Le dérèglement climatique : vivre avec le risque climatique ?
À travers 8 films, 21 experts répondent à de grandes questions à enjeux scientifiques, énergétiques, socioéconomiques et politiques. Leurs points de vue nous interpellent aux plans individuel et collectif, dans notre quotidien mais aussi en tant que citoyens du monde.
Réalisation : Alain Labouze
Production : Universcience
Année de production : 2015
Durée : 8min49
Accessibilité : sous-titres anglais, sous-titres français
Le dérèglement climatique : vivre avec le risque climatique ?
VIVRE AVEC ?
François GEMENNE
Shyama RAMANI
Christian de PERTHUIS
Catherine CHABAUD
Emmanuel GARNIER X 2
1 - Catherine CHABAUD,
Navigatrice, ambassadrice de la Marche pour le climat
J’ai accompli deux tours du monde en solitaire, sans escale, avec le Vendée Globe. J’ai eu l’occasion, surtout lors de mon premier Vendée Globe en 1996, quand il y avait des tempêtes monumentales, de voir une expression de la puissance phénoménale de la nature et des éléments. Quand vous êtes dans les mers du Sud qui ne sont arrêtées par aucun continent, vous avez une amplitude de la houle qui est monumentale, et vous vous sentez tellement, tellement petit ! Vous n’avez pas l’impression d’être conçu pour être là. Vous vous dites que vous ne pouvez pas lutter contre les éléments, mais vous devez apprendre à composer avec les éléments. Si le risque arrive, il faut pouvoir y répondre et… ployer comme le roseau… Moi, je veux composer avec, et si je veux composer avec dans le cas de la tempête Xynthia, plutôt que d’ériger des digues, je vais dire qu’il est raisonnable de reculer, de laisser des zones humides, et de laisser la mer envahir la terre. Je pense que la bonne posture, c’est de trouver des solutions d’adaptation, peu importe si cela arrive ou si cela n’arrive pas, mais je me demande comment je vais pouvoir composer avec la nature qui est bien plus forte que moi et qui résistera bien plus que moi à tout ce qui va pouvoir arriver.
2 - Emmanuel GARNIER
L’historien est en mesure d’exposer, de présenter des modèles d’adaptation, le terme est très à la mode aujourd’hui aussi bien chez les décideurs politiques que chez les climatologues. Autrefois, nous ne parlions pas d’adaptation, mais de fait, les gens s’adaptaient. L’histoire peut indiscutablement apporter des expériences pour les littoraux en montrant par exemple que sur les littoraux, la première zone au contact de la mer était généralement une zone d’expansion des crues si les inondations étaient provoquées en amont, ou au contraire, jouaient le rôle d’éponge, c’est ce qu’on appelle les milieux humides en cas de vagues trop fortes, de fort coefficient de marée etc., mais ces milieux n’étaient pour autant pas perdus, c’était des zones par exemple d’élevage extensif, ils pourraient parfaitement aujourd’hui être convertis en zones naturelles à fort attrait touristique ; c’est ce que font les Hollandais aujourd’hui, ils renoncent à l’endiguement massif, c’est vrai qu’ils avaient survécu à une catastrophe en 1953, ils ont décidé de défier la mer, et de fermer le pays avec une espèce de ligne Maginot, une fortification permanente/ Ils commencent aujourd’hui à en mesurer les effets pervers : une dégradation de la naturalité, des phénomènes de pollution de plus en plus importants, et ils décident de faire des brèches, et d’accepter l’invasion de la mer, des eaux très régulièrement sur les terres. En contrepartie, ils accompagnent cela par le développement d’un tourisme naturaliste, et cela fonctionne visiblement, et sur le plan financier extrêmement bien, et cela ne suscite visiblement pas d’opposition de la part des populations locales.
3 - François GEMENNE
La question de l’adaptation aux impacts est une question délicate, à la fois parce que l’adaptation peut prendre des formes très diverses. Certaines formes d’adaptation peuvent se faire au niveau individuel. On a par exemple des populations qui vont décider de migrer, non pas parce qu’elles ont échoué à s’adapter aux impacts du changement climatique, mais précisément parce que c’est une manière de s’adapter aux impacts du changement climatique pour elles. On a des adaptations qui peuvent prendre des formes plus collectives. On imagine par exemple des mécanismes de micro-assurances entre communautés d’agriculteurs pour faire face à de mauvaises récoltes. Et puis certaines décisions d’adaptation doivent passer par le plan national, par exemple des projets d’infrastructures assez lourds, comme le renforcement d’une digue, ou des systèmes d’irrigation, qui demandent des financements beaucoup plus importants et des infrastructures beaucoup plus importantes. Tous ces projets d’adaptation devront bien sur recevoir des financements et des financements internationaux. Aujourd’hui, l’adaptation s’est imposée comme une des questions clés dans les négociations internationales, et aussi comme une contrepartie d’un engagement des pays en voie de développement à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.
