AU TABLEAU !
Pascal Bernard
La question qu'on peut se poser c'est : « Comment un mouvement très lent et régulier comme celui de la tectonique des plaques peut générer quelque chose d'aussi soudain et imprévisible que les grands séismes ? »
Eh bien pour comprendre ça, il faut regarder un peu comment fonctionne la planète Terre, qu'on va représenter ici simplement avec un grand manteau de roches solides et puis un noyau ici de fer liquide et une graine solide ici. Mais on va s'intéresser au manteau qui lui est constitué de roches diverses et variées, dont certaines sont radioactives et qui réchauffent l'intérieur de la – de la planète. Et ce réchauffement fait que les minéraux de certains de ces composants ne sont pas en fusion mais simplement sont visqueux et donc peuvent autoriser les roches à se déformer. C'est ce qui se passe lorsque la chaleur tend à s'évacuer, eh bien on a des grands mouvements de convection, les zones moins denses vont remonter et les zones plus denses vont redescendre extrêmement lentement, donc c'est des roches solides qui vont faire des grands ballets extrêmement lents et qui vont entraîner la petite croûte terrestre sur laquelle nous nous trouvons ici et par exemple dans cette région-là, la croûte terrestre va s'enfoncer, avec les grands mouvements de convection du manteau.
Le problème pour nous, c'est que cette croûte terrestre, eh bien elle est élastique et cassante, elle est pas du tout visqueuse. Et donc elle coince lorsqu'on cherche à la faire descendre comme ça. Elle va coincer au niveau du contact entre les deux plaques qui sont ici. Donc si je zoome, on va représenter cette zone de convergence des croûtes, qui sont portées par les plaques qui glissent l'une sur l'autre dans les zones de subduction par exemple. Eh bien on va avoir cette croûte qui plonge ici et qui va affronter la croûte qui reste en surface de ce côté-là, donc je vais représenter en bleu ce qui se passe ici. Et évidemment ce qui est important c'est cette zone de contact. Le mouvement des plaques, lui, est extrêmement régulier, quelques centimètres par an, de part et d'autre. Mais à ce niveau-là, comme les plaques coincent, la faille coince ici, eh bien on a un blocage et donc le mouvement des points, eh bien, est quasiment nul au voisinage de cette faille. Quasiment nul ça veut pas dire qu'il se passe rien, ça veut dire qu'au contraire, dans cette zone-là, eh bien, voyez, nous sommes en compression permanente. La compression augmente de jour en jour, d'année en année.
Alors pourquoi ça ne glisse pas ? Tout simplement parce que si je zoome ce qui se passe ici, eh bien j'ai une zone de contact rugueuse entre les zones de faille, voilà, les deux blocs de part et d'autre de la faille sont en contact sur la surface qui n'est pas lisse et donc ça coince. Ça coince jusqu'au moment, évidemment, où ça va se décoincer. Lorsque ça se décoince, qu'est-ce qui se passe ?
