Ça, c’est une nouvelle espèce de piranha herbivore qui vient d’être découverte en Amazonie. Son nom : Myloplus sauron. Oui, comme le Seigneur des Anneaux. La raison : cette rayure noire et ces tâches orangées qui feraient penser à l’œil de Sauron. Mais il n’est pas tout seul. Voici Beyoncé, Taylor Swift ou encore Donald Trump. Oui, là, avec son petit toupet. Alors oui, ça prête à sourire. Mais comment les scientifiques peuvent-ils se permettre de donner des noms aussi farfelus aux nouvelles espèces ? Et surtout, pourquoi le font-ils ? En fait, derrière tout ça, il y a une discipline scientifique à part entière et très sérieuse : la taxonomie. Son but ? Décrire et classer les organismes vivants dans des catégories hiérarchisées qu’on appelle des taxons. Les taxons, c’est un peu comme des boîtes. On range les individus qui ont des caractéristiques communes dans la boîte “Espèce”, puis dans celle de “Genre” et ainsi de suite. Et c’est les taxonomistes qui décident à quelle boîte ils appartiennent. « L’activité de taxonomie, c'est avant tout de délimiter les entités qui constituent le monde vivant. C’est ce qui fait la base de la biologie. Sans nom, on ne peut pas parler du vivant. Donc, sans taxonomie, on n’a pas d’espèce. » Et donc, pour que ça soit bien rangé, les scientifiques doivent respecter certaines règles pour nommer leurs découvertes. Par exemple, il faut obligatoirement deux mots : un nom de genre avec une majuscule et un nom d’espèce en minuscule. C’est le système binomial, et on le doit au naturaliste suédois Carl von Linné qui l’a inventé au XVIIIᵉ siècle. Et ça, ça a une conséquence. « En général, on doit se conformer à la grammaire latine. Et c’est par tradition, en fait. La nomenclature linnéenne dans laquelle on se place, a commencé dans les années 1740. À cette époque-là, le latin était utilisé pour tous les écrits scientifiques et c’est le même système qui a perduré depuis. » Mis à part ces quelques règles, les scientifiques sont libres de choisir les noms qu’ils veulent... Ou presque. « Quand on est à l’intérieur des règles de nomenclature, il y a une grande liberté. Du moment qu’on a un nom qui soit intelligible, qui ne soit pas offensant. Et heureusement ! » Mais il y a quelques exemples un peu limite. Le même Carl von Linné a donné le nom d’un de ses critiques à une mauvaise herbe puante. Et autre exemple avec ce petit scarabée découvert en 1933, baptisé Anophthalmus hitleri, en hommage à... Bon, vous savez qui. Après des débats houleux, la Commission internationale de nomenclature zoologique a décidé en mai 2024 de ne pas changer son nom. La raison : changer le nom d’une espèce pour des raisons éthiques pourrait menacer la stabilité des noms scientifiques. Ce coléoptère risque d’ailleurs de disparaître parce qu’il est pourchassé à outrance par les collectionneurs d’objets nazis. Bon, en général, les scientifiques se contentent de noms plus simples et moins connotés. Ils se basent sur les propriétés morphologiques de l’espèce, comme la couleur ou un attribut, ou encore sur l’endroit où elle a été découverte. Sinon, ils peuvent lui donner le nom d’une personne, un membre de leur famille, un collègue ou un personnage célèbre, comme on l’a vu au début de cette vidéo. Et donc, on en arrive enfin à la question : pourquoi les scientifiques donnent-ils des noms aussi bizarres à leurs découvertes ? Et bien l’une des raisons principales, et c’est ce qu’on est en train de faire en ce moment, c’est de faire parler de l’espèce. « Les scientifiques nomment les espèces en référence à des choses qui leur parlent avant tout et qui vont parler au grand public. Cette année, on a décrit un genre de grillon originaire du désert d'Australie et on l’a appelé Arrakis, qui est le nom de la planète de Dune. En disant qu’en donnant ce nom-là, le nom arriverait beaucoup dans les recherches des moteurs de recherche. Donc ce serait une manière de faire parler de l’espèce aussi. » Et donc si on en parle, ça permettra peut-être de mieux les protéger. L’enjeu, c’est d’avoir les moyens pour découvrir de nouvelles espèces. Mais aussi de les protéger avec leur habitat naturel. Parce qu’il y a urgence. Nous sommes sous la menace d’une sixième extinction de masse et un million d’espèces animales et végétales risquent de disparaître. Alors, si baptiser sa découverte Sauron ou Beyoncé peut aider en attirant un peu l’attention, ce serait dommage de s’en priver.