Sport : la fin des records du monde ?
Le corps a-t-il des limites ? Tout est-il permis pour obtenir de nouveaux records ? Quels futurs sports de haut niveau ? Avec Jean-Renald Millot, médecin du sport, directeur médical de l’équipe de football de Troyes, et Véronique Billat, directrice du laboratoire d’étude de la physiologie et de l’exercice (Inserm).
Dans la série « Le débat et vice-versa ».
Réalisation : Sylvie Allonneau
Production : Universcience
Année de production : 2012
Accessibilité : sous-titres français
Sport : la fin des records du monde ?
Un plateau, deux invités, seuls devant les caméras. Ils sont là pour mener un débat exactement comme ils le veulent.
Le débat et vice-versa
Sport : la fin des records du monde ?
Alors on commence par vous, qui êtes-vous ?
Je suis Jean-Reynald Millot, je suis le directeur médical de l'équipe professionnelle de football de Troie, j'assure également la direction de l'institut médico-sportif. J'ai un passé d'athlète de haut niveau, j'ai également été entraîneur et bien évidemment médecin désormais. Ça me permet d'avoir une vision globale sur le sujet qu'on va traiter aujourd'hui.
Deuxième invitée, même préambule, qui êtes-vous ?
Je suis Véronique Billat, professeur à l'université d'Evry, je dirige un laboratoire Inserm qui a pour objectif de modéliser l'entraînement humain pour arriver à un gain de performance maximal et surtout sans risque pour la santé, sur mesure pour chacun d'entre nous.
Top chrono, vous avez maintenant 30 minutes pour vous exprimer et vous écouter. Allez, c'est parti.
Sport, la fin des records du monde ? Est-ce qu'on est tous concernés par ces records du monde ? Moi je dirais oui. J'en veux pour preuve que j'ai l'occasion d'accompagner un centenaire qui a réalisé 25 km dans l'heure, à vélo, et je pense que c'est un exemple des records du monde qu'il faut explorer davantage.
Je pense que de toute façon chaque individu à son propre record. À mon avis, on est loin d'avoir atteint la fin des records, puisque l'individu par lui-même évolue. L'évolution du genre humain fait qu'on aura de nouvelles perspectives physiologiques, notamment. En plus je pense que le record du monde c'est ce qui permet l'incertitude du sport, c'est ce qui permet aussi d'avoir un intérêt vis-à-vis de la population environnante, des spectateurs. Ça crée une immense activité autour du sport. S'il n'y a pas de record, tout ça, ça n'existe plus et on perd complètement l'intérêt vis-à-vis du sport. Je pense que le sport meurt s'il n'y a pas de record.
Mais le corps a ses limites...
Chaque individu a des limites, ça c'est une certitude, mais chaque individu ne connaît pas ses limites. On est autour des individus dans le cas de la physiologie, de la médecine du sport, on est là pour la découvrir. Pour découvrir ses limites, pour les évaluer. Après, bien évidemment, chaque individu rentre, à partir du moment où il pratique une activité physique ou du sport de haut niveau il a un processus d'entraînement qui lui est adapté et c'est ce qui va le faire avancer dans ses capacités. Ceci étant, jusqu'où un individu peut aller ? Je crois qu'aujourd'hui personne n'est capable de le dire.
En tout cas, ce qu'il faut savoir quand même c'est que depuis le début de siècle, quand on étudie l'entraînement des champions comme Zátopek...
Emil Zátopek (1922-2000)
Coureur de fond tchécoslovaque, détenteur de 4 titres olympiques et de 18 records du monde
qui faisait 10 fois 400 mètres en 1:10, et qu'on regarde l'entraînement d'aujourd'hui actuel sur les stades, ce qui est curieux c'est de voir que l'entraînement est le même. En gros, quand on va dans un club d'athlétisme, on fait 10 fois 200 mètres le mardi, et 4 fois 1000 mètres le jeudi. Je trouve qu'il y a un manque de curiosité de la part des entraîneurs et du monde sportif actuel pour l'innovation.
