Avec quel vin trinquerons-nous en 2050 ? Pourra-t-on même continuer à en produire sur notre territoire ? La viticulture française, second producteur de vin au monde après l’Italie, est confrontée depuis plusieurs années à ces questions. Elle fait face à l’augmentation des températures et à la répétition d’épisodes climatiques extrêmes, comme le gel ou la sècheresse, qui causent des pertes irréversibles. Il y a donc urgence à comprendre la capacité d’adaptation de la vigne à ces bouleversements pour préserver un patrimoine en péril. Plus que la chaleur, c’est le manque d’eau qui impactera le plus fortement nos vignobles à l’avenir. Un sujet d’étude tout trouvé pour une équipe de l’INRAE qui cherche à percer les mystères de la vigne sans aucune modération. Pour tenter d’imaginer à quoi ressemblera le vin demain, nous avons rendez-vous au domaine de Vassal, près de Sète. En ce début mai, le généticien Patrice This est venu observer le développement des raisins parmi des vignes pas tout à fait comme les autres. Sous le soleil du Languedoc, écrasés par des épisodes de sècheresse de plus en plus réguliers, chaque plante poursuit un rythme de croissance qui lui est propre. "Si on regarde ces deux variétés de part et d’autre on voit des différences très importantes. Tout d’abord au niveau du stade de développement, ici vous avez des baies qui sont beaucoup plus rondes, bien formées, donc cette variété est précoce. De l’autre côté, vous avez au contraire une variété qui elle est beaucoup plus tardive : les baies sont beaucoup plus petites, elles commencent réellement leur développement." Sur ce banc de sable de 27 hectares ont été regroupées près de 3000 variétés de vitis vinifera, la vigne la plus cultivée pour la production de vin. Cette collection initiée dans les années 50 est aujourd’hui la plus importante au monde. Un matériel végétal qui permet aux chercheurs de l’INRAE de caractériser sur le terrain les phases de développement de la vigne, depuis le démarrage des bourgeons jusqu’à la maturité des raisins en passant par la véraison, lorsque le sucre s’accumule dans les grains. "Un des effets du changement climatique sur la composition des raisins c’est en particulier l’augmentation de la quantité de sucre. Le sucre est transformé lors de la vinification en alcool, donc le changement climatique donne des vins plus riches en alcool. L’augmentation de la température a aussi un effet sur l’acidité des vins. Le changement climatique réduit la quantité d’acides dans les baies. Nous pouvons ici, sur Vassal, regarder et identifier des variétés pour lesquelles la réduction de l’acidité est moindre et donc les utiliser éventuellement pour les vins de demain." Le vin de demain sera-t-il issu de variétés de vigne déjà existantes ou bien de variétés nouvelles créées en laboratoire ? Pour le savoir, direction Montpellier. Sous ces serres de l’INRAE se déroule une expérience qui a réclamé près de 4 ans de préparation. Les chercheurs ont sélectionné 280 variétés de vitis vinifera représentatives de la diversité génétique mondiale pour les soumettre à une sècheresse contrôlée. "Grâce à cette plateforme, on peut toutes les soumettre au même niveau de sécheresse. C'est vraiment le gros avantage de cet outil. Elles sont chacune dans des pots. Leur irrigation est gérée de façon individuelle. Chaque plante a une destinée, soit à être maintenue bien irriguée, ce sont nos plantes témoins. Ensuite on a un premier niveau de sècheresse plutôt modérée qui correspond assez fidèlement à ce que les vignobles expérimentent classiquement. Pour produire du vin, on a besoin d’un petit déficit hydrique pour qu’on ait une bonne accumulation en sucre avec un bon rapport entre les sucres et les acides. Mais ce qui se passe avec le changement climatique c’est qu’on atteint de plus en plus des niveaux de sècheresse beaucoup plus drastiques et c’est ce qu’on cherche à faire avec notre troisième scénario qui va plus loin et qui va vraiment pouvoir provoquer des effets plus néfastes et irréversibles sur la plante." Pour observer la réaction des plantes à ces différents scénario, les scientifiques disposent d’une cabine d’imagerie. Une caméra latérale prend quotidiennement 12 photos pour estimer la biomasse de la plante et suivre sa croissance. Un algorithme identifie la position de la grappe ce qui permet de collecter des données à l’échelle d’un grain de raisin. "On a identifié sur une grappe 6 baies différentes avec des petites bagues de couleur et on les suit donc depuis que cette plante est arrivée dans la plateforme. Deux ou trois fois par semaine on mesure chacune de ces baies pour suivre l’évolution des sucres dans la baie et détecter quand est-ce que le stade véraison commence, quand est-ce qu’il y a cette accumulation forte qui arrive. Et puis une fois que ça a eu lieu, comment la sècheresse qu’on va mettre en place va impacter ensuite l’évolution de ces baies." Après analyse, sur plus d’une centaine de variétés, les chercheurs constatent déjà des effets très contrastés de cette sècheresse contrôlée. Certaines vignes parviennent à maintenir une photosynthèse assez importante pour garantir des baies nombreuses et de qualité. Ce sont elles qui pourraient demain s’implanter dans les vignobles particulièrement frappés par la hausse des températures. À moins que la génétique ne s’en mêle, en isolant les gènes favorisant la résistance à la sècheresse et ainsi donner naissance à de nouvelles variétés. "La connaissance de la résistance à la sècheresse qu’on aura dans l’expérimentation va nous permettre de choisir des parents les plus résistants. Donc on fait ce croisement-là et dans la descendance, on sélectionne les individus les plus intéressants. La résistance à la sècheresse n’est qu’un des caractères qui nous intéressent. Bien sûr il faut aussi que la variété produise un raisin de bonne qualité qui va donner des vins de qualité." Le vignoble français ne disparaîtra pas sous l’effet du changement climatique. Mais il devra évoluer en adoptant de nouveaux cépages ou en s’installant dans des régions plus favorables. Ailleurs sur la planète, la vigne gagne déjà le Nord, en quête de fraîcheur. C’est le signe d’une résilience prometteuse. Et l’occasion de se réjouir du verre encore à moitié plein.
Réalisation :
Barbara Vignaux , Pierre De Parscau
Production :
Universcience, CNRS, IRD, Inrae
Année de production :
2022
Durée :
7min33
Accessibilité :
sous-titres français