Radioactivité à faibles doses : où est le problème ?
De quelle radioactivité parle-t-on ? Sommes-nous tous égaux face aux rayonnements ? Nicolas Foray et Roland Desbordes en débattent.
Réalisation : Sylvie Allonneau
Production : Universcience
Année de production : 2012
Durée : 34min47
Accessibilité : sous-titres français
Radioactivité à faibles doses : où est le problème ?
Un plateau, deux invités, seuls devant les caméras. Ils sont là pour mener un débat exactement comme ils le veulent. Le débat et vice-versa Radioactivité à faibles doses : où est le problème ? Alors on commence par vous, qui êtes-vous ? Donc je m'appelle Nicolas Foray, je suis radiobiologiste à l'Inserm et j'anime à Lyon un laboratoire qui va traiter à la fois des effets biologiques dus aux fortes doses de radiations, par exemple après radiothérapie et également, après faibles doses de radiations, par exemple tout ce qui est mammographie, les travers du nucléaire, voire les astronautes. Deuxième invité, même préambule, qui êtes-vous ? Je m'appelle Roland Desbordes, je suis physicien de formation, j'ai enseigné la physique appliquée pendant un certain nombre d'années, mais aujourd'hui je suis militant dans une association qui s'appelle la Commission de recherche et d'information indépendante sur la radioactivité, donc Criirad qui est née il y a 26 ans et qui s'est créée en France dans le sud-est de la France, en réaction aux informations erronées, voire aux mensonges diffusés par les autorités françaises sur la radioactivité présente dans l'environnement. Top chrono, vous avez maintenant 30 minutes pour vous exprimer et vous écouter. Allez, c'est parti. La radioactivité à faibles doses, c'est un débat intéressant à avoir parce qu'elle concerne tout le monde. Au contraire des fortes doses qui en général concernent que très peu de gens, et heureusement très peu de gens ont des accidents du travail ou des accidents graves, des catastrophes. Les faibles doses concernent tout le monde. Je pense donc qu'il est important pour tout le monde de connaître les problématiques. Surtout qu'il y a débat sur ce sujet-là. Effectivement en plus il y a un autre aspect des choses, c'est que jusqu'à présent on avait les interlocuteurs anti, pro nucléaires, et des scientifiques au milieu. Les scientifiques c'était surtout les épidémiologistes. Pourquoi ? Simplement parce que des faibles doses, c'est d'abord des faibles effets. Et pour étudier ces faibles effets, il va falloir étudier un très grand nombre de personnes. Ce qu'on appelle les cohortes. Jusqu'à présent, on avait que ces épidémiologistes et que ces grandes cohortes de personnes analysées. Depuis les années 2000 on a les radiobiologistes qui ont, avec des avancées technologiques, fait progressé à la fois la science et les concepts et notamment, on sait aujourd'hui qu'on peut avoir des détections de cassure au sein même de chaque cellule. C'est-à-dire qu'on est capable aujourd'hui de mesurer les effets biologiques dus aussi aux faibles doses et ça c'est primordial à la fois pour les radiobiologistes, mais pour donner, j'allais dire, une troisième voie, VOIE et VOIX, dans le problème des faibles doses. Quelles origines ? Quand on parle radioactivité, c'est vrai que pour les gens on parle de becquerel. Becquerel : Unité de mesure internationale utilisée en radioactivité Un becquerel c'est l'unité d'activité d'un matériau. On dira qu'il y a tant de becquerels dans un matériau quand il y a tant de désintégration, donc de rayonnement émis dans le matériau. Antoine Henri Becquerel (1852-1908) Physicien français C'est des rayonnements qui n'ont rien à voir avec les rayonnements qu'on a l'habitude, c'est-à-dire les ondes radio, lorsqu'on pense à rayonnement. Là d'ailleurs, les gens mélangent radiation et rayonnement. Radiation c'est de la matière, alors que rayonnement, ce n'est pas de la matière, c'est de l'énergie à l'état pur. La radioactivité elle a été découverte d'abord tardivement parce qu'elle existe là depuis l'origine de la terre, cette radioactivité naturelle. Nous, l'homme après en a rajouté là-dedans, mais, à l'origine, elle a été découverte parce que nos organes, ça c'est le plus surprenant, nos organes, malgré leurs performances