Oui, alors je précise même, et là je fais appel à une certaine expérience notamment en tant qu'athlète et en tant qu'entraîneur, c'est vrai qu'il y a un fossé entre le monde de l'entraînement et le monde physiologique, en tout cas de l'évaluation de la performance. Ceci étant, je crois que là où il y a le plus de modifications dans les fondements de l'entraînement, c'est dans les sports collectifs. Pourquoi ? Parce que les capacités physiques sont pas forcément aussi fondamentales que dans d'autres activités physiques et sportives. L'aspect tactique, je dirais presque la politique de jeu qu'on peut mettre en place sur un terrain. Et donc à ce titre-là ça nécessite des qualités à développer chez les joueurs qui peuvent être différentes d'il y a 5 ans ou 10 ans ou 15 ans. Il y a qu'à regarder la vitesse de jeu entre France 1984 au football et France 98 ou encore maintenant, on a l'impression qu'en 84 ça joue au ralenti. Encore une fois, non pas que les qualités physiques ont changé mais les philosophies de jeu évoluent, s'adaptent dans un environnement concurrentiel et à ce titre-là on fait évoluer les corps humains vers ce qui nous semble pertinent.
En foot, actuellement, un milieu de terrain fait quand même 12km par match et un avant fait 7km par match et je pense qu'avant, effectivement, c'était à peu près les mêmes contraintes mais la vitesse d'exécution était pas du tout la même. Quand on teste, notre laboratoire va sur le terrain, on teste des joueurs de foot professionnels et on s'aperçoit quand même qu'il y a des niveaux de consommation d'oxygène qui sont requis pour pouvoir accomplir ce travail qui va de 4 à l'heure dans un match jusqu'à 32km/h avec une moyenne quand même autour de 16km/h.
Nous, ce que l'on constate sur les terrains, c'est que si quantitativement la distance parcourue globale moyenne par un match évolue relativement peu à travers les ans, la façon avec laquelle on parcourt cette distance évolue considérablement. Aujourd'hui on est dans des phases de jeu où quand on regarde non pas le porteur du ballon mais quand on regarde les joueurs qui n'ont pas le ballon, qu'est-ce que l'on voit ? On voit essentiellement des joueurs qui marchent. Par contre, à partir du moment où ils rentrent dans les actions de jeu, ils courent vite, très fort, très puissant, avec des périodes de récupération qui sont relativement courtes. Donc on est dans des enchaînements de phases de jeu où l'intensité augmente, mais avec des périodes de récupération courtes et répétées et on n'avait pas forcément ça il y a encore 15 ans, 20 ans, ou en tout cas beaucoup moins. C'est vrai qu'à ce titre-là on recrute à l'heure actuelle des joueurs qui ont des qualités à la base de vitesse et de puissance musculaire relativement élevées parce qu'on sait que c'est quand même les qualités qui sont difficilement améliorables. Il y a une composante génétique qui est non négligeable. Et sur cette base-là on va faire en sorte de développer les facultés aérobies, c'est-à-dire leur capacité à évoluer en milieu d'oxygénation maximale et donc de développer leur consommation maximale d'oxygène puisque ce sont des qualités dont on a besoin sur le terrain certes, mais qui sont plus facilement améliorables que les composantes dont j'ai parlé auparavant.
Alors en fait, ce que je dirais c'est qu'on a découvert récemment que plus que les qualités de vitesse, ce qui est important pour les records, ses records à soi et dans l'absolu ceux de l'espèce humaine, c'est l'accélération. Et les records se battent si on est capable d'augmenter la vitesse, réduire la vitesse, donc de passer d'un mode de production d'énergie avec oxygène à – on va aller faire des incursions dans des vitesses élevées où on va peut-être dépasser nos possibilités en consommation d'oxygène, on va faire appel à un mécanisme énergétique de secours qu'on a ancestralement développé pour fuir devant l'ennemi, la bête furieuse, etc. Là on n'utilise pas l'oxygène mais on produit beaucoup de gaz carbonique, beaucoup d'acide lactique et on va avoir une acidification du sang qui va faire qu'on va pas pouvoir tenir longtemps à ce régime-là. On l'a tous vécu en rattrapant le bus, en voulant faire un petit peu, frimer devant les copains, accélérer à vélo au sommet d'une côte. À un moment donné les joues nous brûlent, on est en train d'hyperventiler, on est essoufflé et on est obligé de ralentir parce qu'on est passé dans un mode de production énergétique sans oxygène. Mais pour autant, ça nous permet, ce mode-là, de monter nos vitesses moyennes de déplacement à condition de pouvoir après récupérer, réoxygéner. C'est un moyen d'aller plus vite à un moment donné, d'augmenter notre vitesse moyenne. Et les records passent par ces vaguelettes de vitesse, donc une capacité d'accélération. C'est ce qui va faire la différence entre un champion et un non champion. Donc c'est pour ça que ça doit déboucher ce constat, sur des formes d'entraînement très nouvelles, utilisant cette accélération.