Eh bien on a tout d'un coup un mouvement de – en quelque sorte de rattrapage. Un mouvement de rattrapage de tout le retard ici de l'avancée de cette plaque par rapport à celle-ci. Tout d'un coup hop ! Ça fait comme ça et donc ce bloc-là monte et ce bloc-là descend en se rapprochant. Évidemment c'est pas le seul moyen de faire converger ou de faire bouger les plaques les unes par rapport aux autres. On a des endroits, bien sûr où c'est en extension et des endroits où ça va coulisser mais le principe est le même. Sur une faille oblique comme ceci, eh bien les zones où les croûtes terrestres sont en train d'essayer de s'étirer, eh bien sur les zones de faille qui sont les zones les plus fragiles, le mouvement soudain, après une extension très, très forte qui dure des dizaines voire des centaines d'années, voire des milliers d'années, eh bien vous avez tout d'un coup un mouvement sismique en quelques secondes, quelques dizaines de secondes, qui va faire que le bloc là, descend et le bloc là monte, tout en s'écartant. Là on a compression, là on a extension, le principe est le même et si vous cumulez ça au cours du temps, eh bien ici vous allez finalement, après plusieurs séismes, créer une montagne et ici une grande plaine. Et l'inverse ici, après plusieurs séismes vous allez créer une montagne et ici une grande plaine. Des milliers de séismes vont faire des milliers de mètres de relief. Et puis on peut avoir des failles verticales qui font finalement un mouvement de translation d'un bloc par rapport à un autre. Voyez, la faille verticale est ici, et vous avez un bloc qui bouge comme ceci et qui bouge comme cela, deux plaques qui essaient de glisser l'une contre l'autre, qui sont coincées au niveau de la faille et tout d'un coup ça va se décoincer, et ce bloc-là va avancer et ce bloc-là va avancer dans l'autre direction. Et on a, de nouveau, un moyen de voir cette activité à long terme. Si vous avez une rivière qui passe là et bien elle va être décalée à chaque séisme d'une certaine quantité. Donc on peut repérer dans le relief ou dans la morphologie les indices de ces séismes. Et un bon modèle pour expliquer tout ça, un modèle physique très simple, c'est de considérer qu'un bloc d'un côté de la faille est un patin, ici, il est posé sur l'autre bloc qui est ici, le support, qui serait le sol, et j'essaie de tirer mon patin avec un ressort. Et je lui donne une vitesse constante. Cette vitesse constante elle représente le mouvement constant des plaques au loin, le ressort représente l'élasticité des roches autour de la zone de faille et le patin qui est ici représente un bloc près de la faille, le sol l'autre bloc près de la faille. Et le mouvement qu'on attend ici, vous tirez, au début il se passe rien, puis tout d'un coup la tension est assez forte pour que le patin glisse. S'il n'y avait pas de rugosité ici, eh bien le patin glisserait en permanence, il y aurait pas d'à-coups. Mais comme le patin coince, eh bien ce que vous observez c'est quelque chose d'assez intuitif et l'expérience est extrêmement facile à faire. Ce que vous observez c'est que si j'appelle Δ (delta) U le glissement relatif du patin par rapport au sol. Eh bien au début il se passe rien, le Δ U vaut zéro, jusqu'à temps que le ressort soit assez tendu pour que ça décroche le patin et tout d'un coup, hop, il glisse. Il glisse peut-être ici d'un centimètre sur l'expérience et pour la faille ça peut glisser de dix mètres. Et puis ensuite, le ressort est détendu, la plaque est détendue, il faut recharger le système mais les plaques continuent à avancer, vous continuez à tirer le ressort et vous pouvez attendre peut-être ici quelques secondes. Pour la plaque ça va être peut-être 150 ans, et clac, vous cassez de nouveau mais cette fois-ci ça va glisser de 5 mètres ou le patin va glisser de 5 millimètres. Et puis vous continuez et vous vous apercevez que finalement vous avez un glissement assez irrégulier mais qui va globalement suivre la vitesse que vous auriez eue si c'était complètement lisse, autrement dit, la vitesse des plaques ou la vitesse de traction du patin. Donc ce qui est intéressant c'est que vous transformez un mouvement continu qui est le mouvement de ce point, un mouvement continu qui est le mouvement des plaques, vous le transformez en mouvement saccadé : il se passe rien, il se passe quelque chose, il se passe rien, il se passe quelque chose. Il se passe rien pendant des siècles, et il se passe quelque chose pendant quelques secondes. C'est ça qui est effrayant pour un séisme, c'est que toute l'énergie accumulée pendant des siècles se relâche en quelques secondes et ce qui est aussi intéressant c'est qu'on a une irrégularité de ces mouvements mais en même temps on peut prédire à moyen terme, eh bien que, ben, si on a du retard ça va finir bien par casser, on peut pas échapper au séisme.