Le Français Michel Talagrand remporte le prix Abel de mathématiques
Publié le , mis à jour le - par Le blob.fr, avec l'AFP
Comment prédire ce qui est aléatoire ? Le prix Abel de mathématiques a récompensé mercredi le Français Michel Talagrand, un spécialiste des probabilités et de l’analyse fonctionnelle, pour qui « les mathématiques donnent des ailes ».
Du poids des bébés à la taille des vagues, les travaux de cet ancien chercheur du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), âgé de 72 ans, ont permis de mieux comprendre les phénomènes aléatoires dont le monde est fait. Michel Talagrand est distingué « pour ses contributions révolutionnaires » qui ont eu « des applications remarquables en physique mathématique et en statistique », a expliqué l’Académie norvégienne des sciences et des lettres.
Ayant fait carrière à l’Institut de mathématiques de Jussieu à Paris, il est le cinquième Français à remporter le prix Abel depuis sa première édition en 2003. « Les mathématiques françaises se portent extrêmement bien, nous pouvons en être fiers », a-t-il déclaré. Lui qui a longtemps cherché à prédire l’aléatoire a, lors d’une visioconférence avec l’académie norvégienne, confié sa surprise d’avoir remporté le prix. « Il y a eu un blanc total dans mon esprit pendant plusieurs secondes », a-t-il expliqué, bandana sur la tête, lunettes fines et barbe blanche.
« Si l’on m’avait dit qu’un vaisseau extra-terrestre avait atterri devant l’hôtel de ville, je ne pense pas que j’aurais été plus surpris ». Lors de son entretien, il a raconté avoir choisi les mathématiques « par nécessité ». « À l’âge de 15 ans, j’ai eu de multiples décollements de la rétine et, pendant dix ans, j’ai vécu dans la terreur de devenir aveugle ». Pour le supporter et faute de pouvoir « aller courir avec les copains », il se plonge dans le travail. Son père étant agrégé de mathématiques, c’est vers cette matière qu’il se tourne « naturellement ». « Les maths, plus on en fait plus ça devient facile », affirme-t-il. Sa page internet — rudimentaire — assure d’ailleurs en anglais que « les mathématiques donnent des ailes ».
Sur X (anciennement Twitter), le Premier ministre Gabriel Attal a salué une « victoire pour celui qui était un jeune garçon au parcours scolaire atypique », tout en s’exclamant « Fierté française ! ».
« Mathématicien exceptionnel »
Dans ses attendus, l’académie norvégienne met en exergue trois de ses contributions dans des domaines aux intitulés obscurs : le supremum des processus stochastiques, la concentration des mesures et le verre de spin qui a trait au comportement d’impuretés magnétiques dans des alliages métalliques. « M. Talagrand s’avère être un mathématicien exceptionnel, doublé d’un redoutable spécialiste dans la résolution de problèmes », a commenté le président du comité du prix Abel, Helge Holden. « Il a grandement contribué à notre compréhension des processus aléatoires et en particulier des processus gaussiens », a-t-il ajouté.
Dans un communiqué, le CNRS a vanté des travaux qui permettent « de mieux comprendre comment et pourquoi de nombreux phénomènes sont décrits par la +distribution gaussienne+ ». « Notre vie entière est guidée par la distribution gaussienne », a développé l’organisme public. « Le poids des bébés à la naissance, les résultats obtenus par les élèves à l’école et l’âge auquel les athlètes prennent leur retraite sont autant d’événements apparemment aléatoires qui suivent parfaitement la distribution gaussienne ».
De son côté, la ministre française de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau, a exprimé « une immense fierté de voir le dynamisme et l’excellence de la recherche française en mathématiques ainsi récompensés ».
Michel Talagrand succède à l’argentino-américain Luis Caffarelli qui avait remporté le prix Abel l’an dernier pour sa contribution dans le domaine des équations aux dérivées partielles. Baptisé en hommage au mathématicien norvégien Niels Henrik Abel (1802-1829) et doté de 7,5 millions de couronnes (environ 647 000 euros), le prix sera officiellement remis à Oslo le 21 mai. La récompense a été créée au début des années 2000 par le gouvernement norvégien, entre autres, pour compenser l’absence de prix Nobel de mathématiques. Michel Talagrand a précisé qu’il reverserait l’intégralité du pécule Abel à une fondation qu’il est en train de créer avec les 1,2 million de dollars du prix Shaw qu’il a remporté en 2019. Cette fondation, a-t-il dit, commencera « d’ici à dix ans » à décerner son propre prix pour couronner des avancées en mathématiques. Avant M. Talagrand, le prix Abel avait couronné les Français Yves Meyer (2017), Mikhaïl Leonidovich Gromov (2009, également de nationalité russe), Jacques Tits (2008) et Jean-Pierre Serre (2003).