Violences envers les femmes : une fatalité évolutive ?
La coercition envers les femmes est-elle une fatalité évolutive ou une invention culturelle ? Comment s’est instaurée la domination masculine, qui semble être devenue la règle pour notre espèce ? Dans son livre « Et l’évolution créa la femme » (éd. Odile Jacob, octobre 2020), Pascal Picq, paléoanthropologue, enquête sur l’évolution des rapports entre les genres en comparant d’abord l’humain à ses plus proches cousins, singes et grands singes, puis en s’intéressant à la lignée humaine, des australopithèques aux sociétés humaines contemporaines.
Cet entretien peut aussi être écouté en podcast :
https://soundcloud.com/universcience-2/sets/violences-envers-les-femmes-une-fatalite-evolutive
Chapitres :
00:00 Sexe, sexualité et coercition sexuelle chez les singes
15:52 L’évolution de la coercition dans la lignée humaine
38:43 Monogamie et guerre des sexes ?
Réalisation : Caroline Ando
Production : Universcience
Année de production : 2020
Durée : 46min28
Accessibilité : sous-titres français
Violences envers les femmes : une fatalité évolutive ?
On parle beaucoup d'égalité hommes-femmes, de coercition, de violence, c'est partout dans le monde. Malheureusement, les statistiques sont en ligne, il n'y a pas de secret, toutes les sociétés humaines connaissent des violences envers les femmes. Et la plupart du temps, indépendamment des classes économiques et sociales. On se pose la question. Si ça concerne toutes les sociétés humaines, est-ce en raison du passé, de la nature ou de la culture ? Y a-t-il une fatalité qui fait que les femelles sont victimes d'agressivité et de discrimination de la part des mâles ? Chez les mammifères, il y a très peu de coercition masculine. Ça existe dans les lignées comme les dauphins. Ils sont moins sympas avec leurs femelles qu'ils en ont l'air. Les otaries, les chevaux et les antilopes non plus, tout comme les éléphants de mer. Il y a peu d'espèces où les mâles sont coercitifs envers les femelles. Pourtant, l'enjeu est considérable. Il s'agit de l'enjeu de la reproduction puisque les femelles ont un investissement énorme chez les mammifères car elles sont gestantes ou allaitantes. Tandis que les mâles se contentent d'être des géniteurs. En général, les mâles s'investissent très peu dans l'éducation, voire la protection des petits. Il peut y avoir des mâles puissants, mais leur puissance est liée à la rivalité entre eux plutôt qu'au service de la coercition des femelles, d'autant plus que souvent, il y a des saisons de reproduction. Regardons chez les primates, notre ordre zoologique. Les primates se caractérisent par la vie dans les arbres, milieu protégé. La caractéristique des primates est que les femelles mettent un seul petit au monde après une longue gestation. Et le sevrage est assez tardif. Par rapport aux mammifères, il y a encore plus de déséquilibres qu'on appelle l'anisogamie, entre l'investissement des femelles et des mâles. Chez les lémuriens de Madagascar qui sont des primates, le groupe est assez homogène, ce qui est rare. Les femelles sont dominantes ou codominantes. On peut considérer qu'à l'origine, depuis 50 millions d'années, les sociétés de primates mettent mâles et femelles à égalité, avec parfois de la coercition, mais peu. Regardons les singes d'Amérique du Sud, il y a une soixantaine d'espèces. Il y a beaucoup de monogamie et de polyandrie. La polyandrie, c'est une femelle et plusieurs mâles. Et il n'y a pas de coercition de la part des mâles. Il y a d'autres espèces comme les singes-araignées, où les mâles sont affiliés, ils sont patrilocaux. Ça veut dire qu'ils restent ensemble toute leur vie et les femelles migrent à l'adolescence. D'emblée, les mâles sont ensemble toute leur vie. C'est un facteur qui favorise leur domination. Il y a de la coercition, mais très peu violente et modérée. Il y a deux grands groupes de primates. Les lémuriens de Madagascar, et les singes d'Amérique du Sud où il y a peu ou pas de coercition. Nous pouvons dire par rapport à ces connaissances que l'ordre des primates se caractérise par des sociétés assez équilibrées. Les mauvaises nouvelles arrivent avec les singes de l'Ancien Monde. Chez les espèces actuelles, babouins, macaques, entelles, colobes, rhinencéphales, mais aussi les gorilles, chimpanzés, orangs-outans, hommes évidemment, et bonobos. Chez les singes à quatre pattes qu'on appelle cercopithécoïdes, nous avons une grande diversité mais il y a une tendance chez cette population à être plus coercitive. C'est une moyenne, en termes de diversité. Donc, il y a plus d'espèces coercitives mais certaines autres sont plus égalitaires. La bonne nouvelle, c'est qu'aucune lignée ne peut être caractérisée de franchement coercitive. On ne peut pas non plus considérer qu'un environnement précis mène à plus de coercition. La forêt est plus tranquille, même s'il y a des prédateurs, tandis que la savane est plus dangereuse. On pourrait imaginer que ce sont des contextes plus violents, donc plus coercitifs envers les femelles. Voici quelques exemples simples. Chez les babouins, les babouins hamadryas vivent sur les hauts plateaux d'Éthiopie et ont des harems polygynes : un mâle et plusieurs femelles. Ils sont très