Je suis tout à fait d'accord, on est obligé de regarder maintenant comment les athlètes se déplacent, donc on fait appel à de la biomécanique, on a parlé un petit peu de on utilise les sucres, on utilise les graisses. Ça veut dire qu'il faut regarder qu'est-ce qu'on utilise comme carburant pour l'être humain. Donc on fait appel à la nutrition. Après il y a quelque chose qui se développe et je pense qu'on a encore beaucoup de mal à savoir comment utiliser, c'est l'aspect mental. Comment joue le mental dans le cadre du développement de la performance. Donc aujourd'hui on est obligé, dans le monde du sport, d'avoir une prise en charge pluridisciplinaire, d'avoir une vision globale de la performance, pour aboutir à l'excellence. Et peut-être que là on touchera la notion de quelles sont les limites. Mais aujourd'hui je crois qu'on n'a absolument pas coordonné l'ensemble de nos connaissances et de nos moyens autour de la performance pour avoir cette vision globale. Je pense que là il y a encore un gros travail.
C'est parce que dans nos fonctionnements académiques universitaires, production de la connaissance, on raisonne par discipline. Moi je travaille avec une perspective de résoudre des problèmes qui concernent la mise au point de l'entraînement. Donc ma problématique c'est l'exercice. Comment doser l'exercice pour battre ses records, les records. L'exercice, je l'aborde en utilisant des outils de la biomécanique, mathématiques même parce que je modélise les variations de vitesse optimales. On est maintenant capable, en fonction des spécificités de chacun de lui dire, lui donner un tableau de marge, lui dire ok, là tu vas faire ton marathon, ta course, en balayant telle ou telle vitesse, sur telle ou telle séquence de temps. Parce que j'ai un laboratoire qui utilise même jusqu'à la génétique. J'ai un laboratoire de souris. C'est-à-dire que quand je constate qu'un entraînement fonctionne chez l'homme (je fais l'inverse de ce que font la plupart des labos, je pars de l'homme pour aller sur la souris) on regarde de l'efficacité de notre entraînement sur la santé de nos souris jusqu'aux gènes. Donc c'est-à-dire que moi je prends un problème qui est celui de la mise au point de l'entraînement je dirais optimal, avec une approche pluridisciplinaire. Je peux vous dire que j'ai eu beaucoup de mal à faire accepter cette nouvelle façon de voir les choses et de les traiter dans une institution de production de connaissance académique.
C'est là où en fait il y a une problématique. C'est qu'à un moment donné, les idées, les concepts que vous pouvez développer, il faut qu'on arrive à les transférer très rapidement sur le terrain. Parce que n'oublions jamais, et ça il y a malheureusement souvent beaucoup de monde qui l'oublie, n'oublions jamais que l'activité sportive, le sport, ça se déroule sur un terrain, sur une piste d'athlétisme et pas dans un laboratoire.
