Il y a près d'un million d'espèces d'insectes sur notre planète, peut-être plus. D'ici un siècle, ils pourraient avoir disparu. Ce phénomène mettrait en péril l'équilibre de tous les écosystèmes. Ce scénario catastrophe est réaliste, comme le montre une étude publiée dans la revue "Nature" en octobre 2019. C'est l'étude la plus ambitieuse et la plus précise à ce jour qui apporte les preuves que le déclin des insectes estimé jusqu'à présent, et plus largement des arthropodes, est plus rapide que ce que l'on pensait. En effet, les chercheurs ont collecté plus d'un million de spécimens sur 290 sites forestiers et de prairies dans trois régions d'Allemagne entre 2008 et 2017. Parmi les 2 700 espèces étudiées, un grand nombre est en déclin. Environ un tiers d'arthropodes en moins a été dénombré. Certaines espèces déjà rares semblent même avoir disparu. L'urbanisation et la pollution sont en cause, mais aussi et surtout l'agriculture intensive. Qu'en est-il en France ? Pour avoir une idée plus précise, nous sommes allés au Muséum national d'Histoire naturelle et avons rencontré Romain Garrouste, entomologiste à l'Institut de Systématique, Évolution et Biodiversité. Nous sommes dans les collections du Muséum national d'Histoire naturelle, collections d'insectes ou d'entomologie qui sont parmi les plus importantes du monde. Je vais vous amener voir les libellules. Voici des Calopteryx qui vivent dans les cours d'eau rapide. Ce seront les premiers à disparaître quand les cours d'eau seront perturbés ou pollués. Cette étude de 2019 est remarquable car elle pointe du doigt un aspect qui avait été négligé. On ne va pas s'intéresser à seulement un compartiment des écosystèmes qui font l'objet d'une forte dégradation par l'anthropisation, par l'agriculture industrielle ou intensive. Cette étude met en parallèle dans une même région, ou dans un même paysage, le déclin observé dans les milieux anthropisés soumis aux perturbations mais aussi dans les milieux forestiers attenants. C'est une étude remarquable car elle pointe du doigt l'interconnectivité des écosystèmes à l'échelle d'un paysage ou d'une région. Les écosystèmes ne sont pas isolés les uns des autres, ils fonctionnent en synergie. Quand vous portez atteinte à l'un, il y a des impacts dans les milieux attenants. Nous n'avons pas de données aussi précises en France, il y a des études en cours. Des laboratoires étudient le problème depuis plusieurs années. Ils attendent justement d'avoir du recul pour pouvoir mettre en évidence des tendances sur plusieurs années afin d'avoir une robustesse dans les données. Quand on prenait la voiture de nuit il y a quelques années, malheureusement, on écrasait des libellules, des papillons de nuit, on écrasait toute une faune d'insectes. Tout le monde s'aperçoit que depuis des années, sur nos routes, le printemps et l'été, il y a beaucoup moins d'insectes. On commence à dire qu'on entend moins d'insectes chanter, c'est le fameux printemps silencieux annoncé depuis presque 60 ans. Moins d'insectes, ça veut dire moins de sons car beaucoup d'insectes produisent des sons. Il y a les orthoptères comme les grillons ou les sauterelles. Les oiseaux qui s'en nourrissent sont aussi moins nombreux. Cela contribue globalement à la perte de la dimension sonore de nos écosystèmes. Les pollinisateurs sont les premiers impactés parce qu'ils ont un rôle important dans les cultures elles-mêmes, mais également dans la flore adventice qui permet l'enrichissement de la biodiversité générale d'un lieu. Il y a toute une biocénose d'insectes qui va vivre à la fois dans le sol et sur cette végétation adventice, donc associée aux cultures. On aura alors un fonctionnement plus riche et complet de l'écosystème par rapport à un écosystème simplifié qui est celui des agroécosystèmes très perturbés par l'activité humaine. Les insectes de cours d'eau comme les libellules sont très impactés. Les libellules vivent à l'état larvaire dans les cours d'eau puis fréquentent les zones autour des cours d'eau et les milieux humides. La disparition de ces milieux et la pollution des eaux sont des facteurs qui concourent à l'amenuisement des populations de libellules. Les insectes ne sont pas que nécessaires pour eux-mêmes, mais aussi pour leur rôle dans les écosystèmes. Ce rôle inclut le fait qu'ils servent de nourriture à toute notre faune européenne, d'amphibiens, de reptiles et d'oiseaux. Les insectes sont très importants dans les écosystèmes. Ils ont des fonctions très utiles à l'homme qu'on appelle les services écosystémiques. Il y a la pollinisation qui est le service le plus évident, mais il y a aussi la fertilisation des sols. Ces services sont incommensurables en matière de coûts. Ces services écosystémiques se chiffrent en termes d'économies. La disparition des insectes a un coût direct dans la perte ou la modification de ces services. On continue d'expliquer le rôle des insectes à nos enfants à nos collégiens, lycéens et étudiants, y compris en écoles d'agronomie pour réaliser une transition écologique entre l'agriculture intensive actuelle et une agriculture plus raisonnée et respectueuse de l'environnement. Plus largement, on envisage aussi de renaturer, de ré-ensauvager certaines régions et certains écosystèmes pour pouvoir permettre ce fonctionnement beaucoup plus naturel. Il faut vraiment se réapproprier la nature. Les insectes sont les premiers chefs de cette réappropriation. Quand on va réconcilier l'Homme avec les insectes, on aura beaucoup gagné, les choses couleront de source plus naturellement. Ce sont peut-être les insectes qui permettront de sauver le monde parce qu'ils sont déjà prépondérants dans nos écosystèmes. Et c'est la façon dont on va les aborder dans le futur qui va peut-être nous permettre de faire fonctionner la planète plus harmonieusement.