Les rats sont-ils nuisibles en ville ?
Avec les dernières inondations survenues à Paris, les citadins s’inquiètent de l’augmentation exponentielle de la population de rats et du potentiel risque sanitaire que cela pourrait engendrer. Qu’en est-il réellement ? Benoît Pisanu, chercheur en écologie au Musée national d’histoire naturelle, et Pierre Falgayrac, expert en lutte raisonnée contre les rats, reviennent sur ces questions.
À lire aussi : notre enquête « Trop de rats en ville ? »
Réalisation : Anthony Barthélémy
Production : Universcience
Année de production : 2019
Durée : 24min44
Accessibilité : sous-titres français
Les rats sont-ils nuisibles en ville ?
VERSUS LES RATS SONT-ILS NUISIBLES DANS LES VILLES ?
Je m'appelle Benoît Pisanu. Je suis chercheur. Je m'intéresse aux espèces exotiques envahissantes. Je pense que la mauvaise réputation du surmulot est surfaite et je cherche à connaître sa place et son rôle dans la biodiversité en ville. Pierre Falgayrac Je suis Pierre Falgayrac, spécialiste de la lutte raisonnée contre les rats. Je maintiens que l'on peut vivre en parfaite harmonie avec les rats, si on apprend à les connaître, parce que eux manifestement nous connaissent mieux que nous nous les connaissons. RETRO
Archives 1 Voici votre ennemi : le rat. Il s'appelle différemment dans les différents pays. Mais dans toutes les langues, il est connu comme vandale. Pendant des siècles, l'homme a combattu sans l'arrêter la destruction et la maladie causées par ces vandales nocturnes.
Archives 2 À la différence d'un système écologique naturel possédant toute une variété d'animaux et de plantes, la ville est dominée par une seule espèce. Ici, l'homme a pris possession de tous les recoins écologiques. La plupart des autres animaux ont été délogés, souvent obligés de disparaître. À première vue, ce qui semble le plus sauvage dans la ville, ce sont ses habitants humains.
Archives 3 Allô, allô ! Campagne générale de dératisation ! Distribution gratuite de produits raticides à la voiture haut-parleur. Campagne générale de dératisation !
Archives 4 Dans la famille, tout le monde en est mordu. Une manière originale aussi de responsabiliser les enfants. Futé, affectueux, sociable, curieux de tout : le petit animal rassemble de nombreuses qualités.
Archives 5 - Regarde dans le bac, mets-toi au-dessus ! Eh moi j'y vais pas ! Lève, lève, lève ! Filme, filme ! Regarde y en a combien ! - Ouah, gros ! Ouah, un million de rats, wesh !
LES RATS SONT-ILS NUISIBLES DANS LES VILLES ? Pierre Falgayrac Les rats sont-ils nuisibles dans les villes ? Non. Les rats sont des êtres commensaux. Ça vient des Romains. Ça signifie littéralement qu'ils s'invitent à notre table sans trop nous nuire. Apparemment, ils nuisaient beaucoup moins aux Romains qu'à nous aujourd'hui. Le rat est un opportuniste. Il est guidé par un odorat qui est dix fois plus discriminant que celui du chient. Et comme il a un gros appétit, il consomme entre 5 et 10 % de l'équivalent de son poids chaque jour. Il se rapproche en priorité d'une source de nourriture. Dans le cas du surmulot, de préférence carnée. Et il va chercher à creuser son terrier le plus près possible de cette source de nourriture. Et il ne sortira de son terrier que pour manger, boire, ronger ses incisives hypsodontes à croissance continue. Donc il va ronger tous les matériaux, sauf le béton et l'acier. Et il va stabiliser sa population en fonction de la quantité de nourriture disponible et des opportunités de nidification. Tant que les rats consomment des déchets que nous ne savons pas bien débarrasser, que nous n'avons pas su nettoyer, ils sont pas vraiment nuisibles. Quand ils font leurs terriers dans le limon des avaloirs d'égouts, ils affaiblissent ce limon et ils permettent, lors d'épisodes orageux violents, le lessivage de ces avaloirs. Donc ils participent au bon entretien des égouts. Ils y mangent le peu qu'il y a à manger. Mais ce qui est certain c'est que si les rats se réfugient dans des endroits souterrains, comme les égouts, c'est pour mieux en sortir