Une bonne action pour le climat ne l’est pas toujours pour la biodiversité
Publié le - par LeBlob.fr, avec l'AFP
À force d’envisager l’action climatique séparément de la protection de la nature, les solutions pour le climat peuvent parfois détériorer la biodiversité, soulignent plusieurs experts, appelant à une approche plus systémique.
« Parfois en essayant de trouver une solution à un problème, on risque de créer un dommage à un autre endroit », explique à l’AFP Anne Larigauderie, secrétaire exécutive de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité (IPBES), qui publiera en décembre un grand rapport sur comment concilier climat, biodiversité, accès à l’eau ou à l’alimentation, et santé.
Un exemple parmi mille autres : au Royaume-Uni, pour renforcer les puits de carbone, beaucoup d’arbres ont été plantés… sur des zones humides, elles aussi gros réservoirs de carbone, qu’ils ont progressivement asséché, libérant le CO2 qu’elles stockaient. « Au final, planter ces arbres a ajouté des émissions supplémentaires, plutôt que d’en retirer de l’atmosphère », résume Rick Stafford, président du British Ecological Society Policy Committee, le Comité des politiques de la Société écologique britannique.
Déjà en 2021, un groupe de travail entre l’IPBES et le Giec, ses homologues du climat au sein de l’ONU, expliquait qu’envisager séparément climat et biodiversité risquait « dans le pire des cas (…) de conduire à prendre des actions qui, par inadvertance, empêche de résoudre l’un ou l’autre des problèmes, voire les deux ».
« Fausses bonnes idées »
Attention à ces « fausses bonnes idées », qui soulagent d’un côté, mais peuvent engendrer des effets pervers de l’autre, avertit le Réseau action climat, collectif d’ONG.
Injecter du fer dans les océans pour développer les micro-planctons, gros réservoirs de carbone, peut apparaître efficace à première vue. Mais cela pourrait aussi créer des « dommages massifs » sur les poissons ou favoriser le développement d’espèces de planctons, émettrices d’autres gaz à effet de serre comme l’oxyde nitreux, « le tout pour un gain climatique incertain », note Alison Smith, professeure à l’université britannique d’Oxford.
« Les mesures prises pour l’atténuation du changement climatique doivent être évaluées en fonction de leurs avantages et de leurs risques globaux et non pas seulement selon leur bilan carbone », expliquait en 2022 la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB).
Ainsi, le développement de l’éolien pour remplacer gaz et charbon réduit les émissions de CO2… mais peut aussi augmenter la mortalité des oiseaux migrateurs ou des chauves-souris. De la même manière, construire des barrages pour l’hydroélectricité ou stocker l’eau douce bloque la migration des poissons.
« Vue d’ensemble »
La géo-ingénierie — technique visant à manipuler le climat, par exemple en éclaircissant les nuages marins avec des aérosols pour qu’ils réfléchissent mieux les rayons du soleil — « peut entrainer d’énormes dommages collatéraux », prévient Tom Oliver de l’université anglaise de Reading, qui parle de « solutions de fortune ».
Ainsi, le projet présenté l’an dernier à la COP28 d’installer des « rideaux sous-marins » pour empêcher les eaux réchauffées des océans de faire fondre les glaciers de l’Antarctique pourrait bloquer le flux de nutriments, avec des effets dévastateurs sur les écosystèmes des océans et des glaciers, notait l’océanographe Lars Smedsrud, de l’université de Bergen (Norvège), en janvier dans la revue Nature.
Pour trouver des solutions, il « faut avoir une vue d’ensemble » et ne pas se focaliser uniquement sur le changement climatique, mais aussi sur la biodiversité ou la justice sociale, estime la professeure Alison Smith. Comme elle, beaucoup d’experts promeuvent les solutions fondées sur la nature, qui ont des « bénéfices combinés à la fois pour la biodiversité, le climat et les populations ».
Une étude de 2020 parue dans la revue scientifique Global Change Biology concluait que « les interventions fondées sur la nature se révèlent le plus souvent aussi efficaces, voire plus efficaces » dans 59 % des cas, « que d’autres interventions pour lutter contre les effets du changement climatique ». Et c’est en préservant les écosystèmes existants, plutôt qu’en essayant d’en récréer de nouveaux, que le potentiel est le plus grand.
Ainsi, la régénération naturelle des forêts pourrait capturer environ 226 milliards de tonnes de carbone, et 61 % de ce potentiel peut être atteint en protégeant les forêts existantes, montrait en novembre 2023 une étude dans Nature. Même s’il « n’existe pas de recette magique, (…) briser les silos est la seule façon d’avancer si on ne veut pas causer davantage de problèmes qu’on en résout », explique Alison Smith.