dans notre corps, sont incapables de la détecter. Ces rayonnements sont de très haute énergie et en même temps ils sont indétectables par notre corps. Ça c'est le côté le plus troublant, je dirais, de la science que moi j'ai découvert avec la radioactivité en tout cas. Alors ils vont quand même être détectés par la biologie, par la cellule, et ce que je rajouterais c'est la notion de temps, d'étalement de la dose. Les faibles doses ça peut concerner des faibles doses comme la radioactivité naturelle qui émane dans ce studio par exemple, constamment, ou des faibles doses en radiodiagnostic, par exemple une mammographie où la faible dose est délivrée en une fraction de seconde, ou une fraction de minute, suivant l'examen. Eh bien la biologie, elle va être en fait dépendante, sa réponse va être dépendante de la dose et du temps dans lequel elle va être délivrée. Donc le plus important ça va être deux choses. Combien de dégâts vont être créés par dose ? Et est-ce que la cellule va avoir suffisamment de temps pour les réparer ? Pour bien les réparer également. Mais en fait ce qui est le plus important c'est de bien connaître cette dose et de bien connaître ce temps, ce qui est pas toujours le cas en pratique. Quand on parle de dose, justement, on parle de l'activité des becquerels mais la dose c'est l'énergie transférée à la matière vivante (?), absorbée par la matière vivante de ces rayonnements. Par contre, ce qui intéresse et ce qui au final intéresse les gens en tout cas, à mon avis, c'est plutôt quels sont les dégâts que vont faire dans l'organisme, dans les cellules, dans la matière vivante, ces rayonnements. C'est vrai que là on rentre dans le débat, et là il y a pas du tout, je dirais accord, au niveau mondial et au niveau des scientifiques sur quels types de dégâts. Par exemple, vous avez soulevé le problème du temps. On était jusqu'à présent sur l'idée que des petites doses s'ajoutent et que c'était à peu près la même chose qu'une dose un peu plus forte délivrée dans un temps plus court. Ce qu'on appelle le débit de dose fort. Pourquoi ? Parce qu'on était parti d'abord sur le modèle Hiroshima. C'est-à-dire le flash d'une bombe, fort débit, pendant un temps très court. Et qu'après on a étudié les autres aspects de la radioactivité. C'est-à-dire les faibles doses, à faible débit de doses qui vont intervenir à travers la radioactivité naturelle, à travers les contaminations de l'environnement, les pollutions radioactives, les catastrophes nucléaires. Et là on était persuadés qu'à un moment donné les petites doses ajoutées comme ça, elles avaient moins d'effets que les fortes doses. On avait même appliqué des coefficients en disant on va appliquer un coefficient de réduction. En gros, la théorie c'est les cellules ont la possibilité de se réparer entre deux doses. Et au fil des études, des grandes études sur les très faibles doses, on s'aperçoit que non, ça se répare pas vraiment. Ou alors, c'est pas si simple, je veux dire. Alors on va revenir sur le côté technologique, et la révolution technologique actuellement. Quand une cellule est irradiée, que ce soit forte ou faible dose, qu'est-ce qu'elle fait ? Elle a plusieurs solutions. D'abord il faut qu'elle reconnaisse les dégâts. Encore faut-il qu'il y ait des dégâts, notamment dans l'ADN pour qu'elle puisse les reconnaître et les réparer. Donc ça c'est une première chose. Est-ce que les faibles doses vont être suffisamment faibles pour ne pas faire du tout de dégâts ? Il se trouve que les doses à la fois de mammographie, les doses à la fois des accidents nucléaires peuvent faire un certain nombre de dégâts. Quelques dégâts, quelques cassures dans les noyaux des cellules. Ça, on sait maintenant le détecter. Ensuite il y a le devenir de ces dégâts. Le devenir c'est quoi ? C'est si je reconnais la cassure, je vais essayer de la réparer. Mais si la cellule ne répare pas elle va mourir. Si elle répare mal, là on peut avoir effectivement un risque de cancer. C'est ce qui va se passer pour les faibles doses. Finalement, les faibles doses c'est essentiellement un risque de mauvaise réparation et un risque de cellules qui vont dériver vers un cancer. Pour les accidents nucléaires, pour les mammographies, pour