pour manger ce qu'il y a en surface. Parce qu'il y a rien à manger en bas. Donc les rats ne sont pas nuisibles, si la cité est organisée pour vivre en harmonie avec lui. Force est de constater que toutes les villes ne sont pas égales. On parle beaucoup de Paris depuis trois, quatre ans. Mais on ne parle pas du tout de Toulouse qui construit aussi un métro et qui n'est pas confrontée au problème des rats comme Paris. Je pourrais citer aussi un de mes clients, la principauté de Monaco, où on compte les rats sur les doigts d'une main, puisque la ville est extrêmement propre et les égouts ne sont pas favorables pour que les rats puissent y nicher. Donc le rat n'est pas si nuisible que ça quand on le connaît bien et qu'on sait vivre en harmonie avec lui. Malheureusement, on apprend pas à l'école à vivre en harmonie avec le rat. Le problème est principalement ici. Benoît Pisanu Oui effectivement, je partage en fait la grande majorité de ce que vous venez de dire. Pierre Falgayrac Merci. Benoît Pisanu C'est effectivement un animal qui vit depuis fort longtemps avec l'homme. On dit qu'il a été introduit, on va dire... Les historiens disent qu'il a été introduit à la fin du 18ème siècle, on va dire, en Europe, mais... probablement avant, probablement avant. Encore faut-il un petit peu gratter sur un certain nombre d'informations, mais il est probablement d'origine plus ancienne. Et par rapport aux films qu'on vient de voir, on voit bien une dimension importante de l'appréciation du citoyen dans la ville, comme... comme vous le faites remarquer, qui, à mon avis, est déterminante dans notre approche à la fois des éléments de sa connaissance et d'amélioration de sa lutte un peu plus raisonnable et raisonnée. Et donc c'est effectivement là où je pense qu'il y a un élément crucial à bien faire comprendre, l'école y participe, mais les médias et les experts y participent aussi, d'essayer de faire justement en sorte que un certain nombre de débats passionnés, qui d'ailleurs au delà du rat concernent y compris la vie dans les villes, la biodiversité dans les villes, quelle qu'elle soit... Et donc en fait, tout cet ensemble de questionnements, en tout cas, moi, m'anime de telle manière à poser un certain nombre de questions, par rapport à d'éventuels défauts, d'éventuelles lacunes que l'on pourrait avoir sur ces animaux qui vivent dans ces grandes cités urbaines, qui ont été complètement modifiées, qui représentent des nouveaux milieux... qui sont extrêmement mouvants et qui sont perturbés au gré... des comportements de la multitude qui y habite. Et du coup, comment un peu réconcilier, effectivement... un certain nombre de citoyens pour essayer de se réapproprier ce milieu naturel, le gérer le plus raisonnablement possible parce que... quand même, n'oublions pas, le rat est... pose un certain nombre de problèmes de risques sanitaires, économiques et peut-être même en termes de biodiversité. Et donc, c'est tout un ensemble de questionnements qui me motive aussi. Pierre Falgayrac Tout à fait. Je pense que comme je l'ai souligné dans mon premier livre, ce qui manque, c'est la... Ce qui manque, c'est l'éducation sur le rat. C'est quand même curieux qu'on apprenne les microbes dès la maternelle pour apprendre à se laver les mains, on apprend l'hygiène depuis. Mais on a perdu le rat en route, parce qu'on s'est intéressés au rat trop tard et on l'a perdu à l'école. Si on connaissait bien mieux le rat, on en aurait moins peur et on saurait beaucoup mieux comment se préserver de ses méfaits. L'éducation nationale, malheureusement, est un pachyderme qu'il est difficile de remuer. Et avant que le rat réintègre les programmes, je crois que ce sera aux médias à faire le nécessaire : présenter le rat sur ce qu'il est vraiment. C'est pas un ami. Mais c'est loin d'être un ennemi. D'autre part, en matière de recherche, on a quand même l'avantage de bénéficier des recherches qu'ont fait les Nord-Américains depuis l'entre-deux-guerres et depuis... et depuis l'après-guerre. La recherche sur les rats, en fait, elle