
Débris spatiaux, comment les arrêter ?
Des milliers de satellites orbitent autour de la Terre en permanence. Et avec eux, les résidus des fusées qui ont servi à les lancer, des objets dangereux qui peuvent provoquer des collisions et générer à leur tour des débris. Des start-ups et les agences spatiales tentent de trouver des solutions pour réduire le nombre de débris et désorbiter les plus encombrants. Elles travaillent également sur des nouvelles technologies pour faire de la maintenance en orbite et rendre l’utilisation de l’espace plus durable. Reportage au CNES à Toulouse et chez la start-up Astroscale.
Réalisation : Sébastien Avila
Production : Universcience
Année de production : 2025
Durée : 11min32
Accessibilité : sous-titres français
Débris spatiaux, comment les arrêter ?
Voici l’espace qui nous entoure. Au-dessus de nos têtes, des milliers de satellites orbitent autour de la Terre en permanence. Et avec eux, les résidus des fusées qui ont servi à les lancer. Des objets dangereux, voyageant à 27000 km/h, qui peuvent provoquer des collisions et générer à leur tour de nombreux débris mettant en péril tous les satellites et toutes les missions spatiales. Appelé syndrome de Kessler, cette réaction en chaîne ferait augmenter de manière exponentielle le nombre de débris. Le scénario du film Gravity, peut-il donc devenir une réalité? Ou l’heure est-elle au grand ménage?
En France, c’est au CNES à Toulouse, que sont surveillés les débris spatiaux. Ici se trouve le Centre d’Orbitographie Opérationnelle chargé d’évaluer les risques de collision et de proposer aux satellites qui le peuvent des manœuvres d’évitement.
Valentin Baral - Chef du service exploitation surveillance de l’espace - lCNES
“ Nous, ici, on reçoit les alertes sur toute une flotte de satellites, je crois qu'il y en a plus de 1000 par jour. Jean-Charles, tu me confirmes ?
(JCB Très largement, très largement)
C'était dans les 400 000 par an en 2023, je crois. Là on doit être à beaucoup plus, il y a de plus en plus d’objets dans l’espace aussi en face avec lesquels ces satellites peuvent avoir des rapprochements.”
Sur cette image de l’agence spatiale européenne, 34000 objets dont la taille est supérieure à 10 cm sont affichés. Et lorsqu'on regarde des objets plus petits, dont la taille est supérieure à 1cm, ce sont 900 000 débris qui polluent notre voisinage.
Notamment l’orbite terrestre basse comprise entre 100 km et 2000 km d’altitude et où se trouvent les constellations comme Starlink, ou OneWeb.
Un espace saturé où se concentrent 80% des satellites et qui génèrent des milliers d’alertes
- “Là, Jean-Charles, ce que tu nous montres, c'est quoi ? C'est la constellation High-Side, c'est ça ?
- Donc c'est tous les risques actuellement gérés dans le futur sur la constellation ICEYE. On est à l'altitude de la constellation STARLINK, donc on a beaucoup de Starlink, comme d'habitude. On voit qu'on a un niveau de probabilité de collision très élevé en rouge. Les enveloppes de probabilité de position des deux objets qui se rapprochent ici…
- Voilà, les enveloppes sont les incertitudes qu’on a sur les objets au moment où on a estimé qu’ils passaient au plus proche. Et donc le but de ce qu’on fait ici c’est d'éviter ce qui est évitable. Ces objets qui ont une capacité de modifier leur trajectoire on les notifie et on les conseille pour qu’ils adoptent une trajectoire qui les mets sur une chemin où au final le risque est contrôlé…”
Manœuvrer pour esquiver, puis revenir en position. Une opération coûteuse en carburant mais obligatoire. Car plusieurs collisions ont déjà eu lieu dans l’histoire. Pierre Omaly est spécialiste des débris et des risques qu’ils représentent... Et pour lui deux évènements majeurs sont à l’origine de la plus grande quantité de débris actuels.