les scanners, pour toute exposition à faible dose, on n'a pas vraiment de risque de mort cellulaire et de tissus brûlés comme on disait au début du XXe siècle. À l'inverse, pour les faibles doses on va avoir un problème de cancer radio-induit et il va falloir mesurer ça. Jusqu'à présent, on n'a pas véritablement de marqueurs biologiques pour ce risque de cancer radio-induit. C'est-à-dire qu'on sait pas trop comment la cellule elle va mal réparer, quelle quantité de cassure elle va mal réparer et qu'est-ce qu'il faut utiliser pour détecter cette mauvaise réparation. La seule chose qu'on sait, c'est que dans les syndromes génétiques, dans les maladies génétiques qui réparent pas beaucoup l'ADN, les autres cassures, les autres cassures vont être mal réparées. On a à la fois un équilibre entre une certaine radiosensibilité, comme on le disait encore une fois au début du XXe siècle et une notion de prédisposition au cancer. Il est évident que les gens qui vont être plus prédisposés au cancer seront plus prédisposés au cancer radio-induit. La question est est-ce que ces gens, à faible dose, lors d'un accident, lors d'une mammographie vont développer ce cancer et tout le problème va être de les détecter. C'est vrai que ça ça fait partie des préoccupations d'aujourd'hui. Mais le modèle sur lequel toute la radio-protection, c'est-à-dire la protection contre les radiations ionisantes, quelles normes on va prendre, quelle protection on va prendre pour les populations, pour les travailleurs, toutes ces normes, elles sont issues au départ du modèle d'Hiroshima. Sur les survivants d'Hiroshima. Où on a dû pendant des années, essayer d'abord de reconstituer quelle était la dose qu'ils avaient reçue, selon là où ils étaient. Puis on les a suivis ces gens-là. Ils sont encore aujourd'hui suivis sur le plan médical. Donc on a un recul de 60 ans, 67 ans. Donc on a un modèle Hiroshima qui est assez solide. Ce qu'on a étudié c'est pas une cohorte de gens normaux, je dirais, au sens banal, représentatif de la population japonaise. Pourquoi ? Parce que c'était des gens qui avaient déjà survécu à une guerre puis déjà au premier choc, je dirais, puisqu'ils étaient vivants. Chez ces gens-là on a bien vu l'excédent de cancers. Ça, ça a été bien mis en évidence. Les effets génétiques n'ont pas été très bien mis en évidence. Ils ont pas été étudiés. Ils ont été très peu étudiés, ça c'est un argument, mais ce qui est aussi un argument, c'est qu'on les appelait les irradiés, les gens d'Hiroshima, hibakusha, c'est-à-dire des gens qui étaient un peu des pestiférés. C'est-à-dire, ils ont eu très peu de descendants, c'est gens-là, donc il y a eu très peu d'études par manque, je dirais de descendants en gros des irradiés d'Hiroshima. Avec Tchernobyl, et avec Fukushima, (avec Fukushima demain), qu'est-ce qu'on voit, dans les accidents nucléaires ? Déjà c'est pas le même type de radiations. Absolument. C'est l'iode, le césium, on n'est pas dans un modèle Hiroshima. Voilà, mais les gens veulent appliquer le modèle Hiroshima. Ils ont peut-être pas raison. C'est ce qu'on fait. C'est ce que veulent faire les responsables en disant, à Tchernobyl, on n'a pas vraiment vu les excès de cancer. Chaque fois qu'on voit des études nouvelles qui arrivent, qu'il y a quelque chose de nouveau qui arrive sur le tapis, tout de suite on vous dit ça correspond pas au modèle, donc on met de côté. Et on veut jamais remettre en cause le modèle. Il y a toujours un argumentaire pour dire non, non, non, ça remettrait en cause le modèle, on ne touche pas au modèle, le sacro-saint modèle. C'est quasiment idéologique. Et ça pour moi c'est totalement insatisfaisant parce que ce qui est montré et je voulais, pour terminer par rapport à votre présentation. Les cancers et les anomalies génétiques, je dis non. Aujourd'hui ce qui est montré dans les études les plus récentes c'est pas seulement les cancers et les anomalies génétiques mais c'est aussi d'autres pathologies que l'on n'a pas vraiment cherchées chez les survivants d'Hiroshima, mais rétrospectivement qu'on a quand même trouvées un petit peu c'est les pathologies cardiaques, c'est les cataractes. Mais sont-elles liées aux radiations ? Alors les