machistes, souvent violents. Ils kidnappent les femelles à peine pubères qu'ils mettent sous leur coupe, et peuvent être violents, dès qu'une femelle s'échappe, qu'elle sort de leur champ visuel, ils la retrouvent et ils peuvent sévir très violemment. Il y a d'autres babouins qui sont les babouins gelada. Les conditions écologiques sont similaires. La structure est la même, un mâle et plusieurs femelles mais les femelles sont apparentées. Elles sont cousines, mères, sœurs... Le mâle est toléré, les femelles peuvent changer de mâle, ce régime est donc plus égalitaire. Les mâles ont des difficultés à exercer de la coercition. C'est intéressant car ces deux espèces sont très proches au niveau de la relation de parenté suite à leur évolution. Les conditions écologiques sont similaires, et les stratégies de rapport de pouvoir, de solidarité ou de coalition sont très différents des femelles envers les mâles. Chez les macaques, on connaît tous les macaques de Barbarie, les fameux magots. Chez eux, les femelles sont très attentives à la qualité des mâles et au fait qu'ils soient tolérants avec leurs petits. Elles sélectionnent les mâles qui entrent dans leur groupe. Il y a aussi les macaques de Tonkean de l'île de Célèbes. Les mâles sont superbes. D'ailleurs, plus les mâles sont sympas avec les femelles, plus ils sont beaux. Je ferme la parenthèse. Ces mâles sont très tolérants, pourtant très puissants. Si un mâle devient coercitif, l'ensemble du groupe ou certaines femelles réagissent. La violence est en péril. Il y a les macaques rhésus ou macaques du Japon qu'on connaît bien pour passer l'hiver dans des sources thermales. Ces macaques sont très coercitifs. On voit que dans l'exemple des babouins en Afrique, et des macaques qui sont asiatiques à part les magots qui sont africains, on peut avoir des situations très différentes. Point très important : chez toutes ces espèces de singes, en Afrique du Sud aussi, et chez les autres mammifères, les femelles sont matrilocales. Elles ne quittent jamais leur troupe natale au cours de leur vie. Les mâles migrent à l'adolescence pour se reproduire. J'évoquais tout à l'heure le fait que les femelles soient attentives aux jeunes mâles qui vont intégrer leur groupe. Elles feront attention à ce que ces mâles en pleine force de l'âge puissent s'imposer aux autres mâles qui ne les voient pas du meilleur aloi. Leur agressivité va servir pour s'imposer aux autres mâles, mais surtout pas vis-à-vis des femelles qu'ils vont tenter de séduire. Et s'ils sont gentils avec les petits alors qu'ils ne sont pas les pères, dans ce cas, on parle de "care", les femelles en feront des amis, et plus tard, quand elles seront en période de reproduction qui s'appelle l'œstrus, elles en feront des partenaires privilégiés. En effet, le vrai danger pour les femelles, c'est l'infanticide. Quels sont les moyens des femelles pour éviter la coercition des mâles ? Premièrement, être coalisées. Si elles sont apparentées, ça facilite les choses. La coalition entre femelles donc. Deuxièmement, éluder la paternité. C'est-à-dire que chez ces espèces, quand les femelles sont en période de fécondation, donc en œstrus, elles ont des cycles qui s'harmonisent. Plusieurs femelles sont en œstrus en même temps et ouvertement, elles ont plusieurs partenaires sexuels. C'est la polyandrie sexuelle. De fait, les mâles ne sont jamais certains s'ils sont pères ou pas car s'ils sont certains de ne pas être les pères, ils tuent les petits. Ça, c'est général. Il y a aussi les stratégies intelligentes ou de coalition, il s'agit de s'allier à des mâles puissants et tolérants qui les protègent si un mâle agressif arrive. Je vous raconte une anecdote car ça peut vite changer. Nous sommes au Kenya. Des babouins de savane se dirigent vers un "lodge", un hôtel de brousse. Cet hôtel a eu des problèmes avec la viande. Il y avait encore la peste bovine. La viande est jetée sur la décharge, et les babouins aiment la viande. Dans ce groupe, les mâles s'étaient arrangés pour dominer. Ce n'était pas un patriarcat. Si les mâles ne sont pas apparentés, c'est de la phallocratie. Les mâles dominent les femelles de manière coercitive. Ils arrivent vers cette viande qui est très recherchée. Ils écartent les femelles, se goinfrent et meurent tous. Les femelles comprennent. Dans les mois et années qui ont suivi, les femelles ont veillé à ce que ça ne se reproduise pas et ont sélectionné et accepté dans le groupe des mâles plus tolérants, moins coercitifs, plus amicaux avec elles et surtout non-violents et joueurs avec les petits. Les stratégies sont là, néanmoins, soyons très clair et c'est très important, ces espèces sont matrilocales. Les femelles sont ensemble toute leur vie. La matrilocalité favorise la coalition et la résistance aux mâles. Mais il arrive que les mâles deviennent coercitifs. Il n'y a pas de règles absolues liées à la lignée, à la matrilocalité ou à l'écologie. C'est tout simplement une affaire de pouvoir, de capacités que peuvent avoir les mâles et les femelles à mettre en place une société dans laquelle il y a moins de violence ou plus de violence. On est dans le cadre des sciences sociales et culturelles. Ça peut surprendre car en France, il y a une réticence par