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Une fusée Falcon 9 de SpaceX décolle depuis la Floride avec à bord le télescope européen Euclid, le 1er juillet 2023 © AFP Gregg Newton

Après un décollage « parfait » samedi, le télescope spatial européen Euclid est en route vers son poste d’observation, d’où il tentera d’éclairer l’une des plus grandes énigmes scientifiques, la matière noire et l’énergie sombre, qui constituent 95 % de l’Univers mais dont on ne sait quasiment rien.

Le satellite s’est envolé depuis Cap Canaveral, en Floride, à 11h12 locales (15h12 GMT) à bord d’une fusée Falcon 9 de l’entreprise américaine SpaceX. Après s’être séparé de la fusée, il a comme prévu émis son premier signal.

Le télescope de deux tonnes va être placé à 1,5 million de kilomètres de la Terre. Le travail scientifique doit commencer dans environ trois mois, une fois le calibrage des instruments réalisé. « C’est un moment tellement joyeux de voir cette mission en route vers sa destination », a déclaré lors du direct vidéo de l’Agence spatiale européenne (ESA) Josef Aschbacher, son directeur général. Le décollage était « parfait », a abondé Carole Mundell, directrice des sciences à l’ESA. « Durant les six prochaines années, nous allons démêler les mystères du côté obscur de l’Univers ».



La sonde dressera une carte en trois dimensions de l’Univers, englobant des milliards de galaxies, sur une portion d’un tiers du ciel. Les galaxies lointaines observées permettront de remonter le temps jusqu’à il y a 10 milliards d’années – la durée nécessaire pour que leur lumière nous parvienne.

La matière noire (25 % de l’Univers) et l’énergie sombre (70 %) ont des effets opposés : quand la première assure la cohésion des galaxies, l’énergie sombre provoque, elle, l’expansion de l’Univers. 

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Le télescope spatial européen Euclid explorera la matière noire dans l’Univers © AFP

Pour la première, la matière noire, on sait qu’elle existe grâce à un constat mystérieux : impossible d’expliquer comment une galaxie ou un groupe de galaxies ne se disperse pas en ne prenant en compte que la gravité de leurs éléments visibles (planètes, étoiles…). « Vous devez faire l’hypothèse d’une quantité additionnelle de matière, invisible à nos télescopes, comme une composante gravitationnelle qui tient tout ensemble », explique à l’AFP Michael Seiffert, responsable scientifique d’Euclid pour la Nasa, qui participe aussi à cette mission.

Ce « ciment » cosmique a été baptisé matière noire, jamais observée directement. Il pourrait s’agir de particules subatomiques, selon certaines hypothèses.

L’énergie sombre est peut-être encore plus énigmatique. Depuis les découvertes de l’astronome Edwin Hubble dans les années 1920, on sait que l’Univers est en expansion. Et depuis les années 1990, que cette expansion s’accélère. Or cela « implique que sur de très grandes échelles, la gravité contient en réalité une composante répulsive qui écarte les choses les unes des autres », expose M. Seiffert. Cette force, c’est l’énergie sombre, « un grand mystère de la physique ». 

La méconnaissance de ces deux composantes sombres a été qualifiée de « situation embarrassante » par le responsable de la mission Euclid à l’ESA, Giuseppe Racca. Le satellite a donc pour objectif de mieux comprendre leurs propriétés, la manière dont elles agissent et évoluent à travers le temps. Grâce à sa carte en 3D, le télescope permettra des mesures précises sur la distribution des galaxies et l’expansion de l’Univers. 

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La sonde spatiale Euclid en salle blanche à Cannes, le 21 février 2023 © AFP/Archives Valery Hache

De ces observations, la matière noire et l’énergie sombre seront déduites « indirectement », a expliqué Giuseppe Racca. Calculer la matière noire pourra être fait en « soustrayant » la matière visible. Et en remontant à 10 milliards d’années, Euclid pourrait observer les premiers effets de l’énergie sombre, sachant que l’accélération de l’expansion de l’Univers aurait démarré il y a 6 milliards d’années.

D’un coût de 1,5 milliard d’euros, la mission européenne doit durer jusqu’en 2029 minimum. Le télescope embarque deux instruments : un imageur observant en lumière visible (VIS) et un spectro-imageur proche infrarouge (NISP).

L’immense quantité de données récoltées sera mise à disposition de toute la communauté scientifique, après avoir été analysée par les quelque 2600 chercheurs membres du consortium Euclid, issus d’une quinzaine de pays. Euclid, du nom du père de la géométrie, « va obtenir des données qui sont très utiles pour plein d’autres choses que la cosmologie », a aussi rappelé Marc Sauvage, membre du consortium et astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). 

La Nasa prévoit également de lancer en 2027 une mission dédiée à l’exploration de la matière noire et l’énergie sombre, le télescope spatial Nancy Grace Roman.

Ces deux missions seront « complémentaires », a jugé Marc Sauvage. Réaliser des observations avec des moyens différents permet « de s’assurer que notre mesure n’est pas biaisée par quelque chose qu’on ne connaît pas non plus », a-t-il expliqué. Les différentes expériences réalisées « ne sont pas sensibles aux mêmes biais d’origine inconnue, et c’est en les croisant qu’on arrive à avoir des réponses ultimes ».