démarre avec la découverte de la bactérie Yersinia pestis par Alexandre Yersin en 1894, par le mode de transmission de la peste par Paul-Louis Simond en 1896. Là on réalise, à une époque où les scientifiques ne croient pas que les insectes puissent donner des maladies, on réalise que c'est la puce du rat noir, qui donne la peste. Et ça déclenche des études sur les rats dans le monde entier. Et on a une étape importante en 1914 avec Bacot et Martin, qui démontrent que les puces capables de donner la peste se comptent sur les doigts de la main. La puce du surmulot, par exemple, ne peut pas donner la peste. On sait aujourd'hui, en réunissant toutes les connaissances sur le rat, on sait comment il vit, comment il est organisé en société, comment il prolifère ou ne prolifère pas. Moi, je considère qu'on sait tout sur le rat. On n'a plus grand chose à apprendre sur lui. Il faut juste aller chercher l'info là où elle se trouve. Benoît Pisanu Alors effectivement, pour revenir sur le problème du rat noir et de la peste... Parce que je pense que c'est un point vraiment crucial de la perception que vont avoir les citoyens aujourd'hui d'une crainte probablement liée à un amalgame, liée à la peur de la peste. Pierre Falgayrac Tout à fait. Benoît Pisanu Rappelons, rappelons vraiment... Je réinsiste sur ce point-là. Probablement un point extrêmement important. C'est bien le rat noir, qui a une origine complètement différente et qui est une espèce différente de celle du surmulot, notre rat d'égout qu'on voit la plupart du temps, qui a été engagé dans les grandes épidémies de peste, et notamment le rôle de la fameuse puce du rat noir, alors que le surmulot n'y est pour rien. J'insiste là-dessus. Une des dernières, je crois, épidémies de peste qui a eu lieu à Madagascar en... ça doit être en 2014, si ma mémoire est bonne. Pierre Falgayrac Oui, oui, chaque année. Benoît Pisanu Chaque année il y a une réémergence, résurgence qui est liée au rat noir. Alors en ce qui concerne le surmulot, de manière très surprenante, d'autres collègues m'avaient ramené des individus qu'ils avaient retrouvé morts et qui étaient entièrement noirs. Ventre noir, dos noir. Et ça, ça a été ma première surprise. Et des analyses ont montré que, du coup, en fait il s'agissait bien du surmulot avec une grande variabilité de la couleur du pelage. Et ça, moi... Ça nous a interrogé, m'a interrogé et nous a interrogé, l'équipe, en disant : "Mais ne reste-t-il pas du rat noir quand même autour de Paris ?" Et cela nécessiterait... Pierre Falgayrac Si. Benoît Pisanu ...de faire une exploration un peu plus globale d'un certain nombre d'endroits où il serait susceptible de rester. Pierre Falgayrac Les clients que je reçois en formation, les professionnels, parlent encore de persistance de rat noir en centre ville. Benoît Pisanu D'accord. Pierre Falgayrac Dans les cœurs historiques des villes. Mais c'est surtout à la campagne qu'on le rencontre. Surtout à la campagne. Benoît Pisanu Et donc je pensais que justement par exemple, une amélioration de la connaissance de la distribution, sachant que le rat noir, je crois en fait est quand même... aime bien les milieux... en tout cas peut survivre dans les milieux élevés et secs. Pierre Falgayrac Élevés et secs. Benoît Pisanu Alors que le surmulot, c'est en bas. Pierre Falgayrac À terre, humide. Benoît Pisanu Et donc, essayer d'identifier peut-être des populations reliques de rat noir. Ça, c'était la toute première chose. Plein d'études ont été réalisées, en fait, en France aussi depuis ces 50 dernières années, 60 dernières années. Mais vraiment, par exemple dans une grande ville comme Paris, on manque cruellement d'informations sur la distribution, où est-ce qu'ils sont réellement. Est-ce qu'on peut pas essayer d'avoir des points d'observation pour rattacher et mettre en relation leurs présences, sachant qu'ils sont probablement partout. Mais, par exemple... moi je fais référence à une étude de la ville de Salzbourg en fait, qui montre que, par exemple, les rats quand même, les surmulots aiment