Rosalind Franklin, irradiée de l’histoire. La fable Rosalind Franklin mérite d’être contée aux enfants, celle du braquage organisé de ses travaux par trois voyous de la science. Un phénomène plutôt banal dans le monde académique, qui n’échappe pas aux guerres d’égos, sauf que nos malfrats ont, avec un mâle aplomb, profité du discrédit porté aux femmes scientifiques pour rafler leur récompense : un Prix Nobel ! Rosalind, née dans le Londres de 1920 montre une intelligence précoce aux questions scientifiques. Contre l’avis de son père, la jeune femme intègre à 18 ans la célèbre université de Cambridge, dont elle ressort docteure en 1945. Retirée à Paris pour se former à la cristallographie, elle y découvre le bonheur d’être considérée comme l’égale de l’homme. Son retour au King’s College de Londres lui remet les pieds sur terre. Le directeur l’engage pour son expertise dans la diffraction des rayons X et la place à la tête d’un projet portant sur l’ADN. De retour d’une courte absence, Maurice Wilkins, qui travaillait déjà sur ce sujet, découvre une bonne femme installée dans ses bureaux et la considère naturellement comme sa nouvelle assistante technique. Difficile de lui en vouloir, les femmes n’étaient même pas autorisées à pénétrer dans les cantines de l’université ! Connue pour son fort caractère, Rosie n’est pas tendre pour lui faire ravaler son erreur. Dès lors, les deux chercheurs ne peuvent plus se sentir et déclarent une guerre ouverte, chacun menant ses recherches de son côté. Devinez qui gagnera la bataille ? Avec l’aide de son étudiant, Raymond Gosling, Rosie ne tarde pas à délivrer deux clichés haute résolution de fibres d’ADN cristallisé, que le physicien J. D. Bernard qualifiera plus tard des « plus belles photos de toutes substances jamais prises aux rayons X ». Tout à sa haine envers cette femme trop intelligente et rigoureuse, Wilkins s’allie à deux de ses collègues, James Watson et Francis Crick, pour leur montrer sous le manteau une de ces photographies. Ni une ni deux, les trois compères peaufinent un modèle sur la structure en double hélice de l’ADN, et, ensemble, publient leurs résultats dans la revue Nature en 1953. Prise de court, Rosie n’a droit qu’à un article annexe... Dégoutée de la mauvaise ambiance qui règne alors au labo, Rosie migre vers une autre institution. Elle meurt à 37 ans d’un cancer des ovaires, probablement dû à son exposition aux rayons X. Quatre ans plus tard, le trio Wilkins, Watson et Crick rafle le Nobel, qui ne peut être remis à titre posthume. Seul Wilkins mentionnera une timide reconnaissance envers sa rivale déchue. Les deux autres n’y feront même pas allusion. Watson s’emploiera de son côté à faire passer la brillante Franklin pour une incompétente. Grisé par sa « victoire » trop vite acquise à seulement 25 ans, le désormais vieillard s’est régulièrement distingué par de fines réflexions... « les latinos sont plus accros au sexe que les blancs», « les minces plus ambitieux que les gros et les noirs moins intelligents » ... qui soulignent à quel point le Nobel lui a été remis sur un malentendu.