cataractes oui, sans aucun doute. Par contre, les pathologies cardiaques, c'est une vraie question. Ça a été mis en évidence dans un cas où c'est le césium, quand on a une incorporation en césium 137, le césium radioactif, qui ressemble au potassium, que le corps va donc métaboliser comme du potassium, eh bien lui il va se retrouver là où il y a beaucoup de potassium dans le corps. C'est-à-dire les muscles et le sang. Le cœur est les deux. C'est un muscle et c'est du sang. Et ça a été bien mis en évidence chez des enfants dans les zones de Tchernobyl par le professeur Bandajevsky qui lui a fait des... Youri Ivanovitch Bandajevsky Professeur de médecine et anatomo-pathologiste travaillant sur les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl de 1986 Il observait beaucoup de pathologies graves, cardiaques chez des enfants. C'est quand même d'habitude rare. Et lui, à la morgue, il a récupéré, à la morgue de Gomel il a récupéré des cœurs et en anatomo-pathologie il a pu mettre en évidence qu'il y avait bien un détérioration physique du cœur que l'on pouvait corréler à la présence du césium 137. Alors évidemment c'était une nouveauté qui dérangeait, on l'a mis en prison, parce que dans ces pays-là on rigole pas. Une question de dose ? Ce qui est très intéressant, c'est de comparer les doses entre elles, du moins, dans des conditions évidemment identiques. La radioactivité naturelle par exemple. Au Japon, la radioactivité naturelle est la plus faible du monde : 0,5 millisieverts par an. En Iran, sur les plages du Brésil, sur la côte du Kerala en Inde on peut atteindre 50 à 70 millisieverts par an. Entre 0,5 et 70 millisieverts il y a un facteur finalement énorme, mais c'est que de la radioactivité naturelle. Or il se trouve que dans ces contrées-là qui sont très différentes géographiquement, socialement, il n'y a pas plus de cancers, il y en a pas moins, mais il y a pas plus de cancers qu'on estime radio-induits. Pour l'instant, les moyens épidémiologiques, je sais pas si ce sera le cas dans 10 ans, mais les moyens épidémiologiques montrent qu'on a un risque non pas nul mais un risque à peu près identique. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que si on a un plateau de risque et qu'ensuite on sait que si on élève la dose à peu près vers 500 millisieverts par an on a les premiers pourcents de risque de cancers radio-induits qui émergent. Ça veut dire qu'entre la radioactivité naturelle du Japon et la radioactivité naturelle de l'Iran, eh bien on a un plateau de risque qui nous incite à penser qu'on a des seuils. À quoi peuvent correspondre ces seuils ? Biologiquement on sait qu'une cellule va produire un certain nombre de cassures par dose. Si la dose est trop faible, il y aura pas de cassure. Si la dose est un petit peu supérieure on peut avoir des cassures mais ensuite, la cellule va pouvoir ou pas reconnaître les cassures et les réparer. Donc cette notion de seuil on le retrouve au niveau biologique également. Et puis on parlait génétique, tout à l'heure. On sait que ces notions de seuil elles se retrouvent en génétique. Quelqu'un qui est prédisposé au cancer ne va pas réagir de la même façon, ne va pas avoir le même risque à la même dose. Donc là aussi on a des questions de seuil. L'existence des seuils n'est pas véritablement remise en cause. Ce qui est le plus dur c'est sa détermination expérimentale. Moi je suis pas du tout d'accord sur la comparaison que vous faites au départ en disant au Japon il y a moins de radioactivité naturelle, il y en a beaucoup plus en Inde... Donc vous êtes d'accord. Tout à fait. Sauf que qu'est-ce qui vous permet de dire, quelles sont les études sur des longues durées, sur des grandes cohortes qui vous permettent de dire en gros il y a pas de différence ? On n'a pas vu de différence significative entre ces deux types de population. C'est très difficile de comparer. Parce qu'on va rechercher les cancers évidemment, on pense à ça. C'est très difficile de comparer, on sait très bien que les cancers, il y en a pas le même nombre au Japon qu'en Inde, déjà ou qu'en France ou aux États-Unis dans la population. Comment voulez-vous comparer honnêtement, scientifiquement, des populations qui n'ont pas les