Pass sanitaire étendu : le fossé pourrait se creuser entre vaccinés et non-vaccinés
Publié le - par Le blob.fr, avec l'AFP
Il y aura « les bons et les mauvais citoyens » : le projet gouvernemental d’un pass sanitaire étendu, réservant à terme aux seuls vaccinés l’accès à certains commerces ou loisirs, alimente la crainte d’une fracture entre les deux camps. « Si on se reconfine alors qu’il y en a certains qui ne se font pas vacciner, c’est pas juste, j’en peux plus moi, bon sang ! Dans une société, il faut avoir le sens du sacrifice », peste Lua Reis, une cuisinière de 21 ans, qui vient de se faire vacciner à Lyon. À l’opposé, Aude, non vaccinée au nom du « droit de choisir pour sa propre santé », supporte mal le climat de réprobation ambiant. « On me regarde avec l’air de dire : +tu ne penses qu’à toi, tu ne veux pas œuvrer pour l’immunité collective ».
Face à la flambée du très contagieux variant Delta qui pourrait provoquer « une quatrième vague » dès « fin juillet », le gouvernement mise à fond sur une vaccination jugée encore insuffisante, avec à peine 37 % de la population complètement protégée. Dans ce but, à côté de l’obligation vaccinale pour les soignants, l’exécutif planche sur une « extension du pass sanitaire » pour l’accès à certains commerces, bars ou restaurants, comme en Irlande, au Danemark, Autriche et bientôt en Grèce.
Après l’été, une fois que la vaccination aura été « proposée à tous les Français », le gouvernement envisage même d’arrêter le remboursement des tests PCR de confort (concerts ou voyages). Tout semble donc militer pour un traitement différencié à terme entre vaccinés et non-vaccinés.
« Ressentiment » mutuel
Le ministre de la Santé Olivier Véran a justifié une telle démarche : en cas de nouvelles restrictions anti-Covid, « 20 % de non-vaccinés ne pourraient pas contraindre les 80 % de Français (qui veulent l’être, selon de récents sondages, ndlr) à ne pas accéder à des activités courantes qui leur ont tant manqué depuis un an ».
Le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal s’est inquiété ouvertement d’un risque de « fracture vaccinale » et de « ressentiment » mutuel. Pour justifier un pass sanitaire étendu, Olivier Véran a cité des études montrant que fermer les commerces pour tous les Français aurait « un impact pas différent sur l’épidémie » qu’en proscrire l’accès aux seuls non-vaccinés.
Un tel pass « reviendrait à rendre la vaccination obligatoire », fulmine Aude, la cinquantaine et éditrice de profession. « Ni conspirationniste ni anti-vaccins », cette Parisienne mère de trois filles, juge le vaccin anti-Covid « tout à fait indiqué pour les personnes âgées et à risque », « pas pour les plus jeunes » car « il ne permet pas de supprimer la maladie, contrairement aux anti-polio ou tuberculose ». Nicolas M., 41 ans, cadre dans le privé, qui pense, à son âge et vu son état de santé, avoir « zéro chance d’encombrer les hôpitaux », trouve qu’on « met une pression malsaine sur les non-vaccinés » comme lui.
Le variant Delta et le pass sanitaire sont des « mécanismes de peur », selon ce père de famille, prêt à se priver de certains loisirs, « une affaire de principe » face à un « tel abandon de libertés ». Comme lui, Aude dénonce une « restriction de liberté » et même « un premier pas vers un Etat autoritaire », dans « un scénario à la +Black Mirror+ (série TV) où l’on note les bons et les mauvais citoyens ».
Comme la ceinture de sécurité
Pourtant, « du point de vue du droit », prévoir un traitement différencié pour vaccinés et non-vaccinés dans l’accès à certains lieux, pour voyager ou s’éloigner de leur domicile, est tout à fait légal, explique le constitutionnaliste Dominique Rousseau.
La Constitution impose « la protection de la santé publique » et c’est à l’État « de définir les éléments permettant » de la garantir. Par conséquent, même si un pass sanitaire pourrait « porter atteinte au principe d’égalité » entre citoyens, les autorités seraient en droit, selon M. Rousseau, d’« invoquer deux raisons : la différence objective de situation entre vaccinés et non-vaccinés qui justifie de les traiter de façon différente, et un motif d’intérêt général comme le fait d’encourager les gens à se faire vacciner ».
Le professeur de droit dresse le parallèle avec la ceinture de sécurité obligatoire dans les voitures : à l’époque, certains la contestaient « au nom de la liberté individuelle ». Mais ils avaient perdu face à « l’objectif fixé à l’État de protection du public ».