Pierre Omaly - CNES
“Alors là sur cette courbe, on voit l'histoire du spatial. On a une évolution linéaire du nombre d'objets dans l'espace et puis on a des marches. Et ces marches, en fait, elles correspondent à des événements qui ont été significatifs puisque la première marche qu'on voit, c'est une explosion d'un satellite chinois. Les Chinois ont décidé de détruire un de leurs satellites à 800 km d'altitude pour démontrer au reste du monde qu'ils étaient capables de le faire, simplement. Et ça, ça a multiplié par deux le nombre d'objets en orbite en une fraction de seconde.
Et deux ans plus tard, c'est la deuxième marche, il y a eu la première collision vraiment documentée entre un satellite russe qui était un débris et un satellite opérationnel américain, Iridium 33, qui se sont simplement rentrés l'un dans l'autre et ont généré des milliers de débris qui constituent toujours aujourd'hui des objets qu'il faut qu'on évite avec nos satellites opérationnels.”
Au cours du temps, ces débris se sont répartis de manière homogène, créant une sorte de coquille autour de la Terre…
Pierre Omaly - CNES
“Et ça, c'est très embêtant pour nous parce que, initialement, on avait deux gros objets qu'on pouvait regarder, traquer et savoir où ils étaient. Une fois que ces objets se sont transformés en des dizaines de milliers de petits débris, on ne sait plus où ils sont. Et pourtant, ils sont super dangereux parce qu'un tout petit débris de quelques millimètres peut faire un trou dans une plaque d'aluminium aussi épaisse que ça.
Vous voyez, il y a une petite bille de 7 mm de diamètre qui est arrivée à 6 km par seconde sur cette plaque. Elle a complètement explosé la partie arrière de la plaque pour percer la deuxième peau et est venue ensuite percer la plaque d'aluminium qui était placée derrière et donc ça uniquement 7 mm.
La troisième augmentation, ne vient pas des débris, mais c’est l’arrivée en orbite des nouveaux satellites envoyés ces 5 dernières années.
3, 2, 1 engines full power and lift off of starlink..
Notamment par SpaceX, et ses chiffres qui battent tous les records avec 98 lancements en 2023 et 138 lancements en 2024, soit presque 3 fusées qui décollent chaque semaine.
Starlink deploy confirmed.
Déploiement Starlink confirmé.
Now you can see starlink satellites out in space, drifting away from the second stage…
Vous pouvez désormais voir les satellites Starlink dans l’espace, s’éloignant du deuxième étage…
Sa constellation Starlink compte aujourd’hui 7000 satellites en orbite basse. Un nombre qu’ils souhaitent augmenter à 42.000 d’ici 5 ans. Visibles depuis l’ISS et depuis le sol, ces satellites ont effectué plus de 50 000 manœuvres d’évitement en un an. Une consommation de carburant qui amène leur durée de vie à 5 ans. Après quoi ils se doivent de brûler dans l’atmosphère pour ne pas devenir à leur tour un débris.
Pierre Omaly - CNES
“Quand les satellites arrivent en fin de vie, ça veut dire qu'ils n'ont plus de réserve d'énergie.
Il faut qu'ils soient capables de se désorbiter, c'est-à-dire de redescendre sur Terre, de laisser l'espace libre aux autres satellites.
Et donc pour ça, on travaille sur des systèmes de propulsion un peu innovants ou sur des systèmes de voile qui permettent d'augmenter la surface de traînée du satellite et donc de le faire redescendre beaucoup plus rapidement.
Les faire redescendre sur Terre, c'est pour l'instant la seule solution qu'on a trouvée pour libérer les orbites et pour nettoyer les débris.
L’atmosphère terrestre agit donc comme un incinérateur naturel. Et des start-ups veulent l’utiliser pour nettoyer l’espace, comme la société japonaise ASTROSCALE lancée en 2018. Ici, dans le centre ville de toulouse, se trouve sa filiale française fondée en 2023 et qui compte aujourd’hui une vingtaine d’ingénieurs.