mêmes habitudes de vie, qui n'ont pas les mêmes habitudes alimentaires, qui n'ont pas la même génétique, quelque part il y a un facteur qui est quand même différent, etc. Et en disant, ce que je vais comparer c'est la radioactivité naturelle. Quelle radioactivité ? Est-ce que c'est le rayonnement qui vient du sol ? Le rayonnement qu'on dira tellurique... Le cosmique il est pour tout le monde. Oui sauf que non, le cosmique, ça dépend de l'altitude. C'est pas le même. Oh, entre l'Inde et le Japon... Enfin l'Inde, ça dépend, si on va au Tibet, évidemment. Le Kerala. On reste au Kerala. Mais le plus important dans la radioactivité naturelle c'est pas les radiations qui viennent du sol, c'est pas le cosmique, c'est le radon. Radon : Gaz rare, radioactif, incolore, inodore et d'origine le plus souvent naturelle. Le radon est une cause de mortalité par cancer du poumon. C'est reconnu par tout le monde aujourd'hui. À des doses suffisamment élevées. Le grand débat : à quelle quantité de becquerels dans l'air on va dire ça présente un risque reconnu. Au départ on était parti sur des valeurs très élevées. 600-1000 becquerels par mètre cube d'air. Et puis les Anglais ont commencé à nous alerter là-dessus en nous disant, non, non nous on pense que c'est 20 becquerels par mètre cube à partir duquel ça délivre une dose qui est de l'ordre du millisievert c'est-à-dire un demi ou un tiers de la radioactivité naturelle. Et puis aujourd'hui il faut bien reconnaître qu'on a baissé les normes sur le radon. Pourquoi on a baissé les normes ? Pas parce qu'on est plus prudent, pas du tout. On accepte le même nombre de morts mais ce qu'on reconnaît c'est qu'on avait sous-estimé le risque radon. On est en train d'uniformiser jusqu'à 1 millisievert. On considère qu'elle présente des risques et faire une référence en disant la radioactivité naturelle ne présente aucun risque. Donc nous industriels, nous médecins, nous pouvons nous permettre de donner des doses qui sont au moins égales à la radioactivité naturelle. C'est pas du tout ce que disent les normes internationales. Alors je reprends ce que vous avez dit sur le radon. Le radon il vient de quoi ? Il vient du matériau du sol, qu'on utilise pour faire la maison. Que je sache on n'utilise pas un matériau japonais pour aller construire en Inde. Donc s'il y a une radioactivité naturelle plus élevée en Inde, évidemment il va y avoir des matériaux qui seront plus riches en radon. Donc là, effectivement on a un parallèle entre le radon et la radioactivité naturelle. Donc le radon c'est effectivement un des aspects les plus importants en terme de risque de la radioactivité naturelle. Encore faut-il passer les seuils où on a déterminé un risque significatif. Je reprends également une autre chose. C'est que à partir de quoi on détermine le risque zéro ? Si on met un dosimètre dans cette pièce il va crépiter. Il n'y a pas d'endroit dans le monde où il n'y a pas de radioactivité naturelle. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'à partir du moment où on a de la difficulté pour donner le zéro, il faut le fixer par convention. Comment on peut le fixer par convention ? On le fixe seulement à partir justement des études épidémiologiques qui nous disent quoi ? On sait à peut près que 100 millisieverts en une seule fois c'est le seuil pour les leucémies, les risques de leucémies. 200 à 250 millisieverts c'est le seuil à risque pour les cancers solides. À partir de ce moment-là, qu'est-ce qui se passe en dessous ? On ne sait pas en terme épidémiologique le mesurer. On ne sait pas le mesurer significativement en terme de leucémie et en terme de cancer solide. Il peut y avoir d'autres effets biologiques avant et j'en suis convaincu. Justement depuis les années 2000 il y a des études qui aujourd'hui, des méta-études... Rapports de l'Organisation mondiale de la santé, 1995 et 2005 Et heureusement qu'elles sont là et je salue les gens qui l'ont fait. Il y a une étude mondiale sur tous les travailleurs du nucléaire... Oui mais c'est intéressant. Pourquoi ? Parce que là on a des gens... On parle pas de la même dose pour les travailleurs du nucléaire, du moins de la même répartition de doses. La radioactivité naturelle c'est une