En Chine, un observatoire souterrain veut percer un mystère de la physique
Publié le - par LeBlob.fr, avec l'AFP
A 700 mètres sous terre, un nouvel observatoire scientifique, construit par la Chine et qui attire les chercheurs étrangers, ambitionne d’être le premier au monde à résoudre une vieille énigme de physique — avant les États-Unis.
Construit à Kaiping, dans la province méridionale du Guangdong, en profondeur pour limiter les rayonnements parasites, le Juno (« Jiangmen Underground Neutrino Observatory »), a récemment accueilli une poignée de médias internationaux, dont l’AFP. Après une descente en funiculaire par un tunnel aux murs humides, on aboutit à l’immense salle où se trouve le détecteur. Une monumentale sphère de 35 mètres de diamètre.
« C’était technologiquement compliqué à réaliser », explique Wang Yifang, directeur de l’Institut de physique des hautes énergies (IHEP) de Chine et chef du projet Juno, en pointant dessus son stylo laser. « Personne n’avait construit un tel détecteur jusqu’à présent », souligne-t-il devant des ouvriers casqués qui mettent les dernières touches à la structure en acier inoxydable et acrylique.
Rôle de l’engin à partir d’août 2025, lorsqu’il collectera ses premières données : détecter les neutrinos émis par deux centrales nucléaires chinoises, situées chacune à 53 kilomètres.
Mais que sont des neutrinos ?
Ce sont des particules élémentaires, de minuscules grains de matière, qui sont tout autour de nous et se déplacent à une vitesse proche de celle de la lumière. Ils passionnent les physiciens. Pourquoi ? Car leur masse, leur nature et leurs oscillations constituent des mystères. Mieux les comprendre, c’est mieux comprendre les phénomènes physiques, sur Terre et ailleurs.
« Enthousiasmant »
Objectif principal du Juno, justement : résoudre une énigme relative aux neutrinos. Ces derniers se présentent sous trois états de masse (m1, m2, m3) et les scientifiques veulent découvrir lequel est le plus léger et lequel est le plus lourd.
Pourquoi ? Car résoudre ce problème, appelé « l’ordre de masse », est crucial pour améliorer le modèle qui permet aux scientifiques de mieux comprendre la physique des particules. Cela permettrait d’en savoir davantage sur l’origine et le destin de l’univers. Un projet « enthousiasmant », déclare à l’AFP Patrick Huber, directeur du Centre de physique des neutrinos à l’université américaine Virginia Tech.
« Il va profondément mettre à l’épreuve notre vision de l’oscillation des neutrinos et de la mécanique quantique. Si le Juno démontre qu’elle était jusqu’alors erronée, ce serait une révolution », note-t-il. L’étude des neutrinos ici pourrait aussi aider à mieux comprendre les astres, le Soleil ou les explosions d’étoiles massives.
Le projet a coûté environ 2,2 milliards de yuans (285 millions d’euros). Sa construction, débutée en 2014, s’achèvera en 2025. Environ six ans de données seront nécessaires pour résoudre la question de « l’ordre de masse ». Aux États-Unis ou au Japon, des expériences similaires sont menées ou prévues. Mais le Juno est « en avance dans la course », affirme à l’AFP Jennifer Thomas, physicienne à l’University College London.
La géopolitique jamais loin
« Nous pensons obtenir le résultat de l’ordre de masse des neutrinos avant les autres », affirme ainsi Wang Yifang. « Un scientifique veut toujours être le premier! », sourit-il. Il souligne que la collaboration internationale ici est « l’une des plus importantes au monde » avec environ 750 membres issus de 17 pays — dont les États-Unis.
« Nous avons deux groupes américains qui participent (...) D’autres sont intéressés et voudraient se joindre à nous », note Wang Yifang. « Mais malheureusement, pour les raisons que tout le monde connaît (...) ils n’ont pas été autorisés à le faire. »
Les institutions scientifiques américaines sont incitées à distendre leurs liens avec leurs homologues chinoises : les États-Unis qui voient avec méfiance l’émergence politico-économique de la Chine ont suspecté des scientifiques chinois présents sur leur sol d’espionnage.
Physicien franco-mexicano-américain à l’université de Californie à Irvine et membre du Juno, Juan Pedro Ochoa-Ricoux n’a pas hésité à participer. Il dit à l’AFP être « impatient » d’utiliser ce détecteur « unique ».
« Nous ne sommes pas complètement insensibles à la situation politique, car il peut parfois y avoir des difficultés à obtenir des visas ou à faire face à un fardeau réglementaire plus lourd, mais la relation scientifique sino-américaine est assez solide », indique-t-il.
Les problèmes de visa affectent « peut-être nos collègues chinois bien plus que nous aux États-Unis », souligne M. Ochoa-Ricoux. « En travaillant ensemble, on montre aussi comment la science peut et doit être apolitique. »