rapport à l'arrivée de l'éthologie et l'étude des singes qui sont comparés à notre espèce. Il y a la crainte de se dire que tout ça est lié à un déterminisme génétique qu'on ne pourrait pas amendé, et que ce serait lié à un déterminisme écologique, mais pas du tout. Les problématiques ded sciences humaines, donc sociales et culturelles, s'appliquent clairement aux espèces plus ou moins proches de nous. Si on regarde beaucoup plus proche de nous, il y a les chimpanzés, les bonobos qui sont aussi des chimpanzés et puis les gorilles dont on ne va pas parler. Aujourd'hui, les deux chimpanzés sont des espèces frères, donc les chimpanzés et les bonobos. Leurs cousins, ce sont les humains. Les gorilles sont nos cousins germains. Il y a une particularité car ce sont des espèces patrilocales, ce qui est très rare. Les mâles restent ensemble toute leur vie dans leur groupe, et les femelles migrent à l'adolescence. En général, dans les sociétés humaines, jusqu'à récemment, les femmes allaient dans la famille du mari. Cela nous fait trois sociétés patrilocales. La patrilocalité remonte donc à au moins 5 à 7 millions d'années. Mais... il se trouve que les chimpanzés sont très coercitifs, ils font partie des espèces les plus violentes envers les femelles. On parle d'antagonisme sexuel. N'importe quel mâle fera en sorte de dominer toutes les femelles. La coercition est forte, les femelles doivent céder la nourriture, les passages, elles sont agressées avec... de la gestuelle, des vocalises, elles apprennent à céder aux mâles. Dès le départ, si ça se traduit par la soumission de la femelle ou par un acte sexuel, ça s'appelle de la coercition directe. Néanmoins, il y a clairement un conditionnement violent. Et quand plus tard, la femelle devient féconde, donc en œstrus, elles apprennent à se soumettre beaucoup plus rapidement. C'est la coercition indirecte. De plus, les mâles sont capables de se coaliser pour exercer une coercition collective envers les femelles. Ça peut être assez violent. Les viols sont très rares. Et on ne connaît aucun cas de meurtre. Intéressons-nous aux bonobos qui sont aussi patrilocaux. Les mâles sont apparentés. Les femelles migrent à l'adolescence. Les femelles se sont arrangées pour avoir le pouvoir, ou au moins l'égalité. Ce n'est pas un matriarcat, c'est une gynocratie. Les femelles se sont coalisées même si elles ne sont pas apparentées. Elles peuvent ainsi gérer la violence et si un mâle devient agressif, l'ensemble des femelles et des mâles vont intervenir pour tempérer ses tentatives de violence ou en tout cas de coercition. C'est intéressant car ni les chimpanzés, ni les bonobos sont plus proches de nous. Ils sont frères et nous sommes cousins. Donc même avec des sociétés patrilocales qui favorisent la coercition et la coalition des mâles, nous avons la capacité d'avoir des femelles qui se trouvent soumises à la loi des mâles, ce sont les chimpanzés, ou alors une gynocratie comme chez les bonobos où les femelles ont été capables de tempérer. On évoque aussi de temps en temps le facteur de l'environnement. Les bonobos vivent dans des milieux forestiers qui ne sont pas non plus tranquilles mais la pression de prédation est faible, c'est facile de se protéger. Les chimpanzés vivent dans une grande diversité d'habitats qui peuvent être des forêts denses ou des savanes arborées. La population des chimpanzés se répartit de la Tanzanie jusqu'au Sénégal, c'est une grande superficie. Même chez les chimpanzés, on s'aperçoit que malgré une domination des mâles systématique, dans certains groupes, la dominance est plus tempérée. Ce sont vraiment des questions de culture. Les facteurs d'environnement peuvent être des facteurs aggravants. Mais ce ne sont pas les facteurs déterminants qui interviennent dans ces relations entre les mâles et les femelles. Quant aux humains, au sujet des formes de coercition, que ce soit gestuel, visuel, physique, molestation, viols, soumission, coercition directe ou indirecte, séquestration ou pas, chez les sociétés humaines actuelles, les humains cochent toutes les cases et on a même rajouté des formes de coercition sur le langage, symbolique, culturelle, politique et économique. Globalement, on peut conclure, sans vouloir fustiger les hommes ou atténuer leur cas, on s'aperçoit que dans l'état actuel, l'humanité, Homo sapiens, est l'une des espèces les plus coercitives. Pour l'instant, on ne s'en sort pas avec la Palme d'or, à part pour la coercition, même par rapport aux chimpanzés. Comme chez les chimpanzés, les sociétés humaines sont diversifiées. Là, je parle de moyenne. Nous, biologistes et éthologues, disons cela en moyenne. Et évidemment dans la diversité des sociétés humaines, en moyenne, nous appartenons à l'espèce la plus coercitive envers ses femelles. Et c'est un peu violent, mais le pire ennemi de la femme, c'est l'homme. Dans la lignée humaine, il y a les australopithèques. Lucy a été la première lueur féminine dans la Préhistoire. C'est important de le rappeler pour la paléoanthropologie. Aujourd'hui, on connaît au moins cinq ou six espèces d'australopithèques, fragmentaires bien sûr. Est-ce que c'était équilibré ? Lucy vivait-elle dans une société plutôt bonobo ou chimpanzé, donc coercitive ? C'est très difficile à dire. On ne peut pas le dire. Ce qui est important, ce sont toutes ces espèces d'australopithèques, réparties sur l'Afrique australe, l'Afrique orientale, et aussi l'Afrique centrale. Cela correspond en gros à la répartition des babouins actuels. Les babouins ont pris la place des australopithèques. Il y a des sociétés chez les babouins plus égalitaires, et d'autres plus coercitives. On sait juste que Lucy vivait dans des groupes multimâles et multifemelles, donc plusieurs mâles et plusieurs femelles. On dit polygynandre, c'est le terme technique. Mais ces sociétés étaient patrilocales, contrairement aux babouins. C'est une caractéristique de notre lignée. Les mâles devaient rester ensemble, les femelles quittaient leur famille natale pour se reproduire. Quant à savoir si ces groupes étaient coercitifs ou pas, nul ne peut le dire, peut-être le saura-t-on un jour. Nos collègues américains sont assez marqués par le puritanisme et affirment que Lucy et Lucien étaient une famille monogame dans la savane. Je n'y crois pas une seconde, aucune espèce de singes ne vivait ainsi. Néanmoins, la différence de taille était importante entre mâles et femelles. C'est le dimorphisme sexuel, Lucien était plus costaud que Lucy. Et surtout, au temps de Lucy, donc des australopithèques de l'Afar, et de ses descendants, les paranthropes, australopithèques robustes, le dimorphisme sexuel s'accentue. C'est une société qui est plutôt caractérisée par une différence de taille plus importante entre mâles et femelles. Patrilocal, protecteur ou coercitif ? On ne sait pas. Ce sera très différent dans la lignée humaine. Les premiers hommes arrivent entre 2 et 1,5 millions d'années en Afrique. On a souvent décrit la bipédie, les outils, le feu... Et on avait complètement oublié les femmes. Il y a des transformations extraordinaires, notamment du corps des femmes liées à la reproduction. Il y a le dilemme obstétrique. D'un côté, les femmes acquièrent un bassin refermé vers l'avant qui est lié à une bipédie beaucoup plus performante. Chez l'espèce humaine, les femmes ont une endurance extraordinaire. C'est bien pour la locomotion. Mais ça va refermer le bassin vers l'avant et le bas. Et il y a aussi des raisons liées à la coévolution entre la biologie et nos cultures, notamment la cuisson, qui permettent de mieux nourrir le cerveau dont la taille va augmenter de plus en plus. Le problème survient au moment de l'accouchement, dans le petit bassin. Il y a une caractéristique qu'on ne trouve que chez les femmes qui se met en place entre 2 et 1,5 millions d'années, c'est l'altricialité secondaire. Le petit humain assure sa croissance cérébrale in utero jusqu'à l'âge de neuf mois. Il naît et après la naissance, il reprend à nouveau une croissance cérébrale qu'on appelle l'altricialité de type fœtal. Chez les espèces les plus proches, chimpanzés, ourangs-outans, gorilles, la croissance du cerveau va très vite in utero, comme chez nous. Et une fois né, c'est terminé. Voyons la transformation que représente le dilemme obstétrique, c'est-à-dire assurer l'accouchement avant que le développement du cerveau ne soit arrivé à celui d'un nouveau-né normal, comme chez les grands singes. L'accouchement à neuf mois implique que le petit humain soit très dépendant, et non pas prématuré. Il sera donc dépendant. Pour les femmes naîtra la nécessité d'assurer le nourrissage et la protection de ce petit qui demande beaucoup de soins et de nourriture. L'altricialité secondaire est une caractéristique qui fait que la reproduction chez les femmes est devenue quelque chose qui pèse sur leur survie, leur physiologie, et leur capacité à mener leur succès reproducteur. C'est chez les femmes qu'il y a le plus de déséquilibre, ou d'asymétrie entre l'investissement parental du côté des femmes et celui des hommes qui peuvent plus ou moins s'investir. Pour avoir une idée de l'énorme effort demandé aux femmes pour se reproduire, prenez maman gorille qui fait 80 kg, c'est plus costaud que la maman sapiens moyenne. Après 8 mois et 15 jours de grossesse, quasiment comme chez nous, elle met au monde un petit gorille qui fait 1,5 ou 1,7 kg avec un cerveau de 200-250 cm3. Maman sapiens est un peu plus gracile. Elle met au monde un bébé qui fait le double, en moyenne 3,5 kg avec un cerveau deux voire trois fois plus gros. Le petit humain n'est pas un bébé prématuré. C'est un bébé énorme. À partir de là, les femmes sont un enjeu considérable pour le succès reproducteur. Et un problème se pose : nous sommes dans une lignée patrilocale, les femmes quittent leur groupe natal et se retrouvent dans la belle-famille, le clan du mari, ou du géniteur. De ce fait, il y a nécessité d'alloparentalité. Elle doit avoir la possibilité d'être soutenue peut-être par le mari ou par son clan ou alors par les autres femmes ou femelles du clan. Notre société humaine se caractérise par un coût énorme de la reproduction qui est liée à ces dilemmes obstétriques et au développement du cerveau qui est extra-utero où le petit humain passe de l'utérus naturel à l'utérus culturel. Ceci va appliquer des contraintes sur les sociétés humaines autour de la reproduction. À partir de là, les femmes deviennent un enjeu de