Le goût est fait de mille dégoûts.
Paul Valéry
Depuis des millénaires, on sait que la pourriture n'est pas une ennemie. Quand les hommes ne disposaient pas encore du feu, ils utilisaient même la putréfaction comme une forme de cuisson à froid.
Et bien avant les frigos, on ne gâchait pas la nourriture, mais comme il était difficile de la conserver, on s'accommodait de sa transformation, à tel point qu'on a appris à apprécier le goût relevé d'aliments fermentés, faisandés, marinés, fumés... Certains de ces aliments nous sembleraient aujourd’hui immangeables, mais beaucoup figurent au Panthéon des gastronomies du monde entier.
Ainsi, ce que l’on considère comme appétissant ou dégoûtant varie selon les époques et les cultures.
Par exemple, les hygiénistes d’autrefois regardaient le fromage d'un mauvais œil. Produit par des bergers vivant en dehors de la société, il était suspect. On considérait sa fabrication comme une pratique répréhensible, presque diabolique ! Le fromage ne pouvait avoir sa place à la table d’un bon chrétien.
Au Japon, c'est l'odeur du Natto, que l'on fabrique à partir de graines de soja fermentées, qui déroute le touriste occidental. En Chine, celle des œufs de cent ans et de leur jaune... le Durian, ce fruit qui sent si fort qu'on l'interdit dans certains lieux publics d'Asie du sud-est.
Quant au surströmming, hareng fermenté dont les suédois se régalent, il ne peut être consommé que dans un endroit ventilé...
En dépassant ces répulsions premières, on découvre des plaisirs nouveaux, y compris celui de la transgression d’un interdit !
Et surtout, consommer des aliments pourris révèle le niveau de sophistication d’une culture : élaborées, issues de pratiques millénaires et de savoir-faire uniques, ces nourritures sont à la fois répugnantes... et distinguées. Vous reprendrez bien une petite tartine d'acariens ?