Nous sommes dans une belle forêt de chênes, de hêtres et de sapins, une propriété familiale de longue date dont je m'occupe. Les évolutions que j'observe ces deux dernières années sur la forêt me font poser beaucoup de questions sur le visage qu'elles pourraient avoir dans 20 ou 30 ans. La première image que j'aimerais te montrer, la première zone de la forêt, c'est une zone d'épicéas qui se trouve par là-bas. De jeunes épicéas qui semblent avoir assez mal supporté les deux années de sécheresse 2019 - 2020 et même un peu 2018 en fait. Il n'y avait pas d'arbres atteints l'été dernier. On se retrouve maintenant dans cette jeune plantation d'épicéas avec 60 - 70 % des individus qui sont touchés par les insectes qui sont secs. L'épicéa,il a été étendu au delà de sa niche écologique et donc dans la plupart de ces localités en plaine. Aujourd'hui, il est en souffrance avec un double effet. D'une part, le changement climatique accroît l'aridité du climat qui lui est défavorable et d'autre part, la chaleur favorise son ennemi naturel qui est le scolyte, qui est une espèce qui est favorisée par la chaleur parce qu'il est capable de faire plusieurs générations quand le climat lui est favorable.
En une seule année,
en une seule.
année. Chaque larve creuse sa propre galerie dans la zone où circule la sève. Ce qui fait donc que quand il y a vraiment un énorme nombre de larves, comme cela a été le cas pour cet arbre là, tout le tissu qui permet la circulation de la sève jusqu'à la cime de l'arbre est consommé et l'arbre meurt étouffé parce qu'il a son système de circulation qui est grignoté par les insectes. Pour moi, on ne peut plus repartir dans ces projets de reboisement sur des plantations monospécifiques. Parce qu'on voit un petit peu les résultats aujourd'hui. Et il me semble qu'il y a un certain nombre d'études déjà scientifiques qui montrent que, tout simplement, les risques augmentent avec le fait qu'on plante qu'une seule essence.
Il y a l'effet basique du mélange qui est de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, comme on dit familièrement. Et donc, en cas d'atteinte, qu'elle soit, qu'elle soit liée à des insectes, des maladies ou un problème climatique. De jouer sur les différences écologiques entre les espèces qui font qu'on a rarement toutes les espèces qui dépérissent simultanément.
Là, on a une zone qui a subi de plein fouet le dépérissement. On a abattu un certain nombre de sapins ici, mais ce qui me préoccupe un peu plus, c'est que autant on voit qu'à certains endroits, la régénération naturelle de sapin vient bien et s'installe. Et on voit là, juste en face de nous que les jeunes sapins ici ils ont rougi et séché.
Et là, on a vraiment le sentiment que l'espèce elle-même est en souffrance et pas simplement tel ou tel individu, oui.
Une autre parcelle que je voulais te montrer, où on a vraiment une parcelle qui est mélangée avec quelques grands chênes, beaucoup de hêtres de tous les diamètres, des sapins un peu dispersés aussi. Et puis une régénération naturelle qui fonctionne plutôt bien. Et c'est sur une parcelle comme ça où je me demande dans 20 ans, dans 30 ans, comment est-ce que ça pourra évoluer?
Oui, effectivement. Dans les espèces qui composent le mélange, ici, on a le sapin qui commence à être vraiment en difficulté. On a le chêne qui lui est quand même dans les espèces les plus résistantes à la sécheresse. Et puis, on a le hêtre, espèce parfaitement dans son aire, dans sa niche naturelle, ici. On peut commencer à se poser des questions sur lui. Alors je ne sais pas si ici, dans la forêt, vous constatez déjà quelques quelques signes de souffrance.
Alors, c'est la deuxième année consécutive où on a récolté sur la forêt un groupe d'une trentaine, cinquantaine de hêtres, oui des gros hêtres qui montraient des signes évidents de dépérissement dans la couronne, où ils y avaient beaucoup de bois mort et une couronne qui commençait à sécher et donc on a cueilli. C'est un phénomène ponctuel, mais ça fait deux ans. C'est quelque chose qu'on n'avait pas avant.
C'est en fait à travers le hêtre que des forestiers en France ont vraiment pris conscience de l'ampleur des impacts possibles du changement climatique sur la forêt. Parce que le hêtre, en règle générale en France déjà, n'est pas planté. C'est une espèce qui est naturellement régénérée, donc l'aire que l'on observe, elle correspond assez bien à une répartition spontanée de l'espèce. Et cette répartition, elle se modélise vraiment très, très bien par rapport au climat. Et les résultats sont effectivement assez frappants et sur ces projections, on voit en particulier toute la partie ouest de l'aire sud ouest de l'aire du hêtre qui se réduit et même jusqu'ici en Lorraine, qui pourrait se réduire pour se rassembler sur les Vosges.
On peut espérer que les petits hêtres qui poussent aujourd'hui auront la capacité d'apprendre à aller chercher de l'eau plus profondément et donc à s'alimenter, à continuer à s'alimenter en eau de meilleure manière que ce que faisaient leur pères.
Alors, ce petit arbre ne va pas connaître les mêmes conditions que celui-ci a connu quand ils avaient les mêmes dimensions, c'est sûr, et ils seront différents. On a pu le démontrer scientifiquement. Une des façons d'augmenter la diversité génétique qui est pourtant élevée, mais de l'augmenter en ajoutant des, disons, des allèles qui pourraient être favorables à la résistance, à la sécheresse. Ça va être ça, peut être, d'aller chercher des hêtres de ces populations adaptées à des climats plus secs, de les amener ici et de jouer sur l'inter-fertilisation de ces hêtres nouveaux avec les hêtres en place pour augmenter la diversité génétique. C'est ce qu'on appelle la migration assistée. Il y a aussi une approche qui est très concrète, c'est l'approche des analogues climatiques qui consiste à aller rechercher des régions qui abritent aujourd'hui le climat que l'on peut attendre ici en 2050 ou en 2100 et de s'en inspirer pour tester des nouvelles essences.
J'ai déjà sollicité un bureau d'études pour ce genre de travaux. Pas sur cette forêt, mais sur une forêt relativement proche. L'équivalent climatique à l'horizon 2050, c'était les villes de Bordeaux ou de Montélimar.
L'ordre de grandeur me paraît correspondre, en effet, à ce qu'on peut avoir en tête. Ça permet de prendre conscience de l'ampleur des modifications qui sont devant nous et de comprendre que, du coup, la recherche de nouvelles essences soit une piste qu'il ne faille pas négliger.
C'est sûr que c'est très, très difficile de se projeter dans un horizon comme celui là et de se dire que dans 30 ans, on sera dans ce type de climat. C'est quelque chose de très abstrait.
Oui il ne faut pas chercher effectivement, avoir une vision déterministe. Il va faire tel climat et je vais mettre telle espèce optimale pour ce climat. Il faut plutôt balayer l'éventail des possibles et tester une diversité de solutions.