contrôle, de coercition qui peut être plus ou moins important. Ceci vaut pour Homo erectus. Entre 1,5 millions d'années et 500 000 ans, tout ceci se met en place mais nous ne savons pas à partir des données que nous avons, s'il y avait de la coercition ou pas, si c'était plus égal, s'il y avait une division des tâches, on n'en sait strictement rien. Même si on a toujours représenté dans les manuels scolaires, voire dans les films, les femmes qui sont près des huttes ou des abris construits, près du feu en train de préparer la nourriture ou de collecter les plantes, les petits mammifères et les œufs. Alors que les hommes allaient à la chasse. C'est le modèle de l'homme chasseur. Dans ce cas, on entre dans la coercition symbolique, le modèle de l'homme chasseur, c'était une projection de nos sociétés du 19e siècle. Je rappelle que la Préhistoire, la paléoanthropologie, l'ethnographie naissent à la fin du 19e siècle, une des périodes les plus sinistres pour la condition des femmes. Le 19e est le siècle du progrès. Mais depuis le code Napoléon, c'est un siècle très coercitif avec les femmes au foyer et des problèmes obstétriques ahurissants. Les femmes mourraient plus en accouchant à l'hôpital que chez elles. C'était dingue. On interdisait aux femmes l'exercice de certains métiers. Elle n'avait ni représentation politique, ni économique. Ces hommes universitaires ont été nourris par la culture patriarcale très antagoniste sur le plan sexuel. Évidemment, on a regardé l'évolution uniquement du côté des mâles. Les hommes allaient au travail, rapportaient le salaire, etc. On s'est dit que ça devait être pareil il y a un ou deux millions d'années. Les femmes restaient au foyer, donc dans la savane, et les hommes chassaient, c'est la transposition de l'homme qui va travailler. Ceci va durer un siècle. Pendant les Trente Glorieuses dont nous sommes encore les héritiers, les hommes allaient au travail, les femmes restaient au foyer. On se souvient des publicités où l'homme a la voiture, la télévision et la tondeuse pendant que la femme s'épanouit grâce au fer à repasser à vapeur, à l'aspirateur, au presse-purée et à la cocotte-minute. Naturellement, on a projeté ce schéma-là alors qu'on regarde ça différemment depuis peu. Les histoires de feu, d'outils, de collectes, de préparation de nourriture, de construction des abris, ça concerne plutôt les femmes. Regardons les populations actuelles avec des économies de chasse et de collecte, contrairement à la mode du bon sauvage, c'est très diversifié. Chez les aborigènes australiens, notamment les Aranda, il y a beaucoup de coercition et de violence. Il y a des ablations des parties sexuelles des femmes. Et le premier enjeu est de contrôler les femmes. Les hommes âgés qui ont le pouvoir contrôlent les femmes et obligent les jeunes hommes qui veulent se marier avec leurs filles à s'engager dans ce qu'on appelle la dette de la fiancée. Ils se mettent au service de la famille, c'est un viager jusqu'à la mort des parents, pour acquérir une femme. Les inégalités sont profondes. S'il y a contrôle des femmes, il y a aussi coercition et violence. Si on regarde chez les Bushmen, il y a des sociétés où les tâches des hommes et des femmes se recouvrent plus. Certes, les hommes vont plus à la chasse au gros gibier. Mais les femmes contribuent bien plus avec les petits gibiers et tout ce qui est collecté en ressources végétales au nourrissage du groupe. Ce qui est intéressant, c'est que chez les Bushmen du Kalahari, les hommes participent aussi à l'éducation des petits. Les tâches se recouvrent, et si un homme est violent, comme il y a assez peu de vie privée, il y a tempérance sur les violences et le groupe peut le contrôler. C'est très intéressant. Au passage, je dis ça pour les papas et futurs papas. Quand les hommes tiennent un bébé dans leurs mains ou leurs bras, il y a une production d'hormones qui les rendent plus agréables, ils se sentent beaucoup mieux et ils vivent plus vieux. Ça vaut le coût d'essayer. Une autre chose importante, nous sommes dans la vision classique des chasseurs-collecteurs que sont les Bushmen, mais dans la même ethnie du Kalahari, il y a aussi des groupes un peu plus sédentaires qui élèvent un peu plus d'animaux autour d'eux et qui surtout ont des relations extérieures avec les Bantous qui sont des peuples d'agriculteurs. Les conditions de vie vont mener à plus de coercition. Plus les femmes sont éloignées de leur groupe natal, moins elles auront d'affiliés pour les protéger en cas de violence. Plus il y a de sédentarité, plus il y a... d'espace de vie privée et là, les femmes sont violentées. Même si on entend les cris, personne n'intervient. Mais s'il y a des relations extérieures, notamment des échanges entre du gibier ou certaines productions ou des armes, et de l'autre côté, des productions agricoles, même dans les sociétés matriarcales, les hommes contrôlent les relations extérieures. Et évidemment, il y a un contrôle économique. Toutes ces conditions sont réunies, les femmes ont du mal à se coaliser, elles ne sont pas apparentées, et elles sont loin de leur famille. Derrière cela, il y a un changement économique. L'économie ne détermine pas la coercition. Des populations pratiquant la