Justement, une question importante, c'est on doit mettre au point les techniques qui vont nous permettre de sortir du labo pour aller sur le terrain. Depuis vingt ans je miniaturise des appareils, les mêmes que j'ai en labo, comme un ordinateur fixe qui est devenu un tout petit portable, j'ai mis au point, avec des entreprises, des PME, des industries de haute technologie des appareils qui permettent d'aller sur le terrain. Hier on a fait une épreuve de cyclo sportive de 90km. J'ai accompagné un papi de 101 ans pour pouvoir confirmer les données que j'avais en laboratoire sur le terrain. Sur le vélo. On était dans un col à 5 %. J'ai pu constater qu'il développait 140 watts. Ça confirmait le fait qu'il avait une consommation d'oxygène dont on parlait tout à l'heure qui était le double de ce qui était prédit quand on fait des projections à cet âge-là. Ce qui laisse supposer que l'être humain a un potentiel énergétique qui est le double de ce que l'on pense actuellement. Donc l'explosion des records de notre espèce passe aussi par la possibilité d'allonger la carrière des sportifs si socialement on admet que le sport est un métier, qu'on peut l'exercer en toute sécurité jusqu'à l'âge de 50 ans et qu'on a une après carrière qui nous attend, c'est-à-dire une formation à la base qui va nous permettre de nous reconvertir, eh bien on va pouvoir exploser les records de l'être humain parce qu'on se laissera plus de temps pour le faire.
Tout est permis ?
C'est une grande question qui à mon avis, il y a pas de réponse. Aujourd'hui, je pense qu'il y a pas de réponse parce qu'on est dans un univers où en tout cas il y a une certaine réglementation. Cette réglementation on doit la respecter, certes. Ceci étant, comme toute réglementation elle peut évoluer, elle doit en tout cas s'adapter et ce que l'on dit aujourd'hui ça sera peut-être pas forcément ce qu'on dit demain.
Moi je dirais qu'attention, les limites qu'on a actuellement, elles sont entièrement économiques. Parce que pourquoi on s'intéresse au dopage, on va dire les choses, du sportif, alors qu'on s'intéresse pas à celle de notre profession de chercheur ? Je suis désolée, pour tenir le rythme qu'on tient de 70 heures par semaine pour pouvoir faire fonctionner un laboratoire actuellement, il faut quelque part peut-être être dopé. On n'en sait rien, je pose la question. Pourquoi on s'intéresse au dopage, on contrôle les sportifs ?
Alors je vais même plus loin, moi je trouve totalement anormal que le sportif de haut niveau doit être quelqu'un blanc comme une hirondelle alors qu'aujourd'hui, il n'y a qu'à voir l'évolution de la société dans sa globalité, il y a pléthore de façons, ou en tout cas de publicité qui nous incite d'une façon ou d'une autre, appelons un chat un chat, à optimiser, à augmenter nos performances. Qu'elles soient d'ordre professionnel, qu'elles soient d'ordre mental, qu'elles soient d'ordre sexuel, il y en a absolument partout. Je ne vois pas à ce titre pourquoi le sportif serait le seul à devoir échapper à cette politique.
D'ailleurs on a changé la définition du dopage. Maintenant c'est « toute substance permettant d'augmenter la performance artificiellement ». Avant c'était « nuisible à la santé ». En fait on s'intéresse pas à la santé, on s'intéresse à la glorieuse incertitude du sport, et surtout si cette incertitude c'est vendeur. Avec en plus la flambée des paris en ligne, sur Internet, y compris dans le foot maintenant, qui concurrence les canassons. Il est pas question maintenant de penser que le jeu est truqué.
Oui, je suis complètement d'accord. Ceci étant, on a encore une partie de la population qui est un peu crédule par rapport à tout ça. En tout cas qui croit encore que le sportif, ou en tout cas la performance sportive doit être belle au sens philosophique du terme. Elle doit être pure. Je crois que c'est un débat d'un autre temps. On est aujourd'hui dans un monde moderne avec des contraintes, on l'a dit tout à l'heure, économiques, on a des contraintes de sponsors, on a des contraintes de structures d'entraînement, des contraintes de transferts pour parler du football, mais c'est vrai dans d'autres sports. Tout ceci amène à des nouvelles, des nouveaux leviers dans le cadre de qu'est-ce que je dois ou pas ? Qu'est-ce que j'ai le droit de faire ou pas dans le cadre de l'évolution du sport et sa réglementation ?