4 - Shyama RAMANI,
Professeure à l'université des Nations unies (Maastricht),
fondatrice de l'ONG Friend in need
Notre problème est l’urbanisation. Chaque jour, des gens s’installent en ville. Le plus grand challenge au niveau macro, c’est comment est-ce qu’on peut faire grandir les villes et les banlieues tout en diminuant la pollution causée par les corridors de transport. C’est la première chose. La deuxième chose, c’est de trouver des habitats aux gens qui habitent les régions côtières et qui sont les zones les plus à risque, pour que ces gens soient en sécurité si le niveau de la mer monte. Au niveau macro, il faut donc bouger les gens, et il faut répondre aux aspirations des gens qui s’installent dans les grandes villes parce que les infrastructures sont insuffisantes. Après, ce n’est pas seulement le rôle des gouvernements de faire cela, toutes les entreprises doivent également diminuer leur empreinte carbone…
Tout le monde doit donc gérer, et il faut qu’on porte ce poids du changement et de l’adaptation au changement climatique ensemble. On ne doit pas mettre toute la responsabilité sur le dos des pauvres.
5 - Christian de PERTHUIS
On sait que, si on poursuit les trajectoires actuelles d’émissions, à la fin de ce siècle, nous risquons de nous retrouver avec une hausse moyenne du niveau de la mer comprise entre 60 cm et 1 mètre. 1 mètre d’augmentation du niveau de la mer, qu’est-ce que ça veut dire pour l’économie ? Aujourd’hui dans le monde, vous avez à peu près la moitié de la population qui vit sur des zones littorales. En Asie, vous avez 350 millions de personnes qui vivent sur des deltas. Nous essayons donc de mesurer le coût que représenterait, pour la société, cette hausse du niveau de la mer. Les coûts sont de différente nature : vous avez d’abord des coûts qui sont des pertes de production. Le premier effet de l’augmentation du niveau de la mer, c’est la salinisation des sols. D’où des pertes énormes en terme de production agricole. Il faut mesurer ces coûts. Le deuxième point : si l’on veut se protéger contre l’augmentation du niveau de la mer, si l’on veut s’adapter à cet impact du climat, il faut construire des digues. Il faut organiser différemment la société. Ca coûte de l’argent. Ca peut même coûter très cher ! Imaginez : Manhattan est dans sa plus grande partie à moins d’un mètre du niveau de la mer. Vous imaginez ce que cela coûterait, protéger Manhattan contre une hausse d’un mètre du niveau de la mer ? Et puis, si on est réaliste, on voit bien que cette augmentation du niveau de la mer va générer des migrations. Ces migrations auront un coût, car ce ne seront pas du tout des migrations choisies, mais des migrations obligées. Le premier boulot des économistes, c’est de mesurer le coût futur des dommages climatiques.
7 - Emmanuel GARNIER
Les mesures préconisées ne peuvent qu’apporter des bonnes choses à la planète. Je veux dire réduire nos émissions de gaz à effet de serre en remaniant les territoires etc., si on le fait véritablement, c’est un avenir, et un avenir plutôt radieux qu’on offre indiscutablement à nos enfants, aux sociétés et aux générations futures. L’historien prendra du recul par rapport à ce changement climatique, mais il commencera dans le même temps que c’est un horizon assez prometteur à la condition qu’on replace ce changement climatique à l’échelle des sociétés locales, c’est-à-dire qu’il n’y a pas qu’une solution, il y a une multitude de solutions qui passe par une forme de décentralisation de l’adaptation. Quand je dis cela, c’est-à-dire décentralisation à l’échelle pratiquement de la communauté, de la province etc., c’est seulement en tenant compte des réalités locales et de l’expérience locale, voire en leur montrant les erreurs qui ont pu être commises il y a 20 – 30 ans dans le cadre d’aménagements que le message pourra passer, et que nous pourrons véritablement appliquer des mesures concrètes.
Réalisation : Alain Labouze
Production : Universcience
Année de production : 2015
Durée : 8min49
Accessibilité : sous-titres anglais, sous-titres français