collecte et la chasse peuvent être coercitives comme chez les Aranda, les aborigènes australiens, mais pas toutes. Je cite cette ethnie. Elles peuvent être moins coercitives et plus égalitaires comme chez les Bushmen du Kalahari. Si vous allez chez les Amérindiens d'Amérique du Sud, les jeunes ne connaissent pas ce film, mais dans "La Forêt d'Emeraude", un film formidable de John Boorman, il y a une société plus égalitaire et l'autre plus agressive. Les conditions économiques peuvent être des facteurs aggravants comme les facteurs écologiques chez les singes. Voici un exemple concret. Je cite une étude. Quand l'ethnographie commence à la fin du 19e siècle, John Fraser et d'autres sont surpris de constater que chez les Hurons, grande ethnie, grande tribu et nation amérindienne, les femmes dominaient la société avec matrilocalité, elles restaient ensemble toute leur vie. Ça existe. La matrilinéarité permettait de transmettre une partie des pouvoirs économique, sacré et politique. Les hommes s'occupaient des relations extérieures. Les femmes avaient plus de pouvoirs économique, sacré et politique. Les hommes avaient aussi une partie du pouvoir, mais c'était plus équilibré. Les Occidentaux arrivent avec une société... patriarcale. Les relations extérieures se font surtout par les hommes. Une demande naît, et le commerce des fourrures se développe. Les hommes qui sont chasseurs chassent de plus en plus, accumulent des fourrures, les échangent, ont des fusils, des biens, ce qui créé un nouvel équilibre économique qui favorise les hommes et déstabilise les sociétés matrilocales. C'est pareil pour les Indiens Hopis ou chez les Comanches. En regardant l'Histoire, on voit que les choses peuvent vite changer. Depuis la fin de la Préhistoire, les sociétés coercitives se multiplient mais il y a toujours d'autres sociétés qui sont plus égalitaires. Ce n'est pas une tendance générale, mais il y a un spectre des sociétés et de leurs organisations qui devient plus ouvert et malheureusement, ce sont les sociétés qui sont plus organisées, plus sédentaires, plus capables d'être belliqueuses et esclavagistes qui s'imposent à celles qui sont plus égalitaires de manière générale. Dans le Paléolithique supérieur, il y a plus de diversité. Après, il y a une période peu connue du grand public, c'est le Mésolithique. Pour le Proche-Orient, c'est entre 12 000 ans et 8 000 ans. C'est l'âge d'or des sociétés d'économie, de chasse et de collecte. Il y a 11 000 ans en Anatolie, donc en Turquie, des monuments ont été construits pour des raisons cultuelles et festives. On nous dit à l'école qu'il n'y a pas de grands monuments en pierre avec des grands appareillements construits avant l'invention des agricultures, c'est faux. Si on regarde les sociétés avec des économies de chasse et de collecte actuelles, nous n'avons qu'une très faible idée malgré la diversité actuelle, de ce qu'était la diversité passée. Que voit-on au Mésolithique ? Les mauvaises nouvelles qui s'accumulent. On commence à trouver des massacres collectifs. On massacre et on torture hommes, femmes et enfants. Nous avons des témoignages de torture. Il y a aussi des cas de petites nécropoles avec des massacres où il y a moins de femmes que d'hommes parce que les femmes ont été kidnappées. Très clairement, s'il y a plus de sociétés avec des économies de chasse et de collecte mais les unes plus structurées par rapport à d'autres, il y a conflit pour les ressources, et ça s'accentue de manière considérable. On le voit bien au Proche-Orient et en Europe. Ensuite, il y a le Néolithique, soit l'émergence des agricultures, les plus anciennes étant en Europe. Et dans la transition du Mésolithique vers le Néolithique, on voit sur les squelettes des femmes qu'elles se marient plus jeune. Elles font des enfants plus souvent, donc le sevrage est plus rapide. Troisièmement, elles meurent aussi plus jeunes. Néanmoins, ça permet une augmentation de la démographie. Et ça crée un stress plus important chez les femmes. On voit aussi sur les squelettes que les ossements des jambes deviennent moins robustes car elles se déplacent moins. Mais leurs bras sont aussi costauds que ceux de nos championnes d'aviron. Vous avez compris pourquoi. C'est à cause du meulage, les travaux des champs et domestiques. Clairement, on voit toujours à côté d'autres sociétés plus égalitaires, de plus en plus de sociétés où s'installe une division des tâches plus marquée entre hommes et femmes où la chasse devient de plus en plus prestigieuse, où on voit apparaître les premiers guerriers, qui sont des gens dévoués à la tâche de combattre, défendre ou attaquer. En Europe, on voit arriver très clairement ces sociétés du Néolithique en conflit avec celles du Mésolithique. Les Néolithiques parviennent à s'imposer et captent les femmes des Mésolithiques. C'est classique. Quand une société arrive, s'installe et domine les autres, elle capte les femmes et les autres sociétés disparaissent car les hommes ne trouvent plus de possibilité de se reproduire. C'est un schéma classique qu'on commence à lire très clairement en archéologie préhistorique. Je termine sur l'Europe pour montrer que nous héritons encore de cela. Revenons au Proche-Orient. Nous sommes à 6 000 ans avant J.