Ce qu'il faudrait c'est que déjà un footballeur qui est soumis à 52 matches par an, si on compte les coupes, les championnats, etc. puisse en faire deux fois moins. Pareil dans le vélo, les jours de courses sont très importants. Quelque part il faut s'interroger de savoir laisser récupérer les sportifs et pour ça avoir un panel de sportifs professionnels plus importants pour pouvoir jouer sur le jeu des remplacements, et pour ça réorganiser le sport pour pouvoir avoir – donner la chance à plus de sportifs de venir à un haut niveau dans de bonnes conditions. Et plutôt que des (?) chimiques, avoir des solutions à apporter aux sportifs pour qu'ils s'améliorent sans produits dopants. Donc je pense qu'il est permis d'avoir l'audace d'essayer d'autres façons de s'entraîner que nous avons mis au point dans nos laboratoires. Et pour ça il faut faire rompre les barrières science et pratique. Le moyen de faire cela c'est effectivement un travail de vulgarisation scientifique sur ce que l'on est capable de proposer en terme de solution d'entraînement. On a beaucoup de moyens de s'entraîner innovants, qu'on a proposés à des sportifs qui viennent nous voir, qui fonctionnent et qui restent inconnus parce que les médias s'intéressent pas à ça, ils s'intéressent surtout au spectacle.
Je suis complètement d'accord avec vous que le développement de nouvelles méthodologies d'entraînement peuvent avoir un intérêt, pour orienter le sportif vers une pratique plus saine que verre une pratique qui va dériver vers l'utilisation de produits dopants. Ça, je suis d'accord. Ceci étant, je suis pas certain que ça soit le premier levier à exploiter pour gérer la notion de dopage. Aujourd'hui il y a quelque chose qui m'interpelle et je dirais presque je suis complètement furieux par rapport à ça. Il faut quand même savoir que si on a une agence mondiale antidopage, comment se fait-il qu'entre les sports on n'a pas la même façon de définir les protocoles de contrôle antidopage ? Comment se fait-il que dans le cyclisme, la façon dont on gère le dopage, en tout cas on essaye de détecter, etc, etc, n'est pas identique que dans le milieu de l'athlétisme ? Je trouve pas ça normal. Dans le cyclisme, on a un profil biologique qui peut amener à des suspicions et sans contrôle positif on va mettre en tout cas le cycliste entre guillemets au repos forcé. Dans l'athlétisme, si on n'est pas positif, on n'est pas dopé. Moi je ne comprends pas. Et tant qu'on aura pas une harmonisation globale, mondiale, et alors là c'est le gros souci, comment avoir quelque chose de global et mondial ? Tant qu'on aura pas cette vision globale du contrôle antidopage, eh bien en fait on aura des distorsions de concurrence entre les sports, entre les pays et donc ça générera une dérive.
La solution passe pas par le contrôle antidopage.
Je parle pas du contrôle, je parle de l'harmonie.
Oui j'ai compris.
On n'a pas d'harmonie.
Oui, oui, mais je pense qu'il vaut mieux voir les choses, aborder les choses plus, que par le côté moins de dopage. Je dirais plus d'entraînement efficace et raisonné, adapté à chacun, personnalisé, plutôt que de dire moins de dopage. Et je pense que quand les gens vont voir que s'entraîner de telle façon, personnalisée, adaptée, ça donne de la réussite, à la limite le dopage va tomber de lui-même. C'est comme l'éducation de quelqu'un. Soit on commence à parler d'interdit, soit on est dans le positif, on suscite de l'intérêt pour quelque chose qui de fait va baisser sont intérêt pour l'interdit.
Je suis complètement d'accord avec votre vision, à l'échelon national. Mais quand on voit ça à l'échelon international, je pense malheureusement que cette réflexion ne peut pas tenir. Pourquoi ? Parce que quelqu'un qui veut accéder au très haut niveau, à partir du moment où on est dans un concept organisationnel où justement on veut aller vite au niveau et parce qu'on sait que la carrière va être courte, à cause de l'environnement sociétal dans lequel se trouve le sportif, on a une distorsion de concurrence entre un pays qui va dire ça on a le droit, ça on n'a pas le droit, et un autre pays qui le permet. Dans ce cadre-là, l'appétence pour la nouvelle méthodologie d'entraînement elle est diminuée puisqu'on a des choses qu'on a le droit de faire ailleurs.
