En Île-de-France, l’essor énergivore des « data centers » fait grincer des dents
Publié le - par LeBlob.fr, avec l’AFP
Sans coffre-fort numérique, impossible d’envoyer un mail ou d’utiliser une application. Les « data centers » ou centre de données sont devenus indispensables dans notre quotidien et prolifèrent en Île-de-France, où leur présence « énergivore » suscite la contestation.
Derrière le petit écran d’un téléphone se cache « un entrepôt dans lequel on stocke des dizaines ou des centaines de milliers d’ordinateurs qui fonctionnent 24 h sur 24 et font partie du cloud », résume Arnaud de Bermingham, président de Scaleway, hébergeur filiale d’Iliad (Free). Le groupe possède quatre centres de données dans l’Hexagone, tous installés en Île-de-France. Ces infrastructures qui n’ont rien de virtuel s’installent sur le territoire francilien, car « elles ont besoin de grandes puissances électriques, de fibres optiques et d’un foncier à l’écart des zones de risque naturel », explique Cécile Diguet, urbaniste à l’Institut Paris Région.
En 2021, l’Île-de-France compte 124 « data centers » sur les 138 référencés sur le territoire. Et la Seine–Saint-Denis constitue la première concentration de stockage de données en Europe, car avec son passé industriel le département possède « de grandes parcelles en friche à bas coût », précise Mme Diguet. Interxion, l’un des leaders mondiaux, s’est offert l’usine Airbus Helicopters à La Courneuve pour implanter « le plus grand data center de France sur sept hectares », selon son directeur Fabrice Coquio. En septembre, le groupe américain va inaugurer le premier bâtiment du méga-complexe, un investissement « à plus d’un milliard d’euros », précise M. Coquio, qui avait installé son premier centre à Aubervilliers dès 2000. Ses clients : Facebook, Google, Tinder… « Tous les grands acteurs de la tech américaine, des télécoms mais aussi des groupes français et des institutions. »
L’augmentation de la consommation numérique, notamment avec le télétravail, le développement des objets connectés et l’intelligence artificielle, nécessite plus de stockage. « Au XIXe siècle, on construisait des gares, au XXe des autoroutes et des aéroports, au XXIe siècle, on fait des réseaux de câbles et des data centers », analyse le patron d’Interxion France. Et les contraintes pour s’installer « sont légères », estime Cécile Diguet, réalisatrice d’une étude sur les « data centers » en Île-de-France, région qui approche la saturation en terme d’alimentation électrique et de disponibilité foncière.
Ces coffres-forts numériques peuvent avoir des effets « sur la santé », estime encore l’urbaniste qui pointe « les risques liés au stockage de fioul » destiné aux groupes électrogènes en cas de panne électrique, les ondes électromagnétiques ou le bruit des climatiseurs. En 2015, deux habitantes de la Courneuve et l’association environnementale URBACTION' 93 avaient obtenu l’annulation de l’arrêté préfectoral qui autorisait l’exploitation du « data center » d’Interxion dans une zone d’habitation. Le groupe a fini par obtenir son sésame après une remise aux normes. Mais des voix s’élèvent encore pour contester son méga centre en construction le long de l’A86 à La Courneuve, là où le maire PCF Gilles Poux aurait préféré voir s’installer une école et des logements.
Amazon recalé
Dans l’Essonne, une agglomération a remporté une première étape contre la construction du « data center » d’Amazon à Brétigny-sur-Orge. La préfecture de région a opposé un refus d’agrément en avril mais le géant du numérique a déposé un recours gracieux. Dans son arrêté, la préfecture note « qu’aucune solution de valorisation de la chaleur fatale (dégagée) produite par le projet (…) n’est proposée ». « Je ne suis pas contre les data centers », assure Eric Braive, président de Cœur d’Essonne qui regroupe 21 communes. « Mais nous disons à Amazon : "Vous êtes la plus grande entreprise du monde, vous ne pouvez pas faire un data center lambda. Il doit être le plus innovant possible et contribuer à la facture énergétique" ». Ce futur centre « n’est pas accolé au chauffage d’une piscine ni de logements sociaux, c’est un produit énergivore qui perd cette énergie », regrette l’élu. Amazon souhaite construire son centre près d’un bâtiment industriel lui appartenant, mais aussi à côté d’une ferme bio qui « produit 130 tonnes de légumes par saison », rappelle M. Braive. L’élu espérait que la venue d’Amazon serait pourvoyeuse d’emplois. Mais le projet équivaut seulement à « 100 ou 200 emplois maximum ». Contacté par l’AFP, Amazon a indiqué ne pas avoir de porte-parole disponible.
« Un data center, c’est très énergivore », concède le président de Scaleway. Pour son centre de Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise), la facture d’électricité s’élève à un million d’euros par mois. A perte de vue : des rangées d’ordinateurs, de serveurs ou de routeurs connectés à des fibres optiques. Mais ce « data center » n’utilise pas de climatisation et « consomme entre 40 et 50 % d’énergie en moins », en employant un système « ancestral » dit « adiabatique », se félicite Arnaud de Bermingham. La chaleur dégagée par les machines, en surchauffe permanente, est mélangée à l’air extérieur et réutilisée pour refroidir les ordinateurs. S’il est impossible de se passer des « data centers », « des technologies vertueuses sont possibles », assure le chef d’entreprise.