« Sans soutien logistique, on n’y arrive pas » : les stations polaires françaises en sursis face à la flambée du fioul
Publié le - par Le Blob, avec l'AFP
Exsangue depuis des années, l’Institut polaire français va-t-il devoir fermer des stations en Antarctique ? C’est la crainte de beaucoup de scientifiques alors que la flambée des coûts de l’énergie n’est pas compensée par l’État. « On est très inquiet : l’Institut polaire va droit dans le mur. On envisage même de fermer la station Concordia, à l’extrême limite. Et une fermeture, c’est irréversible », prévient Catherine Ritz, glaciologue et présidente du conseil d’administration de l’Institut polaire Paul-Émile Victor (IPEV), basé à Brest.
Soutien logistique à la recherche française, l’IPEV permet chaque année à 320 scientifiques de mener leurs travaux sur les pôles. Mais l’essentiel de ses moyens est absorbé par deux stations en Antarctique : celle de Dumont d’Urville, près de la côte de la Terre Adélie, et celle de Concordia, à 1 100 km à l’intérieur des terres. Inaugurée avec les Italiens en 2005, cette dernière est l’une des trois seules bases à l’intérieur d’un continent grand comme l’Europe. Les scientifiques y observent les exoplanètes, étudient le magnétisme terrestre et suivent l’évolution de la calotte glaciaire. À 40 km de Concordia, le projet européen « Beyond Epica » vise par exemple à obtenir une carotte de glace de 1,5 million d’années, afin d’étudier les variations du climat et des gaz à effet de serre sur le très long terme. « C’est de la science essentielle », estime le climatologue Jean Jouzel.
« La communauté scientifique française est à la hauteur mais, sans soutien logistique, on n’y arrive pas », ajoute-t-il. Travailler dans ces conditions extrêmes (-55 °C en moyenne) nécessite d’énormes moyens. Pour éviter que le froid polaire ne détruise ses infrastructures, Concordia doit ainsi être chauffée au fioul toute l’année. Elle est en outre ravitaillée depuis la côte par des raids de tracteurs tirant des caravanes et des conteneurs de denrées, le tout en une vingtaine de jours aller-retour. « Pour produire un litre d’eau potable à Concordia, il faut un litre de fioul. Et il faut un autre litre de fioul pour amener ce litre de fioul à la station », résume Catherine Ritz.
La station absorbe, à elle seule, la moitié du budget de 18 millions d’euros de l’IPEV. Et avec l’explosion des prix du fioul, des billets d’avion et du transport maritime, l’Institut a accusé un déficit de 3,7 millions d’euros cette année, sans que l’État ne prévoie de rallonge dans le budget 2023. « C’est terrible », lâche la glaciologue Amaëlle Landais, selon laquelle les chercheurs sont déjà obligés de « faire du bricolage » avec « des infrastructures vieillissantes ». « Nous amenons sur ces terres (polaires) à peu près autant de scientifiques pour des missions que la Corée du Sud, avec un budget deux fois et demie inférieur. Nous pouvons appeler cela un miracle. Je ne vous cache pas que le miracle arrive à ses limites », témoignait dès 2019 l’ancien directeur de l’IPEV, Jérôme Chappellaz, devant l’Assemblée nationale, en évoquant des « ressources humaines à bout, avec des personnes qui craquent ».
Des échanges « au sujet d’un soutien de l’État » devrait être programmés avec l’IPEV a assuré le ministère de l’Enseignement supérieur, afin de « préserver l’activité de recherche ». La situation est d’autant plus paradoxale que la France a adopté en avril une « stratégie polaire » prévoyant un engagement de plus de 400 millions d’euros sur huit ans et la rénovation des stations antarctiques. Plusieurs rapports ont en effet pointé ces dernières années l’affaiblissement de l’Institut polaire face à ses homologues allemands (53 millions d’euros) et Australien (88 millions d’euros). « Casser cet outil maintenant serait assez irresponsable et obérerait gravement notre capacité à connaître et anticiper le changement climatique et ses conséquences », critique Jean-Charles Larsonneur, député (Horizons) du Finistère, qui entend défendre un amendement au projet de loi de finances.