Par analogie avec le monde économique où on est en concurrence avec des pays qui payent, là on parle de payer 3-4 fois moins les gens, faisons autrement. Là encore, le sport de haut niveau est un laboratoire d'activités humaines et économiques. Montrons qu'il est possible de faire autrement, de produire un record autrement que sur un mode stakhanoviste avec des moyens illicites ou contrôlés. Nous on peut faire autrement, avec de l'entraînement intelligent.
D'accord, alors maintenant je vais être provocateur.
Allons-y.
Exprès pour justement qu'on puisse avancer sur peut-être une autre vision qui va peut-être choquer. Mettons de côté un certain nombre d'éthiques qui parfois je trouve sont mal utilisées. Qu'est-ce qui nous empêcherait, en quoi ça serait négatif d'avoir un sport pour tous qui amène la santé, qui amène des très bonnes choses pour l'individu et un sport où on accepterait clairement les méthodes de dopage ? Pourquoi on devrait refuser cet aspect-là ? Si ce dopage, alors que vais peut-être encore choquer beaucoup de confrères, si ce dopage est encadré pour justement éviter les problématiques de santé extrêmes. Pourquoi on pourrait pas envisager ce type d'activité ? Moi je considère que ça pourrait être une solution. Alors attention, une solution intellectuelle, je dis pas qu'il faut le faire. C'est une approche intellectuelle qui doit, à mon avis, être menée. Parce que moi je n'oublie pas quand même que quelque part en matière de connaissance sur la physiologie du sport, l'ex-Allemagne de l'Est et l'ex-Union Sociétique nous ont amené beaucoup de données.
Moi je serais assez pour. Je suis assez joueuse moi aussi, je dirais – dans la limite de la santé.
Dans la limite de la santé. D'où un encadrement.
Je suis pas médecin. Je vous retourne la question.
Après ça pose le problème de l'éthique, notamment de la déontologie médicale.
Je suis d'accord. Et moi je suis assez joueuse, on va démontrer qu'un dopage dans les limites de la santé, ne va pas améliorer la performance par rapport à un entraînement intelligent encore une fois. Si on mettait les mêmes moyens financiers à la mise au point d'entraînements intelligents, sans produits adjuvants, qu'on en met dans la mise au point du dopage, je pense qu'on serait largement, nous, en tête.
Certes. Je vais encore une fois vous taquiner mais ça veut dire que moi, demain, si je gère un sportif de très haut niveau et que je veux que celui-ci soit champion olympique, champion du monde, je sais pas trop quoi ou gagner la coupe du monde, et que je n'ai pas de limite.
Et vous êtes pressé.
Et que je suis pressé, j'irai vers vous non seulement pour avoir une méthode d'entraînement original, performante et individualisée et en plus j'irai vers les méthodes dopantes, et là on pourra accéder à des performances extraordinaires.
Je vous rassure, il y a des sportifs qui l'ont fait. Qui sont venus nous voir et qui ont continué à utiliser leurs méthodes de dopage. À savoir EPO
EPO pour érythropoïétine
Hormone entraînant une augmentation du nombre de globules rouges dans le sang
plus testostérone, plus anabolisants, chez une femme marathonienne par exemple.
Ceci étant, il y a aussi une autre problématique qui est en train de survenir à côté du dopage chimique, c'est un dopage qui est lié à la manipulation génétique, à la biotechnologie, où là, ça pose à mon sens, encore plus de soucis parce qu'on est vraiment dans la manipulation du gène humain pour augmenter la performance pour augmenter la résistance aux contraintes. Et là, c'est une vision toute personnelle mais je trouve qu'on touche au fondement même de l'individu, à savoir son ADN. Et ça c'est quelque chose qui me perturbe. Parce qu'autant la béquille chimique, bon, on injecte des produits quels qu'ils soient ou on ingère des produits qui sont plus ou moins connus. La plupart du temps ils sont connus puisqu'ils sont utilisés dans certaines thérapeutiques. Dans la manipulation génétique, à mon sens, là on est vraiment dans l'apprenti sorcier.