faible dose en continue. Les travailleurs du nucléaire vont être soumis à plusieurs doses faibles et répétées. Radiobiologiquement ce n'est pas la même chose. En radiobiologie 2+2 n'est pas égal à 4. Mais ça veut pas dire qu'il va y avoir un risque nul, j'en conviens complètement. Mais on ne peut pas comparer des effets dus à une dose faible continue et avec des faibles doses répétées auxquelles sont soumis les travailleurs de l'industrie nucléaire, auxquelles sont soumis les astronautes, auxquelles on peut être soumis en mammographie aussi. Dans l'étude dont vous avez parlé on ne fait pas du tout cette – on n'introduit pas du tout cette notion de répétition de doses parce que les répétitions de doses ça peut entraîner des effets additifs, c'est-à-dire une dose tous les jours c'est à peu près la somme des effets dus à chaque dose. Mais une dose à quelques minutes près, à quelques heures près ça peut entraîner des effets complètement différents car les cellules vont pas avoir le temps de terminer de réparer avant la deuxième dose. Donc cette étude épidémiologique elle a un seul mérite c'est qu'elle est la première à avoir voulu rassembler des données pour montrer à peu près je crois en Europe, ce qui se trouve... Dans le monde. Dans le monde, ce qui se trouve en terme de dose et de répartition des doses par pays, par personne, par travailleur du nucléaire. Donc aujourd'hui il va falloir peut-être introduire dans le système sievert qui a sauvé des milliers de gens en diminuant la dose. Sievert : Unité utilisée pour donner une évaluation de l'impact des rayonnements sur l'homme Cette notion de répétition. Cette notion comme quoi sommer les doses sur l'année, c'est peut-être sous-estimer certains risques. Des maladies à la clé ? Les maladies qu'on a mises en évidence dès le départ et qu'on savait pas c'est les cancers, les anomalies génétiques, moins bien, chez les survivants d'Hiroshima. C'est vrai qu'au fil du temps, nos connaissances se sont affinées et on a pu d'abord un peu sérier dans les cancers, voir que les leucémies apparaissaient avant et les autres cancers solides plutôt après. Mais aujourd'hui on est bien obligé de se poser la question sur les autres pathologies que l'on peut corréler avec les rayonnements ionisants. Et là il y a un travail énorme à faire qui n'a pas été jusqu'à présent abouti, ce travail. Je me pose beaucoup de questions sur comment le rayonnement agit au niveau de la cellule. Le rayonnement ou une radiation, elle a une énergie colossale. Elle arrive dans un milieu biologique qui lui est très fragile. L'énergie qu'il y a entre les liaisons carbone-carbone, c'est une énergie très faible, de l'ordre de l'électron/volt. L'énergie ionisation c'est quelques électrons/volt et là vous avez un rayonnement qui lui, en puissance, il est à des centaines de milliers d'électrons/volt. Donc il n'a que des effets destructeurs. Alors on se pose la question derrière si ce rayonnement, est-ce qu'il va d'abord perturber, agir que sur les cellules qu'il va rencontrer sur son chemin, donc le nombre de liaisons qui vont être coupées. Ou est-ce que ce rayonnement il va pas aussi agir sur les cellules autour, ce qu'on appelle l'effet bystander, l'effet de proximité. Est-ce que ces cellules autour ne sont pas perturbées par le passage du rayonnement ? Comment on peut imaginer que l'énergie elle est distribuée de manière uniforme, puisque c'est la définition même dans un kilo de matière ? Non, là où il y a les rayonnements qui passent. Il y a tout un tas de questionnements qui vont forcément venir un jour et qui mettront en évidence que d'autres pathologies que les cancers peuvent être tout à fait corrélées à la radioactivité, au rayonnement ionisant. Alors on a fait un grand écart entre la physique et la clinique, c'est très bien. Mais l'idée de répartition de l'énergie elle est assez connue. C'est une sorte de pluie de micro dépôts d'énergie qui va se déposer sur toutes les cellules, de façon assez uniforme, sauf dans le cas par exemple de particules très énergétiques qui elles vont faire un parcours beaucoup plus rectiligne et beaucoup plus dense en énergie. Donc déjà c'est vrai, et ça le système sievert a retenu cette idée que les ions