Pour un peu... on se croirait face à un papillon aux couleurs psychédéliques... ou encore en présence d'une bien étrange méduse du fond des océans... Et pourtant, c'est ce qui remplacera peut-être un jour complètement l'expérimentation animale. Les organoïdes, c'est-à-dire la version miniaturisée des organes humains. Ici, un mini-cerveau, là un intestin microscopique ou encore une vessie plus petite que l'épaisseur d'un cheveu. Autant de prouesses techniques et médicales initiées il y a une dizaine d'années seulement et un peu par hasard. "Les organoïdes sont nés par accident dans deux laboratoires différents. Un laboratoire autrichien qui utilisait les cellules souches et étudiait les cellules souches pour comprendre le développement du système nerveux central. Et ils se sont rendus compte en fait qu'en culture, ces cellules souches étaient capables de former des mini-cerveaux, et quelques années plus tard, dans un autre laboratoire aux Pays-Bas, la même découverte a été faite que des cellules souches intestinales étaient capables de former des mini-intestins quand elles sont cultivées dans les bonnes conditions. Donc c'est vraiment par accident qu'on a compris que ces cellules souches avaient un potentiel incroyable qu'on ne pouvait pas suspecter et qui a donné lieu à des milliers d'études et de publications depuis les dix dernières années." Pour comprendre comment ces organes lilliputiens sont fabriqués et à quoi ils servent, direction Villejuif, au sud de Paris. L'Institut Gustave Roussy est le plus grand centre européen de lutte contre le cancer. Jérôme Cartry y travaille comme ingénieur de recherche, et là, il est face à ce qu'il appelle affectueusement sa pouponnière d'organoïdes. Ces organoïdes ont été générés à partir d'une métastase hépatique, donc d'une métastase du foie, d'un cancer colorectal, et donc là, on est un jeudi, je vais m'en occuper aujourd'hui pour en avoir des nouveaux dans sept jours et ainsi de suite, et je peux les cultiver comme ça presque indéfiniment." Pour y parvenir, il faut d'abord prélever dans un foie, un intestin ou une vessie malades, des cellules souches, c'est-à-dire des cellules mères capables de générer les autres cellules du corps humain. Il faut alors les laisser mijoter à 37 degrés, dans un milieu nutritif chargé en oxygène, se rapprochant des conditions de vie dans le corps humain. "Donc ça, c'est un organoïde. Il est composé, je pense celui-ci, entre 50 et 150 cellules. On appelle ça "organoïdes", mais on peut appeler ça tumoroïdes, en référence à la tumeur. C'est vraiment dérivé d'une tumeur du patient, et c'est vraiment sur ces structures qu'on va faire le test de médicaments." Car c'est là tout l'intérêt des organoïdes : tester directement sur ces mini-cancers une grande variété de médicaments et de protocoles possibles. Et c'est sur un tel principe que ce laboratoire s'apprête à lancer le premier essai clinique français en cancérologie, le troisième dans le monde. Objectif dès 2021 : expérimenter une trentaine de médicaments et les combinaisons entre eux, sur des organoïdes de patients atteints de cancers digestifs. Une alternative aux expérimentations animales, simple, rapide, peu onéreuse et surtout qui permet une approche plus personnalisée du traitement des cancers. "Le cancer est une maladie à la fois complexe mais aussi très hétérogène et ce qui fait que, grosso modo, chaque patient a une tumeur qui est différente. L'idée, c'est de partir de la tumeur du patient au moment d'une chirurgie ou d'une biopsie, d'établir une lignée d'organoïdes, et en quelques semaines, de pouvoir soumettre cette collection d'organoïdes propre à ce patient, à un crible de médicaments. Donc on commencera par une vingtaine de médicaments qui sont tous des anticancéreux qui peuvent être administrés immédiatement si on en identifie un qui a un effet contre les organoïdes de ce patient." Peu à peu, les applications thérapeutiques des organoïdes trouvent leur place et pas seulement en cancérologie. Mucoviscidose, zika et même Covid-19 dernièrement, en ont bénéficié. Alors ces organoïdes vont-ils se généraliser et remplacer les tests sur les drosophiles, sur les grenouilles ou encore sur les souris de laboratoire, sans doute pas totalement ou en tout cas, pas dans l'immédiat. "Les animaux resteront essentiels pour différentes applications, par exemple tout ce qui est cognitif. On peut détecter une activité électrique dans un mini-cerveau mais on reste à un stade qui est probablement proche de ce qui se passe dans l'embryon. On n'est pas du tout à un niveau d'activité cognitif d'un adulte et donc il y a certaines fonctions qu'on ne peut qu'étudier chez un individu soit un humain, soit un modèle expérimental de laboratoire." "Le plus compliqué à remplacer, c'est tous les gens qui s'intéressent à la physiologie intra organes, c'est-à-dire comment des organes interagissent les uns avec les autres, et donc ça, il y a vraiment les modèles animaux qui possèdent bien évidemment tous les organes, qui va permettre d'étudier, par exemple, l'effet d'une droite sur le cœur en corrélation avec un effet sur le rein ou les poumons avec le rein, des choses comme ça." Et justement, sur la question de l'influence des organes entre eux, les organoïdes proposent peu à peu une alternative intéressante aux expérimentations sur les animaux. Les dernières avancées de la recherche permettent en effet de les combiner, c'est ce que l'on appelle la coculture d'organoïdes, de quoi disposer de modèles d'expérimentation de plus en plus fidèles au fonctionnement du corps humain. "Il y a des systèmes de coculture qui existent maintenant avec des organoïdes. On va cocultiver des organoïdes par exemple de cerveau avec des cellules du système immunitaire. Les systèmes de coculture vont au fur et à mesure permettre de réduire le nombre d'animaux dont on a besoin." Et ce, d'autant que les animaux ne sont qu'un reflet très imparfait du modèle humain. Selon des statistiques américaines, plus de 90% des médicaments validés au cours d'expérimentations animales, échouent une fois testés sur les humains.