-C. Certaines sociétés sont patriarcales et d'autres plus égalitaires. Ce qui émerge de ce travail : il n'y a que dans les sociétés humaines que nous trouvons des sociétés patrilinéaires et patriarcales. Dans une société patrilocale, les mâles restent ensemble, ça, on connaît. Mais pour être patrilinéaire, il faut la certitude de la paternité. Pour être patriarcale, il faut transmettre par filiation les statuts des mâles dominants. Ceci doit évidemment être bien avéré. Même chez les singes, la patrilinéarité n'est jamais certaine et il y a moins de patriarcat. C'est une caractéristique des sociétés humaines tel qu'elles émergent à la limite Mésolithique-Néolithique. 6 000 ans avant J.-C., il y a un refroidissement climatique et des populations du Proche-Orient et patriarcales s'installent en Europe, sur le Sud de l'Europe et par les grandes plaines. On connaît ces deux grands courants par les céramiques, le Cardial et le Rubané. Ces sociétés font en sorte que le Néolithique et l'agriculture s'installent dans le Sud de l'Europe et montent vers le Nord. 2 000 ans plus tard, des sociétés venant des plaines centrales d'Europe arrivent. Ce sont des sociétés d'éleveurs plus égalitaires. Elles arrivent par le Nord et s'installent difficilement vers le Sud où les agriculteurs sont mieux implantés. Écoutez bien. Concernant la fréquence relative de nos gènes entre les populations du Sud et du Nord de l'Europe, nous avons plus de gènes des migrants agriculteurs dans le Sud de l'Europe, notamment en France. Ça décroit vers le Nord. Dans le Nord, il y a plus de gènes des populations d'éleveurs plus égalitaires, et ça décroit vers le Sud. C'est incroyable car une étude récente montre que plus les sociétés sont anciennement agricoles, plus elles sont patriarcales. Quelques milliers d'années plus tard, on est dans l'Histoire des grandes civilisations, le Sud de l'Europe est héritier du droit romain qui est bien plus machiste. Le Nord de l'Europe hérite du droit germanique qui est plus égalitaire. Dans le Sud de l'Europe, à part Isabelle la Catholique et Isabeau de Bavière, aucune reine ou impératrice n'a eu les attributs symboliques du pouvoir. Il y a eu des femmes de pouvoir mais sans attribut symbolique. Dans le Nord de l'Europe, encore aujourd'hui, il y a plein d'impératrices, de reines, de premières ministres, etc. Et ça continue car aujourd'hui encore, si vous regardez la répartition des tâches dans les familles entre les hommes et les femmes, c'est beaucoup plus inégalitaire dans le Sud que dans le Nord. Nous sommes encore les héritiers de ces populations de la protohistoire dans les rapports politiques, économiques, et d'équité ou pas entre les hommes et les femmes. Vous devez penser que ça ne changera jamais, mais si, il suffit de regarder l'Espagne. L'Espagne, en un peu plus de 10 ans, malgré la vision du macho ibérique, a réussi à changer avec la loi et tout l'arsenal nécessaire vis-à-vis de la justice, et les systèmes de punition, on voit dans tous les sondages et enquêtes que l'Espagne est devenue un des pays les plus égalitaires en peu de temps. Mais ça peut prendre du temps de sortir de cela. Pour terminer, soyons clairs, même dans mon essai, nous avons encore ces biais de la domination masculine puisque tous les travaux cités sur cette question de l'origine et des raisons de la coercition masculine, sont des travaux essentiellement anglo-saxons et germanophones. Il y a très peu de travaux dans le Sud de l'Europe. Vous voyez comment le système se renforce lui-même. Tout cela est basé principalement sur le Proche-Orient et l'Europe qui sont parmi les régions les plus patriarcales du monde. C'est tout un programme de recherches. Qu'en est-il des sociétés en Asie, en Afrique, dans les Amériques ? C'est sûr qu'on a constaté l'évolution des sociétés patriarcales qui sont les nôtres mais on a complètement ignoré, voire méprisé les autres expériences. C'est un immense travail qu'il reste à faire. Les sociétés humaines sont globalement monogames. Au sein d'une même société, on peut avoir de manière admise ou parfois un peu contournée des hommes avec plusieurs femmes ou des femmes avec plusieurs hommes. Ça s'appelle la polygamie mais ça peut être dans les deux sens. En tout cas, dans toutes les sociétés humaines, les unités de reproduction sont bien identifiées, ce sont les rituels de mariage. J'ai une alliance, d'autres ont une marque sur le front comme en Inde. Les entités de reproduction sont reconnues car les sociétés humaines font en sorte que les hommes s'engagent dans l'éducation des jeunes. Ils doivent les nourrir, les protéger, les éduquer. Il y a différentes formes liées à ça. Nous sommes des sociétés patrilocales, les femmes n'ont pas leur sœur ou leur mère à leurs côtés. Par contre, si possible, elles vont dans une famille où il y a déjà une sœur ou une cousine. Ce sont des jeux compliqués. Ce qui est paradoxal, c'est pourquoi aujourd'hui encore, il y a autant de violences au sein des couples. On ne voit pas ça chez les autres espèces. La monogamie est très rare chez les mammifères. Le groupe ou l'ordre zoologique le plus monogame, c'est les singes et les primates. Un quart des espèces est monogame. C'est très fréquent chez