lourds, les X, suivant l'énergie, on n'a pas tout à fait les mêmes effets. Les coefficients qui sont appliqués là-dedans sont censés tenir compte de ça. Ils sont aussi discutables. J'estime qu'ils devraient être discutés en tout cas. Alors ils sont d'autant plus discutables que là on mélange deux choses. Notamment pour le facteur individuel on va avoir le même problème. On mélange le risque de mort cellulaire, ce qu'on appelle la radio-sensibilité, le risque de brûlure par exemple et le risque de mauvaise réparation c'est-à-dire le risque de cancer. C'est pas tout à fait la même chose puisqu'on a va avoir une compétition dans le cellule même entre les cassures qui vont être non réparées, bien réparées, mal réparées. Tout va dépendre, cet équilibre va dépendre des systèmes de réparation qui sont actifs ou pas suivant la personne et suivant le type de radiation. Revenons au facteur individuel. Il existe des maladies génétiques dont on sait qu'elles sont très rares. Des maladies génétiques par exemple l'ataxie télangiectasie qui prédispose au lymphome, dans les années 70 on irradiait en irradiation totale corporelle les enfants atteints de cette maladie et deux jours après on avait un décès parce qu'ils sont hyper radio-sensibles. Ces maladies sont aujourd'hui connues et très rares. On n'a pas en terme d'incidence une vraie significativité de ces maladies. Ce sont des incidence de 1 %/1000 dans la population mais il faut quand même les considérer. Par contre, ce qui est le plus important c'est des maladies génétiques qui sont elles plus associées aux cancerx et donc aux radio-induits où là on a des incidences dans la population qui peuvent aller à quelques pourcents. Et ce sont ces maladies-là qui ensemble peuvent former 5 à 15 % de la population qui peut être prédisposée à un risque plus important de cancers. Et il faudra les considérer dans les accidents nucléaires et dans l'exposition médicale. Ça commence à l'être. Je reconnais qu'il peut y avoir une radio-sensibilité différente suivant les personnes, avec des effets peut-être d'origine génétique je le nie pas. N'empêche que dans une grande quantité de population, si on vous dit Tchernobyl ça a fait tant de cancers de la thyroïde en France en excès, parce qu'en fait on le sait pas. Pourquoi ? C'est ce que je voulais dire tout à l'heure, pourquoi on sait pas ? Parce que on ne veut pas faire d'études. Non, c'est pas qu'on veut pas. On ne veut pas faire d'études. L'état français a bloqué... On a le droit de trouver un risque nul. L'état français a bloqué toutes les études épidémiologiques en France sur les cancers de la thyroïde, ce qui permet de dire à beaucoup de gens, de dire il n'y a pas eu d'effet Tchernobyl, d'effet sanitaire Tchernobyl en France, pas d'excès de cancer de la thyroïde. Alors évidemment comme on en voit en excès on a cherché ailleurs, on a dit ça peut pas être Tchernobyl, on va aller regarder ailleurs. Est-ce que on n'a pas des biais qui auraient permis de dire on en voit plus parce qu'on les cherche, tiens, au fait. Avant on les cherchait pas donc on les trouvait pas. C'est n'importe quoi. L'état français, et là je pèse mes mots, a tout fait pour empêcher ces études, malgré les demandes des citoyens, malgré les associations, malgré les élus locaux qui ont demandé ces études, elles n'ont pas été faites. Chaque année il y a un rapport sur les incidences de cancers en France. Qui est basé sur combien de registre des cancers en France ? Avec tous les registres de tous les cancers. Il y en a combien ? Pour l'instant il y en aucune... Il y en a combien de registres de cancers ? Pour l'instant il n'y a aucune corrélation. Il faut parler des choses vraies. Pour l'instant il n'y a aucune corrélation prouvée, dans l'état actuel des connaissances entre l'effet Tchernobyl et l'incidence des cancers de la thyroïde totale. Les cancers de la thyroïde radio-induits, c'est sur des enfants qu'on va les observer. C'est sur les enfants. Ça a été observé sur les enfants à Tchernobyl. On a 50 ans de littérature scientifique derrière qui nous le montrent. La deuxième chose c'est les cancers de la thyroïde adultes. Là on est dans un autre domaine, éventuellement de radiation, mais aussi de biologie, puisque