bien dans ces villes-là les zones végétalisées avec des sols profonds, à côté des cours d'eau. Mais est-ce que ce sont les seuls lieux ? Moi, c'est une question qui m'interroge. RÉACTION « LES RATS NE SONT PAS SYNONYMES DE SALETÉ. CE SONT DES ANIMAUX EXTRÊMEMENT PROPRES. ON PEUT AVOIR UNE VILLE PROPRE AVEC DES RATS. » PHILIPPE REIGNÉ, CO-FONDATEUR DE L’ASSOCIATION ZOOPOLIS. LE PARISIEN, 2018 Pierre Falgayrac Je suis relativement d'accord avec ça. Ce sont des animaux propres. Ceux qui élèvent des rats peuvent en témoigner. Dans la nature aussi, ce sont des animaux très propres. Le problème des rats, c'est que... avec leurs incisives hypsodontes qui poussent en permanence, ils vont créer des dégâts dans notre environnement, notamment des dégâts électriques, des affaissements de chaussées, de trottoirs, ce qui va occasionner des chutes, des... Donc, ce n'est pas une bonne chose de considérer qu'ils sont inoffensifs. Ils sont loin d'être inoffensifs. Ce n'est pas de leur faute si le biotope urbain est plein de plastique d'électricité, mais, c'est à nous à répondre au rat. Il faut pas le laisser faire, pour notre sécurité. Je ne pense pas, ensuite, que... les campagnes qui ont été orchestrées ces dernières années... pour stopper le génocide des rats pour adopter un rat, comme on l'a vu dans le métro... Ça, c'est symptomatique de gens qui... qui ont une vision parcellaire de la chose. Et c'est dommage parce que ça... ça perturbe le grand public dans ce que devrait être la perception exacte du rat. Benoît Pisanu On ne peut pas nier le fait... En tout cas, la phrase telle qu'elle a été montrée est un petit peu trop exagérée, au sens où on souhaiterait montrer une image du rat qui est sympathique, propre, etc. Bon. Comme n'importe quel animal sauvage, ce sont des animaux propres. Pierre Falgayrac Bien sûr. Bien sûr. Benoît Pisanu Voilà. Il y a... Ils s'organisent, etc. Quand ils sont sales, c'est qu'ils sont malades eux-mêmes. Pierre Falgayrac Tout à fait. Benoît Pisanu Et bon voilà, comme... Comme tout un tas de problèmes. Il faut pas effectivement, et je suis tout à fait d'accord aussi, minimiser les risques sanitaires, économiques, et éventuellement même aussi, si on reréfléchit sur la nature en ville, peut-être leur impact sur la biodiversité en ville, comme on peut le voir par ailleurs dans le milieu sauvage. Quoiqu'il en soit, ce n'est pas raison pour les vouer aux gémonies, comme on a pu l'entendre, ou les sanctuariser, comme on pourrait aussi l'entendre. Pierre Falgayrac Tout à fait. Tout à fait. Benoît Pisanu Il faut bien évidemment accroître, de mon sens, une certaine connaissance, qui peut malgré tout être encore défaillante sur certains de ces points, pas tous, parce qu'on a encore une fois beaucoup travaillé, pour aller un petit peu plus loin, pour essayer d'avoir un discours un peu plus raisonné, raisonnable, autour de cet animal. Mais ce qui est très marquant, c'est qu'on a du mal à voir la communauté médicale, par exemple, nous donner des informations claires, précises par exemple sur l'incidence de la leptospirose, parlant de la maladie véhiculée par le rat. Cette incidence-là nous manque. Pierre Falgayrac Alors… Il y a une recrudescence de la leptospirose depuis une dizaine d'années. qui est concomitante à la recrudescence, si l'on peut dire, 24des loisirs nautiques en rivières ou en lacs, où là les réservoirs de leptospirose sont le ragondin et le rat musqué. Pas le surmulot. Les seules personnes exposées à la leptospirose du surmulot, ce sont les égoutiers, qui doivent être vaccinés. Benoît Pisanu, les études qui démontrent que les rats sont porteurs de 16 virus et cetera, si on regarde dans le miroir de l'histoire, le surmulot n'a jamais été responsable de zoonose. Jamais. Pourquoi craint-on qu'il le devienne demain ? Pourquoi se mettre martel en tête et se faire peur, parce que les moyens d'investigation modernes permettent de remarquer aujourd'hui qu'il porte 18 microbes, alors qu'il y a dix ans, on en trouvait que quatre. On n'a pas à s'inquiéter de ça. Si le rat