EPISODE 4 « Le Marion Dufresne, laboratoire flottant »
Lors d’une campagne océanographique, les scientifiques deviennent des pêcheurs… des pêcheurs d’eau. Les échantillons, prélevés entre le plancher océanique et la surface (reprise infog rosette), sont remontés à bord quasi quotidiennement grâce à la rosette. Cette moisson de liquides est récoltée sous le regard bienveillant du docteur Xavier Beyer, le médecin mobilisé pour la mission, qui s’est improvisé chef d’orchestre des prélèvements.
Car chaque bouteille renferme de l’eau prélevée à une profondeur donnée. Les microbiologistes travaillent avant tout sur les échantillons extraits entre 0 et 200 mètres, tandis que l’étude du carbone dissous concerne l’ensemble de la colonne d’eau. La réaction chimique qui permet la mesure de l’oxygène doit être réalisée sans attendre, pour refléter au mieux les conditions marines. Enfin, se succèdent les prélèvements pour la mesure des sels nutritifs et de la chlorophylle.
Quant aux multiples analyses pratiquées à bord, s’il y a bien une étape à laquelle aucun scientifique n’échappe, c’est la filtration. Il faut filtrer les centaines de litres prélevés… Pour ne garder de l’eau de mer australe que la fraction utile.
Pavla Debeljac mène des recherches sur le rôle des bactéries marines. Dans l’eau de mer, elles sont extrêmement nombreuses, en moyenne un milliard par litre.
Sonore Pavla « je passe énormément de temps à filtrer sur ce bateau. Je ne fais que ça en fait. Filtrer. »
Pour sa toute première campagne océanographique, Pavla contribue à mieux comprendre comment l’activité bactérienne agit sur le puits de carbone océanique.
Infographie : Lorsqu’elles dégradent la matière vivante, les bactéries font en quelque sorte le contraire du phytoplancton. Elles remettent le carbone sous une forme minérale, une forme qui peut à nouveau s’échapper dans l’atmosphère. Il est donc indispensable de pouvoir évaluer l’importance de ce phénomène, dans chacune des grandes régions océaniques de la planète.
Malgré tous ces aléas, il est aujourd’hui avéré que Ll’océan austral constitue un très fort puits de carbone. La majeure partie du CO2 qu’il engloutit passe naturellement de l’atmosphère à la couche de surface. Le dioxyde de carbone se dissout plus facilement dans l’eau froide, et se retrouve piégé dans le puissant courant circumpolairequand ces eaux plongent en profondeur.
Quant au rôle propre du phytoplancton, plus les océanographes s’intéressent à la biologie des mers australes, plus ils sont perplexes…
Itw Mathieu Reambauville : « Les eaux de l’océan austral elles ont une particularité vis à vis de la séquestration du carbone d’origine biologique, elle ne fonctionne pas du tout comme le reste des océans. Dans les autres océans, ce qui est généralement observé c’est que plus le phytoplancton produit, plus il y a une part importante de ce stock de particule qui chute dans l’océan profond. Dans l’océan australe, c’est la relation complètement inverse, et on observe clairement que plus le milieu est productif, plus il y a de biomasse de phytoplancton, moins le système est efficace pour exporter, faire chuter de la matière de cette couche de surface… Mais si on est capable aujourd’hui d’affirmer cette observation, pour l’instant on ne comprend toujours pas les processus qui se cachent derrière et qui expliquent pourquoi il y a une relation inverse… »
Et pas question, pour l’équipe de Stéphane Blain, d’intervenir sur les cycles naturels du phytoplancton austral. Certains scientifiques proposent en effet d’introduire dans l’eau de mer certains nutriments essentiels à sa croissance… L’équipe SOCLIM, fait de la science fondamentale, et ne joue pas aux apprentis sorciers …
Les scientifiques savent que les expéditions polaires sont rares et couteuses, ils exploitent donc l’opportunité offerte par la campagne SOCLIM pour collecter le maximum de données. Il faudra plusieurs mois, voire plusieurs années pour faire parler les filtres et les échantillons de cette mission. Et ce n’est qu’un début. Comprendre les turpitudes du climat, à l’aune de la microbiologie marinedes microorganismes marins, est un défit de l’homme du 21eme siècle…
Avec une capacité de 110 passagers, le Marion Dufresne offre un peu plus que des aménagements scientifiques ! On trouve sur le bateau, dans l’une des immenses cales de chargement, de quoi décompresser après de longues heures de travail. Plus sécurisant, l’espace fitness accueille aussi les sportifs quelques étages plus haut.
Les repas représentent des moments d’échanges privilégiés et conviviaux où tout l’équipage se côtoie. Scientifiques, marins et officiers se retrouvent dans la grande salle à manger.
Une véritable brigade de cuisine s’active chaque jour pour tenir la réputation qui est la sienne, et le maître d’hôtel assure un service impeccable... Même en période de forte tempête !
Après le dîner, et bien la soirée continue. Silence religieux, pendant la diffusion d’un match de l’équipe de France enregistré la veille… Et d’autres soirs, l’ambiance est un brin plus festive !...
Mais le bateau ne dort jamais, pas plus du côté des scientifiques d’ailleurs ! Car sur un navire océanographique, la science n’attend pas. Certains laboratoires tournent 24h/24, et le reste de l’équipe est souvent mobilisée pour des opérations de nuit… l’important, c’est l’organisation… et la cohésion.