c'est pas du tout la même intégration. Et donc là c'est encore pire. C'est que les incidences de cancer ne suivent absolument pas la courbe de Tchernobyl et des éventuelles émanations d'iode radioactive qui sont venues en France. Je voudrais revenir sur le facteur individuel. Qu'est-ce qui vous permet de dire ça ? Ça c'est des affirmations qui sont totalement gratuites, qui reposent sur aucune étude scientifique, je suis désolé. Alors l'incidence des cancers de la thyroïde a augmenté entre Tchernobyl et Fukushima peu, très peu, j'allais dire de façon naturelle, notamment dû à la détection des cancers de la thyroïde, mais sur les adultes. Donc mathématiquement, s'il y avait eu des cancers de la thyroïde enfant dus à Tchernobyl en France, on l'aurait su déjà et on serait dans cette cohorte-là. L'argument qui est donné qui est de dire on n'a pas vu, il y a pas de relation avec Tchernobyl ça ne tient pas. Vous savez combien il y a de registre des cancers de la thyroïde en France ? On va renverser la question si vous voulez bien. Il n'y en a qu'en Champagne Ardenne, alors d'où sortez-vous vos chiffres ? Non les cancers thyroïde ils sont nationaux. Tous les cancers... Non, il n'y a pas de registre. On a une vision annuelle de tous les cancers en France. Non, on a une vision grossière. Grossière, pas fine. Elle est tellement grossière qu'elle suffit à démontrer... On est nul à ce niveau-là. Au niveau registre des cancers, il y a quelques années il y avait un chiffre : 13 % des Français était couverts par un registre. Je suis désolé. Alors comment on fait des statistiques ? Les épidémiologistes sont obligés d'aller gratter dans d'autres sources d'information. C'est les arrêts longue maladie, c'est les médicaments que l'on va prendre, c'est, etc. Oui il y a des moyens autres que les registres des cancers. Mais le registre des cancers est quand même un sacré outil pour faire des études. C'est bientôt fini, il est temps de conclure. Je pense que l'enjeu de demain pour les faibles doses c'est à la fois de mieux détecter, de mieux détecter les doses ça on sait assez le faire en ce moment, mais mieux détecter les personnes à risque. Alors ça veut dire qui et ça veut dire quels risques. Donc ça voudra dire, ça a une autre conséquence, c'est que comme le système de radioprotection actuel considère que nous sommes égaux face à des radiations, on pouvait pas faire autrement vu les connaissances à l'époque, c'est-à-dire dans les années 50-60. Encore aujourd'hui il y a des incertitudes. On a les moyens technologiques, scientifiques, conceptuels aujourd'hui de déterminer ce facteur individuel. J'ai envie de dire, si on trouve qu'il y a effectivement 5 à 15 % de la population qui est plus à risque, faut-il s'en arrêter là ? Et ne pas les considérer. Ou au contraire faut-il appliquer, raffiner les systèmes de radioprotection ? Quand je dis les systèmes de radioprotection c'est à la fois l'unité de radioprotection mais aussi les mesures à prendre en cas d'accident. C'est aussi les mesures à prendre en terme de diagnostic, de maladies de cancers, surtout des diagnostics irradiants comme les mammographies. Je suis d'accord, sur ça, il y a des incertitudes là-dessus et il y a des vraies problématiques. Par contre ce que moi je dirais c'est que ce qu'on sait déjà là-dessus, dans une cohorte, c'est-à-dire dans une population, il y a des personnes les plus à risque. Ce sont les enfants. Or, on l'a encore vu récemment avec le Japon, on n'en tient pas compte au niveau des autorités locales. Pourtant la réglementation internationale dit clairement, il faut traiter les enfants de manière différente. Eh bien malheureusement en cas d'accident, c'était le cas à Tchernobyl, c'était le cas en France au moment de Tchernobyl, c'est le cas aujourd'hui au Japon. Il a fallu une mobilisation de la population japonaise pour qu'on accepte de traiter de manière un petit peu différente les enfants. Mais il faut se bagarrer pour l'avoir ça. C'est déjà fini, merci. À très bientôt au même endroit, avec deux nouveaux invités pour débattre et s'écouter.
Réalisation : Sylvie Allonneau
Production : Universcience
Année de production : 2012
Durée : 34min47
Accessibilité : sous-titres français