On n'a pas trouvé le gène de la performance, y compris de l'endurance. Tout ce qu'on sait c'est qu'il y aurait un gène des antioxydants. Et quand on sait que l'exercice bien dosé permet de stimuler ces antioxydants de façon adaptative, physiologique sans avoir besoin de manipuler un gène, quoi que ce soit. Encore une fois un entraînement intelligent peut remplacer la manipulation génétique puisque on modifie la génétique d'un animal, nous on l'a vu sur une souris, en s'entraînant de telle ou telle façon. Donc c'est pas parce qu'on aborde le mot génétique qu'on va dans les choses complètement différentes de la physiologie puisque les deux sont complètement liées.
Certes. Sauf que à l'heure actuelle, autant un médicament qu'on va utiliser dans le cadre d'un processus de dopage c'est quelque chose qui est connu au niveau moléculaire, on connaît les impacts, plus ou moins, on connaît les effets à plus ou moins long terme de cette molécule sur l'organisme. Faire des modifications génétiques, qu'est-ce qui se passera dans 5, 10, 15 ans, 20 ans, pour la personne ? Je pense que là on aura beaucoup plus de mal.
Demain, quel sport de haut niveau ?
Je pense qu'on peut très bien avoir une vision où on aura un sport à deux vitesses, pourquoi pas, on l'a dit tout à l'heure. C'est-à-dire un sport pour tous et un sport de top niveau...
On l'a déjà.
Qui va utiliser... On l'a déjà mais à petite échelle, ou alors on aurait un sport ou tout le monde est gentil tout le monde il est beau ? Je pense que ce serait un peu le pays de Oui-Oui et j'y crois pas du tout.
Moi je crois qu'on n'a pas besoin de ce dopage. Encore une fois, actuellement on est capable d'améliorer les consommations d'oxygène donc de puissance énergétique de 20 % en 20 séances d'entraînement, y compris chez les sportifs de haut niveau. Mais le problème c'est qu'il y a une réticence à la nouveauté. Voilà, on est dans l'urgence, on est dans l'obscurantisme parce que le mode organisationnel du sport actuellement c'est que c'est les anciens champions qui deviennent entraîneurs.
Il y a pas de renouvellement.
Et il y a un cloisonnement. Moi j'essaie de faire de la formation continue, mais quelque part ça fait mal de se remettre en question. C'est douloureux, ça coûte du temps, on est dans un mode pressé, pressé, pressé. Être entraîneur c'est un métier, donc ça demande des compétences. Donc pour cela, si on veut exploser les records du monde, il faut réconcilier tous les modes de production d'énergie, ne pas dire, le marathon c'est l'endurance, c'est l'oxygénation, la vitesse c'est la force et la puissance. Il faut tout envisager et ça ça demande de la connaissance, une vraie formation un peu scientifique de base, avoir quelques notions qu'actuellement les entraîneurs n'ont pas.
Pour compléter un petit peu ce que vous dîtes, je crois que si nous n'arrivons pas à mettre en place une harmonisation globale, mondiale sur la gestion, sur la définition de l'activité physique, si on n'arrive pas à mettre en place une prise en charge pluridisciplinaire du sportif, si on n'arrive pas à faire ce lien entre les sciences du sport et les entraîneurs de terrains, s'il y a pas cette communication qui s'installe, malheureusement à mon très grand regret, c'est la méconnaissance, c'est l'obscurantisme, et on aboutira de plus en plus vers des méthodes de dopage qui deviendront de plus en plus complexes et de plus en plus non contrôlées. Par contre, et là je rebondis sur quelque chose que je vis au quotidien. Force est de constater que c'est dans le sport professionnel où on a des staffs extrêmement développés, où on a le moins de risque de voir arriver des dérives dopantes. Pourquoi ? Parce que, comment s'articule une coupe de football professionnelle ? Je vous donne un exemple par rapport à ce que je vis. Vous avez une trentaine de joueurs professionnels à encadrer, vous avez un staff technique. Un staff technique ça veut dire quoi ? Vous avez, ce qu'on appelle communément un entraîneur, mais l'entraîneur c'est quoi son job ? Son job c'est un job de patron d'entreprise, c'est un job de RH, il organise, il met en place une politique, une vision pour son équipe. Après il a un entraîneur adjoint. Lui c'est quoi son travail ? C'est de penser les structures d'entraînement, c'est de penser les contenus d'entraînement, et c'est de mettre en place pour les joueurs ces contenus d'entraînement. En sachant que ces contenus d'entraînement vont être en correspondance avec la politique du manager. À côté de ça vous avez des assistants techniques qui vont décortiquer, qui vont analyser les matches, qui vont – combien de kilomètres a fait tel ou tel joueur, etc. etc. Voilà, ça va être un fournisseur de données.
