AU TABLEAU !
Pascal Bernard
Après un grand séisme, la question scientifique bien sûr, c’est « avait-on prévu ce séisme ? Savez-vous prédire ? ». Et la réponse peut être oui ou non, suivant ce qu’on entend par prédiction. Donc, c’est un petit peu ce qu’on va voir. La prédiction la plus standard, c’est qu’on appelle la prédiction à long terme.
Alors, si on prend une région comme la France, par exemple, ou le Japon, eh bien, on connaît certaines choses de la sismicité, on connaît les failles, une certaine partie des failles. Donc, voici les failles qui peuvent être cartographiées plus ou moins précisément. Euh, c’est assez compliqué. Les sismologues peuvent mesurer l’activité sismique des tout petits séismes et puis quelques séismes un tout petit peu plus gros avec leur sismographe. On connaît aussi les séismes historiques qui ont cassé peut-être certaines failles. Les autres, on ne sait pas très bien où ils sont. On peut estimer leur magnitude. Et puis, les géodésiens peuvent dire : « Ouh là, mais cette zone de faille, elle se déforme assez vite, mais cette zone de faille, un peu plus lentement et puis par ici, on n’a pas de mesures. » Donc on a une série d’informations qui nous permettent de définir des zones plus ou moins sismiques de la région étudiée.
Par exemple, on voit bien qu’ici, il ne se passe pas grand-chose. Là, il se passe pas grand-chose non plus. Là, par contre, il y a peut-être une faille cachée donc il faut un peu se méfier. Et donc, ce que l’on fait, c’est qu’on va identifier des zones qui fonctionnent de la même façon et considérer que tous les séismes qui s’y trouvent peuvent se reproduire dans le futur de la même façon avec la même statistique, ce qui peut permettre de prédire non seulement les types de séismes qui viennent, mais les séismes plus gros qui sont évidemment plus rares en proportion des séismes plus petits. Et donc c’est ça qui sert à faire la… qui sert à définir l’écart de zonage réglementaire pour construire. On ne va pas construire dans cette zone-là pareil qu’au voisinage de ces failles actives et de ces grands séismes historiques.
Maintenant, il y a une autre forme de prédiction qui prend une information supplémentaire. C’est ce qu’on appelle la prédiction à moyen terme, qui elle va se focaliser sur une faille, une grande faille bien particulière, bien connue. Par exemple, s’il y avait beaucoup de mesures au voisinage de cette faille et qu’on sait qu’historiquement, il y a eu des séismes. Alors je vais zoomer sur cette zone-là, donc voilà de nouveau la faille. Si on sait qu’historiquement, il y a eu… il y a quelques dizaines d’années ou un siècle, deux séismes de part et d’autre de ce segment-là, qui n’a pas cassé depuis le dernier grand séisme historique qui serait par exemple il y a 250 ans. Eh bien, on sait que la zone menaçante va être la rupture de ce segment-là.
Si les géodésiens nous disent, bon ben, les plaques bougent à peu près de part et d’autre de cette zone bloquée à 2 cm par an. Eh bien, on voit qu’en 250 ans, on a une déformation élastique des roches qui représentent 5 mètres d’accumulation de glissement, de retard de glissement, et donc on attend un grand séisme avec 5 mètres de glissement. Et si 5 mètres de glissement, c’est ce qu’on a eu historiquement dans les séismes précédents à cet endroit-là, eh bien, ça veut dire qu’on est en fin de cycle donc finalement, la prédiction à moyen terme, c’est quoi ? C’est finalement l’identification des failles qui sont en fin de cycle et la prédiction se fait à l’échelle de quelques décennies, c’est-à-dire qu’on estime que la probabilité est d’un tiers, un demi ou deux tiers, que ça se produise dans les, disons, 30 ans à venir. C’est ce qu’il y a à Istanbul, à Tokyo ou bien à Los Angeles.
