il s’avère que le covid ne touche pas que les poumons. Il peut toucher à peu près tous les organes." Et les découvertes ne devraient pas s’arrêter là puisqu’une nouvelle ligne de lumière pourra bientôt accueillir des objets longs de 2,5 m : des objets industriels imposants, de grands fossiles, des momies, et même des corps humains entiers. "On va pouvoir étudier des organes, voire des corps complets en faisant une image à 25 microns, donc ce sera 20 fois plus résolu que tout ce qui a déjà été fait. Ça, pour nous, c’est la basse résolution. Après on va pouvoir aller zoomer n’importe où dans le corps humain jusqu’à la résolution d’un microscope. Donc vous pouvez imaginer sur un corps humain complet, on va être capable de relier la structure cellulaire à l’anatomie, avec toutes les échelles intermédiaires entre ces deux extrêmes. C’est un projet qui est très attendu par les paléontologues mais pas seulement. C’est attendu par pas mal de monde car ça va être une ligne unique au monde, de par sa taille et sa sensibilité. Donc on a déjà une liste de projets qui sont en préparation, de quoi utiliser la ligne pour quelques années."