Philippe Blatt - Directeur général Astroscale France
“Le but initial d’astroscale c’est de rendre l'espace durable, donc désorbiter des satellites qui sont en panne et qui encombrent l’espace. Je parle de satellites, je parle aussi de deuxièmes étages de lanceurs qui sont toujours en orbite et qui interdisent d’utiliser cet espace là. Deuxième activité, re-remplir de carburant des satellites qui n’ont n’en plus. et donc prolonger d’autant leur durée de vie pour des satellites qui coûtent extrêmement cher,on parle de centaines de millions d’euros, c’est rentable. Mais aussi déplacer en orbite un satellite qui n’est pas capable de le faire lui-même, parce qu’il le faisait, il épuiserait tout son carburant. Il faut le faire d’une façon sûre pour pouvoir continuer à exploiter l'espace.“
Février 2024, lancement depuis la Nouvelle-Zélande de leur mission ADRAS-J. Premier objectif, s’approcher d’un gros débris.11m de long, 4m de diamètre, ce morceau de fusée de 3 tonnes a été lancé par les japonais en 2009. Le désorbiter serait une première historique. Mais s’approcher de manière autonome, n’est pas une simple affaire.. explications.
Anthony Decambray - stagiaire ingénieur Astroscale France
“ Lorsque l’on souhaite s’approcher d’un débris, il est hors de question de foncer sur le débris parce que cela provoque trop de risque de collision et de créer de nouveaux débris. Donc ce qu’on va faire, c’est faire des manœuvres de proximité en ayant des orbites différentes.
Notre débri à ce mouvement là.. et notre satellite va avoir un mouvement de spirale autour du débris, et aussi donc de passer devant et derrière sans savoir de risque de collision puisqu’on contrôle ces différences d’orbites.
Une approche par ellipses successives, qui vont se resserrer peu à peu..
Là mon travail c’est de créer une simulation de mission pour faire de l’imagerie de débris. On va commencer par une orbite de sécurité à grande distance autour du client et au fur et à mesure de l’avancement de la mission on va effectuer des orbites de sécurité de plus en plus petites. Par exemple là on passe de la rose à la bleu, à l' Orange on commence à se rapprocher progressivement du client afin de d’obtenir des infos de plus en plus détaillées et précises sur ce débris.
Fin 2024, Astroscale réussit avec son petit satellite d’inspection à s'approcher à une 50aine de mètres seulement du débris visé. Une première mondiale. Mais il n’est pas encore question de le désorbiter. Pour celà il faudra attendre après 2025 le lancement d’une deuxième mission. Pour l’heure, les ingénieurs doivent valider étape par étape la robustesse de leur technologie..
Cédric Magueur - Ingénieur Astroscale France
"Dans les phases finales d’approche, on utilise aussi une technique qui s’appelle le modèle Matching où on va venir superposer une référence 3D de l’objet avec l’image qui est capturée par les par les senseurs."
"Donc la théorie avec le réel…"
"Exactement, et donc idée c’est pouvoir déterminer la distance par rapport à notre servicer. A partir du moment où on se retrouve à très proche de la cible et qu’on veut se synchroniser avec elle, on va arrêter ce système d’ellipses et se mettre juste en retard de la cible, afin de se synchroniser avec elle pour préparer les phases futures qui seront éventuellement l'amarrage"
"Synchroniser ça veut dire qu’on va avoir le même mouvement qu’elle a ?"
"Voilà, le même mouvement et on appelle ça une danse. On danse avec l’objet."
Une danse complexe qu’il faudra maîtriser et répéter à faible coût pour être rentables..
Philippe Blatt - Directeur général Astroscale France
“La grande complexité dans l’espace et de s’approcher d’un objet et de s’y amarrer à partir du moment où on est amarré à un objet, on peut opérer beaucoup d’opérations sur cet objet, donc ça ouvre le champ à d’autres activités comme le remplir de carburant comme le réparer comme l’inspecter comme l’observer.
C’est une nouvelle vision de l’espace, on ne lance pas des choses jetables, mais on les conçoit pour qu’elles puissent être réparées, recyclées, étendues et les faire durer le plus longtemps possible.
C’est donc toute une panoplie de services en orbite que souhaite développer Astroscale dans les années à venir. Selon les experts, il faudrait retirer 5 à 10 débris de cette taille tous les ans pour stabiliser la tendance… et une liste des 50 débris les plus dangereux a même été publiée. Reste à savoir qui va mettre la main au porte monnaie en l’absence d’accords, ou de contraintes internationales dans un secteur très concurrentiel et qui est en pleine expansion.
Réalisation : Sébastien Avila
Production : Universcience
Année de production : 2025
Durée : 11min32
Accessibilité : sous-titres français