surmulot était vecteur de maladies, l'espèce citadine serait décimée depuis qu'il y a des égouts en ville. Benoît Pisanu J'approuve encore. Je vais vraiment dans ce sens-là. Il y a donc un certain nombre de problèmes. Et là encore, je pense qu'on manque peut-être un petit peu, toujours pareil, de suivi régulier dans le temps, d'échantillonnage, etc. Alors, c'est réalisé en partie, mais... pour quand même malgré tout rassurer la population qui reste encore avec une grande crainte. Donc là, il faut à mon avis, malgré tout promouvoir une démarche de précaution. Et c'est tout l'objet en fait, de la gestion raisonnée-raisonnable. Pierre Falgayrac C'est un vaste sujet. Benoît Pisanu Avoir un principe de précaution en tête, et puis avancer pas à pas, et tenter d'évaluer avec des outils les plus précis possibles sachant que c'est très compliqué. Et comme vous le faisiez très justement remarquer, un des points clés en fait, et qui nous manque cruellement, c'est de savoir combien il y en a. Combien y a-t-il de rats ? Puisque, vous avez complètement raison, tous les risques sont associés à leur nombre Quand on les laisse déborder, c'est là où les problèmes arrivent. Et du coup moi, dans ma démarche de chercheur aujourd'hui, j'en suis arrivé à cette question-là : c'est que je me suis aperçu que, autant dans d'autres types de milieux plus sauvages, c'est malgré tout relativement facile à attraper, étudier, pour essayer de savoir combien il y en a, mais... Là en ville, j'ai été extrêmement surpris. Pas plus tard qu'il y a trois semaines, j'ai posé quelques pièges au Jardin des Plantes, pour tenter d'en attraper quelques-uns. Et ben ils sont pas rentrés dans les pièges. Pierre Falgayrac Ben non. Benoît Pisanu Ils les déjouent. Et ça, ça m'a posé une vraie question. #VERSUS « PEUT-ON RÉGULER EFFICACEMENT LES POPULATIONS DE RATS SANS UTILISER DE RATICIDE ? » Pierre Falgayrac En l'état actuel des choses, la réponse est non. Le problème que vous avez évoqué à l'instant avec des pièges dans lesquels les rats ne sont pas rentrés, c'est toute la problématique de l'appâtage. Pour qu'un rat s'empoisonne, il faut qu'il soit attiré par l'appât. Ce qui suppose que l'appât est plus appétissant que sa nourriture habituelle et placé au bon endroit pour qu'il ait envie d'aller jeter un œil sur cette... enfin... ses narines sur cette nourriture-là. C'est tout le problème de la dératisation. Si on veut utiliser seulement des pièges, il n'y a qu'à voir l'échec que connaît une grande capitale... européenne, en matière d'utilisation de pièges. En matière de lutte chimique, on peut faire des miracles. Rappelons qu'il existe une norme, la norme 166-36, qui prescrit au dératiseur comme procéder sur un chantier. On doit commencer à évaluer, avec des indices de présence, le nombre de rats présents, puisque c'est ça qui va conditionner la quantité d'appâts nécessaire. Donc il est tout à fait possible d'adapter une dératisation chimique au nombre de rats présents. Le problème, c'est que si on ne connaît pas comment vivent les rats et surtout comment ils s'alimentent, on a tout faux. Comment vont s'alimenter les rats ? Il y a une hiérarchie sociale chez les rats. Il y a des rats alpha, bêta et oméga, et cette hiérarchie est basée sur la force physique. Un rat commence toujours sa vie en étant de dernier rang parce qu'il est trop jeune, immature et pas assez fort physiquement. Il peut devenir bêta ou alpha et il la finira toujours oméga. Quand les rats vont manger, ce sont les alphas qui mangent d'abord et ils écartent des points de nourrissage les bêtas. Les bêtas vont manger ensuite et ils écartent des points de nourrissage les omégas. Donc s'il n'y a pas suffisamment d'appâts posés, ça ne fonctionnera pas. Il faut adapter l'application des raticides, des produits biocides, des anticoagulants, à la réalité du terrain. Or depuis 40 ans qu'on utilise en grand les anticoagulants, on pose des boîtes partout sans se poser les questions préalables de l'endroit où il faut les poser et la quantité qu'il faut en mettre. Donc, en