Il y a une autre forme de prédiction qui est beaucoup plus délicate. Celles-ci sont opérationnelles en quelque sorte. C’est des probabilités, mais elles servent à quelque chose. Elles servent à construire, à décider de là où on met de l’argent pour renforcer les bâtiments. Il y a une autre forme de prédiction qui est absolument non-opérationnelle et la prédiction à laquelle, en fait, tout le monde pense. C’est la prédiction à court terme qui est basée sur l’observation des précurseurs. Alors elle est pas opérationnelle, pourquoi ? Eh bien, qu’est-ce qui se passe avant les séismes ? Eh bien, parfois, avant les séismes, il y a des microséismes où il y a des déformations de la croûte terrestre.
Alors je vais représenter cette fois-ci un bloc diagramme qui va permettre de mieux comprendre. La faille en surface est comme ceci : elle va en profondeur, à 10 ou 20 km de profondeur et tout se passe, en fait, à la racine de la faille. La zone qui est ici, par exemple, va commencer à céder. Avant de casser en grand, elle peut commencer à céder. Ca veut dire quoi ? Ca veut dire qu’on va avoir un glissement de part et d’autre de la faille qui va être de quelques millimètres, de quelques centimètres, tout petit, éventuellement détectable depuis la surface. Et puis ce glissement va être accompagné peut-être de petits séismes de magnitude 1 et de magnitude 2, éventuellement ressentis magnitude 3 et 4, mais rien de très très sérieux, des petites fractures.
Et puis, en glissant sur cette surface-là, l’eau des profondeurs peut remonter un petit peu dans la zone de faille et éventuellement perturber les aquifères et aussi avoir des effets détectables. Et donc tous ces effets-là qu’on appelle des instabilités de la croûte terrestre ou bien des transitoires parce que c’est des effets qui surgissent un peu de nulle part et qui éventuellement s’éteignent sans rien donner. C’est une classe très générale, beaucoup plus générale que les précurseurs. Qu’est-ce que c’est finalement un précurseur ? C’est un transitoire, une instabilité, un petite perturbation de la croûte terrestre qui dégénère en un grand séisme, c’est-à-dire qu’au bout d’une heure ou au bout d’un mois, eh bien, tout d’un coup, on va avoir une rupture sismique qui, elle, va se développer à très grande vitesse et va produire des vibrations ou des ondes destructrices. Et donc ces précurseurs sont évidemment très difficiles à distinguer des transitoires qui ne sont pas précurseurs et tout le problème est là. C’est que la plupart du temps, tous ces transitoires ne dégénèrent pas en un grand séisme. La seule chose que l’on puisse dire, c’est que lorsque vous voyez une crise microsismique, lorsque vous détectez des déformations du sol que vous interprétez comme étant liées à un glissement de la partie profonde de la faille, la seule chose que vous puissiez dire, c’est que la probabilité qu’un séisme se déclenche est plus forte avec l’observation de cette crise.
Plus forte par rapport à quoi ? Plus forte que par exemple la probabilité que vous avez calculé pour votre segment de faille qui est en fin de cycle. Si vous avez fait un calcul que la probabilité que ce séisme-là, avec cette prédiction à moyen terme, sa probabilité, par exemple elle est de 0,005 de déclenchement par mois. C’est un bon ordre de grandeur. Vous avez donc 1 chance sur 200 que ça soit dans le mois qui vient. Eh bien, lorsque vous observez, non pas les précurseurs parce que les précurseurs, on ne sait qu’après-coup… Mais si vous observez des transitoires, donc des instabilités à la racine de la faille. Eh bien, vous allez pouvoir passer peut-être à une probabilité de 0,05 par mois. Donc vous allez multiplier par 10, la probabilité mensuelle que vous ayez un séisme, rien que par l’observation de ceci. Mais vous restez à un niveau de probabilité très faible, donc à partir de ça, il est évidemment hors de question de faire des alarmes pour évacuer les populations et les faire sortir des bâtiments puisque vous avez, en gros, 1 chance sur 20 d’avoir raison et 19 chances sur 20 d’avoir tort. Et donc, on ne va pas faire de fausses alarmes 19 fois sur 20. Donc voilà un petit peu le contexte de la prédiction. Des prédictions opérationnelles, long terme/moyen terme, difficiles parce qu’il faut faire les bonnes mesures. On peut se tromper. Et puis des prédictions à court terme qui sont, pour l’instant, impossibles en termes d’applicabilité et qui sont du domaine de la recherche de savoir quelle information on a lorsqu’on voit les transitoires.