De faux œufs de tortues imprimés en 3D pour lutter contre le braconnage
Publié le - par Veronique Marsollier
Sur les plages d’Amérique centrale, en particulier du Nicaragua et du Costa Rica, se déroule un trafic dévastateur : plus de 90 % des nids de tortues de mer menacées d’extinction sont détruits par les braconniers qui revendent les œufs sur un marché illégal particulièrement juteux. Considérés comme un met délicat, les œufs passés en contrebande peuvent être vendus, entre 100 à 300 dollars USD pièce, aux restaurants et aux bars.
Une équipe de l’université du Kent (Royaume-Uni) et de l’organisation à but non lucratif Paso Pacifico (Nicaragua) a décidé de réagir à cette situation. Les biologistes ont conçu un piège particulièrement astucieux permettant de remonter les filières de commerce illégal d’œufs de tortues et mettre hors de nuire les trafiquants. Une étude parue dans la revue Current biology le 5 octobre teste le fonctionnement de ce piège et son innocuité pour les tortues.
Comment leurrer les braconniers ?
L’inspiration est venue de façon inattendue au souvenir de scènes de deux fameuses séries américaines « Breaking bad » et « The wire » où les policiers inventent des dispositifs pour piéger les délinquants explique Kim Williams-Guillem, conservatrice pour l’organisation Paso Pacifico et qui a conçu le piège.
L’idée : un œuf de tortue de mer capable de leurrer les pilleurs de nids avec un dispositif de repérage GPS-GSM placé à l’intérieur. L’œuf imprimé en 3D reproduit l’apparence, le poids et la sensation texturée et spongieuse d’un véritable œuf de tortue. Puis il est placé, ni vu ni connu, dans un véritable nid au milieu des autres œufs. Lorsque l’œuf est volé par un braconnier, il est ainsi possible de le tracer et de suivre les itinéraires de contrebande en temps réel grâce à un logiciel sur ordinateur ou une application smartphone, le tout à faible coût.
Les chercheurs ont aussi vérifié, avec des résultats positifs, que les leurres implantés dans les nids n’affectent pas la viabilité des œufs réels, en les surveillant de l’incubation à l’éclosion.
De l’idée à la pratique
Mais ce projet baptisé InvestEggator est-il efficace ? Pour le tester, Helen Pheasey, spécialiste de la gestion de la biodiversité à l’université du Kent (Royaume-Uni) et auteur principal de l’étude et ses collègues ont donc installé un leurre dans 101 nids de tortues sur quatre plages du Costa Rica. Un quart des faux œufs ont été prélevés illégalement dans les nids permettant ainsi aux chercheurs de suivre les œufs de cinq couvées, dont deux nids de tortues vertes (Chelonia mydas) et trois nids de tortues olivâtres (Lepidochelys olivacea). Malgré un taux d’échec de 32 % (les faux œufs ont été découverts et jetés ou sujets à dysfonctionnement), le dispositif a plutôt bien fonctionné selon l’équipe.
La piste la plus courte a émis son signal final à 28 m d’une résidence, tandis qu’un autre a parcouru 2 km jusqu’à un bar. Mais le leurre qui est allé le plus loin s’est retrouvé à 137 kilomètres à l’intérieur des terres, identifiant une chaîne commerciale. Il a passé deux jours en transit de la plage à un quai de chargement d’un supermarché, puis s’est retrouvé dans une propriété résidentielle. Supposition des chercheurs : l’œuf a été transféré directement du trafiquant au vendeur. Un autre a été découvert à 43 kilomètres de la plage. Les chercheurs ont pu recevoir des photos de l’œuf disséqué ainsi que des informations sur l’endroit où l’œuf avait été acheté et le nombre d’œufs échangés complétant ainsi les données déjà obtenues. Ces premières « preuves » explique Helen Pheasey montrent que la majorité des œufs volés ne quittent pas la région.
Les soupçons de l’équipe sont donc confirmés. « Le fait de savoir qu’une proportion élevée d’œufs reste dans la région nous aide à cibler nos efforts de conservation » déclare Helen Pheasey « Nous pouvons nous concentrer sur la sensibilisation des communautés locales et orienter les forces de l’ordre. Cela signifie également que nous savons où se trouvent les consommateurs, ce qui nous permet de mieux cibler les campagnes pour réduire la demande ». « Ce qui est essentiel, ce n’est pas d’arrêter les personnes qui se servent sur la plage — un phénomène bien identifié — mais d’arrêter les trafiquants qui revendent les œufs. », expliquent les chercheurs. C’est ce qui fait d’investEGGator un outil important pour renforcer la lutte contre le commerce illégal selon eux. Même si les sanctions appliquées pour les voleurs sont déjà particulièrement sévères : au Costa Rica, profaner un nid de C. Mydas peut coûter 530 dollars et en 2017, un juge a infligé une amende de 7 370 dollars pour la destruction de 224 œufs de L. olivacea. Une sanction qui dorénavant fait référence.
Mais l’objectif de l’équipe est plus global. « Il doit être utilisé dans le contexte d’une approche de conservation à plusieurs volets qui se base sur l’éducation, la création de meilleures opportunités économiques et l’application de la loi pour aider à lutter contre le braconnage des œufs de tortues marines », précise Kim Williams-Guillen. Il est possible d’utiliser ces leurres également pour d’autres reptiles pondeurs victime du pillage de leurs œufs comme les crocodiles ou certains oiseaux. Le déploiement de ce type d’outils facile à concevoir et peu coûteux, pourrait permettre de freiner le commerce illégal d’espèce sauvage espèrent les chercheurs.