l'état actuel des choses, on ne peut pas se passer de la dératisation chimique. De toute façon pour les égouts, c'est la solution la plus pertinente sur le plan économique, par rapport au système de piégeage. On a encore besoin, le problème c'est la qualification des gens qui les posent. Benoît Pisanu Alors effectivement, la lutte, c'est un vrai vrai sujet. Je crois savoir que les réglementations actuellement sont en train de changer. Il y a des négociations, je crois, au niveau européen qui tendent à indiquer que... à réglementer, en tout cas, l'emploi de la lutte chimique sur tout un ensemble de plans. Il va falloir modifier l'utilisation d'un certain nombre de molécules et ça pose un véritable problème aux gestionnaires. Comment faire en sorte d'optimiser la lutte en ayant moins d'outils chimiques ? Ce qui répond un tout petit peu à la question de l'internaute. Donc pour répondre clairement à la question de l'internaute, je vais être très clair aussi : non. On peut pas éviter, à un moment donné, la lutte chimique, parce que c'est celle qui va être, au moment le plus critique, la plus efficace, donc pour agir. Maintenant, avoir toute une palette et toute une gamme de luttes différentes selon les situations, peut-être intéressant. Pierre Falgayrac Bien sûr. Benoît Pisanu Et c'est là où, par exemple, comme on revient sur les indices de présence, tout un ensemble d'éléments d'informations qu'il faut avoir au préalable sur la zone que l'on va traiter, essayer d'en... Ça, ce sont des démarches qui sont bien utilisées, y compris par la gestion du rat donc pour essayer de limiter leurs impacts sur la biodiversité dans les villes. Je dirais même, il y a une chose peut-être un peu provocatrice mais, par moments quand on fait une étude d'impact au préalable pour savoir comment on va faire, il faut aussi toujours garder présent à l'esprit que il est possible que ne rien faire soit le mieux. Je prends un petit exemple qui va être un petit peu tiré par les cheveux, mais... si on s'aperçoit qu'il y a que trois ou quatre ou dix rats qui se baladent dans un grand parc, ça sert à rien d'aller envoyer... Pierre Falgayrac Laissons-les vivre. Benoît Pisanu Voilà. Pierre Falgayrac Tout à fait. Benoît Pisanu Par contre, par contre... on sait aussi le potentiel reproducteur énorme de cette espèce qui peut très vite, s'il y a beaucoup de nourriture… Pierre Falgayrac S'il y a beaucoup à manger. Benoît Pisanu …s'il y a beaucoup à manger, se développer, se développer. Et donc, comment mettre au point des indicateurs de l'estimation de leur abondance dans le temps, en tout cas, avoir ce regard-là, pour à un moment donné essayer de... d'utiliser une palette la plus large possible de piégeages, sachant que, effectivement... la lutte chimique reste la plus efficace actuellement. Pierre Falgayrac En termes de rapport qualité-prix, oui. Tout ce que vous venez de dire, ce sont des choses que devraient mettre en place les professionnels. Ils sont certifiés pour mettre en place la norme dont je parlais tout à l'heure. Le problème, sur le terrain, c'est que ce sont des poseurs de boîtes. Voilà pourquoi on a des rats qui résistent aux anticoagulants. Tant qu'on aura pas résolu le problème de l'appétence de l'appât, par rapport à la nourriture habituelle des rats, les dératisations ne fonctionneront pas. Il y a qu'à voir comment ça se passe. Voilà, c'est tout. Un bon professionnel, qui a de l'expérience de terrain, en quelques minutes, il faut qu'il repère ce que les rats mangent, les pistes de cheminement pour savoir où ils nichent, où est-ce qu’ils boivent, question fondamentale dans le cas du surmulot. Donc il sait où poser les appâts, et en fonction de la nourriture, il sait quel type d'appât il doit mettre. Et moi je préconise l'amélioration de l'appétence des appâts, avec adjonction de saveurs culinaires, qu'on a dans la cuisine. Ça suffit pour réussir une dératisation.
Réalisation : Anthony Barthélémy
Production : Universcience
Année de production : 2019
Durée : 24min44
Accessibilité : sous-titres français