Poissons-clowns : une survie liée à l’environnement plus qu’à la génétique
Publié le - par Barbara Vignaux
Les poissons-clowns de l’île de Kimbe, en Papouasie–Nouvelle-Guinée, sont menacés par les modifications possibles de leur habitat : « Ils ne possèdent pas le potentiel génétique pour s’adapter et changer, s’il en est besoin », explique Benoît Pujol, chercheur en adaptation et évolution au CNRS (laboratoire Criobe, université de Perpignan). Lui et son collègue Serge Planes (CNRS) appartiennent au consortium international réunissant aussi des chercheurs australiens, saoudiens, chiliens et américains, et qui publie ce jour une étude dans la revue Ecology Letters.
« L’originalité de notre étude, c’est le suivi à long terme, souligne Benoît Pujol. Cela existe chez les espèces animales terrestres, mais c’est beaucoup plus rare pour les espèces marines ». Un tel suivi, indispensable à un travail de génétique quantitative, est en effet lourd du point de vue logistique : il faut se rendre sur place, plonger, identifier les anémones où se trouvent des poissons-clowns, capturer chaque poisson, le mesurer sous l’eau et procéder à un petit prélèvement pour les analyses génétiques. Et ce, une fois tous les deux ans !
Un arbre généalogique sur quatre générations
En l’occurrence, le consortium scientifique observe des poissons-clowns dans les lagons de l’île de Kimbe, un hot-spot de biodiversité de Papouasie–Nouvelle-Guinée, depuis quinze ans. Grâce aux masses de données récoltées, l’équipe a pu reconstituer les lignées généalogiques par famille pour toute la population étudiée sur quatre générations, sur une dizaine d’années : « L’article rapporte une analyse sur dix ans et non quinze, car il y a un décalage entre prise des données et analyse : reconstruire un arbre généalogique, cela prend du temps », signale Benoît Pujol.
L’équipe a ainsi constaté un manque de variation génétique pour assurer le succès de la reproduction des poissons-clowns : par conséquent, le succès reproducteur de cette espèce dépend presque entièrement de l’environnement, notamment la bonne santé des anémones : « Le succès reproducteur ne pourra pas progresser sur la base de la génétique », souligne Benoît Pujol.
Pour mieux éclairer son propos, le chercheur français propose une analogie avec l’espèce humaine, dans laquelle la taille constitue une variable « très héritable » : elle correspond en général à la moyenne de la taille des parents. « Dans une population donnée, certains ont des gènes qui les destinent à être grands et d’autres qui les destinent à être petits, selon la taille de leurs parents », explique-t-il. S’il y a une pression de sélection, par exemple si les grands ne peuvent pas traverser des tunnels apparus dans leur environnement, la population évolue progressivement en faveur des populations « petites » : c’est cette variation possible qui n’existe pas pour le succès reproducteur des poissons clowns.
Une vulnérabilité face au changement climatique
La survie d’Amphiprion percula pourrait donc être menacée à terme par plusieurs phénomènes : « blanchiment des coraux et des anémones sous l’effet du réchauffement climatique, dégradation des littoraux, acidification des océans… », énumère Benoît Pujol. Mais le chercheur précise deux choses. D’une part, l’étude parue dans Ecology Letters énonce un résultat constaté localement : elle ne décrit pas la dynamique démographique ni génétique des poissons-clowns à l’échelle régionale et encore moins mondiale. D’autre part, insiste-t-il, « certains événements, dans l’évolution, sont imprévisibles ; des individus venus d’ailleurs pourraient, à l’avenir, recréer de la diversité génétique, même si on n’y croit guère pour l’instant ».
L’observation se poursuivra, axée cette fois sur l’habitat, avec de nouvelles interrogations. En particulier : quels sont les effets de l’espèce d’anémone (il en existe deux), de sa taille, de la localisation géographique et de la profondeur sur la vie des poissons clowns ?