En foot, c'est parfaitement organisé, je suis entièrement d'accord. J'ai des étudiants en thèse chez moi qui sont devenus entraîneurs.
C'est là que je pense que la structuration des staffs techniques doit sortir uniquement du monde footballistique ou du rugby, parce que le rugby est également très bien organisé.
Oui.
Pour aller vers le sport individuel. Moi ce qui me fait peur c'est justement le sport individuel, parce que par définition, on est tout seul.
Complètement.
Tout seul = obscurantisme et obscurantisme = dopage.
Alors moi je pense qu'une des solutions ce serait de faire effectivement ce qui était envisagé actuellement, de créer un institut national des sports pour tous, où il y ait un accueil pour le quidam pour lui apprendre à gérer sa pratique de façon intelligente avec des tests, créer un environnement autour de monsieur tout le monde, puisque le monsieur tout le monde est quand même la personne qui va à un moment donné faire naître un sportif professionnel. Il faut que la culture du sport dans toute ses dimensions soit déjà inscrite à la maison. Donc ça, il faudrait qu'on inscrive déjà cette pratique du sport individuelle très tôt dans l'enfance.
À l'école. Ça fait partie de l'apprentissage.
Voilà et c'est pour ça qu'il faut organiser cette pratique de haut niveau dès le plus jeune âge dans la famille et à l'école. Créer un institut national des sports pour tous et de loisirs, avec la recherche dans ce domaine c'est le terreau, le berceau de l'explosion des records du monde de l'espèce humaine en général.
Alors ça nous permet à ce titre-là d'avoir éventuellement deux évolutions possibles du sport demain, une évolution plutôt négative à mon sens où en fait cette production de connaissances n'aura pas lieu, ce transfert de compétences ne se fera pas, c'est-à-dire qu'on restera un petit peu dans la situation dans laquelle on est aujourd'hui, donc chacun garde sa connaissance et à ce titre-là on aura un obscurantisme qui va se développer de plus en plus et donc des dérives dopantes notamment qu'elles soient d'ordre chimique, technologique, génétique, biotechnologique, et là on rentrera malheureusement je pense dans une ère noire pour l'activité physique à long terme. Soit on arrive à se coordonner tous ensemble, que chacun ait un niveau de compétence et surtout une faculté, une capacité à échanger avec son voisin en matière de connaissance et à ce titre-là, à partir du moment où le savoir va s'installer chez tous les interlocuteurs qui gravitent autour du sport, on aura une synergie, on arrivera à optimiser la prise en charge, et donc on aura un sport organisé, harmonisé, avec des gens compétents qui pourront échanger et à ce titre-là le savoir permettra de ne plus avoir besoin de méthodes, de dérives de type dopantes.
Ce débat présent, moi j'ai eu beaucoup de plaisir à débattre avec vous. On est un exemple, vous êtes médecin, je suis scientifique, on a en commun d'avoir été sportifs tous les deux à haut niveau, on a pu se parler alors que moi j'ai beaucoup de mal à faire venir des médecins dans mon laboratoire.
On va travailler ensemble alors ?
Pourquoi pas. Avec plaisir.
C'est déjà fini. Bravo et merci. On se retrouve bientôt pour un nouveau débat, deux invités dans ce même plateau, rien que pour eux.
Réalisation : Sylvie Allonneau
Production : Universcience
Année de production : 2012
Accessibilité : sous-titres français