les lémuriens et surtout très représenté chez les singes d'Amérique du Sud. Par contre, c'est rare chez les singes de l'Ancien Monde, c'est-à-dire notre groupe. Quand il y a monogamie, c'est très clair, le mâle et la femelle font la même taille. Ce qui compte dans la monogamie, c'est d'être deux pour élever un petit, donc l'investissement parental des mâles. Ça peut aller de la simple protection ou par exemple chez les marmousets ou les siamangs qui sont des gibbons, grands singes très proches de nous, le mâle s'occupe beaucoup du petit. Il les porte, les protège et les aide à se nourrir. À partir de là, ce qui est troublant, c'est que toutes les espèces monogames sans exception, il y en a plusieurs dizaines, ne sont pas coercitives envers les femelles. Tout l'enjeu pour eux, c'est pour la femelle de compter sur un mâle, pour un male de compter sur une femelle afin d'aider les petits. Ils ont tous une caractéristique, ils vivent sur des territoires très limités qu'ils défendent farouchement. Les mâles se méfient des mâles d'à côté, les femelles se méfient des femelles d'à côté. La monogamie, c'est un petit monde tranquille. Chacun a son petit pavillon dans la forêt. On élève les enfants, et c'est un domaine assez calme. On veille à ce que les voisins n'empiètent pas sur le territoire. C'est troublant car dans l'espèce humaine, nous avons une tendance très marquée à avoir des familles monogames, plus ou moins étendues. Il n'y a pas que la famille nucléaire actuelle, qui est récente. Les grands-parents vivaient avec nous dans nos fermes il y a peu. Ce qui est troublant, c'est que nous avons des familles monogames au sein d'une structure plus large que le groupe social. Ce n'est pas le cas chez nos espèces monogames où chacun est isolé. Cela pose évidemment beaucoup de contraintes puisque la monogamie exige un investissement parental important des hommes. Mais les hommes vont faire en sorte d'avoir la garantie qu'ils sont vraiment les géniteurs, donc les pères de leur enfant. Tout ceci donne naissance à tous les systèmes oppressifs qui impliquent le contrôle des femmes, de leurs déplacements, et leur séquestration. Comme dans les gynécées ou dans les harems si c'est polygyne. On fait en sorte qu'i y ait un contrôle sur les femmes, qu'elles n'aient pas le droit d'aller travailler. Jusque dans les années 60 en France, les femmes ne pouvaient pas travailler sans l'accord du mari ni avoir de compte en banque. Il y avait évidemment un contrôle de la parenté du côté de l'homme avec les belles-mères, les sœurs, les belles-sœurs sur les femmes. C'était un enjeu terrifiant qui fait que la monogamie qui ne suscite aucune coercition chez les autres espèces de marmousets, de petits singes lions ou de gibbons, va devenir considérable car ça pose un problème : les femmes sont toujours attractives sexuellement. Elles peuvent se reproduire. Il y a une attirance sexuelle constante chez les femmes et chez les hommes. Et là, les hommes doivent exercer en même temps la capacité de contrôler plus ou moins consciemment le fait d'avoir l'exclusivité de la paternité. Ils consacrent aux enfants une partie de leurs activités de soin, que ce soient des soins concrets ou pour subvenir financièrement aux besoins de la famille. Ceci crée des tensions énormes qui sont liées à la source des formes de coercition. D'où toutes les injonctions qu'on a eues d'un point de vue politique, par les religions, même en philosophie et en économie. Des moyens ahurissants ont été mis en place dans les sociétés humaines. Rappelons que ce n'est pas si ancien et que ça continue aujourd'hui, le 19e siècle est le siècle du progrès. C'est un des siècles les plus coercitifs où il y a eu une idéologie hallucinante, politique, religieuse, philosophique, économique pour que les femmes restent au foyer et pour contrôler leur sexualité de manière à en faire des mères en disant que c'est leur nature. La Révolution française a été un énorme échec pour les femmes qui se concrétise par le code Napoléon qui les infantilise. C'est dit assez joliment, mais c'est catastrophique d'y penser, les femmes vivaient entre deux voiles. Le voile de la communion où on devient une jeune fille et le voile du mariage. On passe du contrôle du père à celui du mari. C'est notre modernité. Là, il y a eu la mise en place d'une coercition symbolique, politique, sociale et économique qui a enfermé les femmes dans leur nature. Mais la nature des femmes n'a jamais été définie. Seuls les éthologues le font. Je veux prolonger cet essai puisqu'il y avait deux arguments pour enfermer les femmes dans leur rôle de mère qui était que c'est leur nature, sans jamais préciser pourquoi, et la raison. Kant a quand même critiqué la raison pure. Il y a un travail de déconstruction, au vrai sens du terme, qui reste à faire car on a tendance à regarder de haut les sociétés de chasse et de collecte ou horticoles ou agricoles, en les considérant comme primitives. Ces sociétés sont moins coercitives que nos sociétés soi-disant modernes. On voit que c'est une question d'anthropologie majeure qui engage notre modernité.
Réalisation : Caroline Ando
Production : Universcience
Année de production : 2020
Durée : 46min28
Accessibilité : sous-titres français