Les discours médicaux définissent la ménopause depuis quelques années déjà comme la cessation de l'activité ovarienne et des menstruations. C'est une définition occidentale qui n'a pas toujours existé et qui renvoie à certaines représentations du féminin et du corps des femmes. Les représentations associées à la ménopause sont articulées autour du féminin où la femme est liée à la fécondité. Une fois ménopausées, les femmes sont exclues de cette féminité qui est socialement valorisée. Ceci construit un vieillissement pensé au masculin de façon positive comme une maturation, une acquisition d'expérience mise en avant. Alors que la vieillesse au féminin est fortement dévalorisée. Il touche les femmes plus jeunes que les hommes et est synonyme de disqualification sociale, notamment de l'exclusion du marché amoureux. La "ménopause sociale" est un terme que j'ai emprunté à l'ethnologue Yvonne Verdier. Il désigne l'idée que les femmes arrêtent de procréer bien avant l'arrivée de la ménopause physiologique. À partir de la quarantaine, on les enjoint à se déprendre de la reproduction alors qu'elles sont physiologiquement fertiles. On l'observe dans les discours médicaux qui évoquent les grossesses à partir de quarante ans comme considérées à risques. Et ce, comme si les femmes, avant de ne plus pouvoir procréer, étaient sommées de répondre d'une morale et d'un corps qui doit être toujours jeune pour donner la vie et étaient intimées de ne plus le faire. De nos jours, la ménopause est médicalisée. Elle est vécue dans un registre médical et est prise en charge par des professionnels de santé. Les femmes que j'ai rencontrées ont parlé de la ménopause avec un généraliste, un gynécologue ou un autre médecin. Pour elles, la ménopause est pensée comme un déséquilibre, comme un moment particulier où le corps passe d'un état à un autre. C'est un moment fragile à leurs yeux. En fonction des milieux sociaux, la perception de la ménopause et sa prise en charge sont différentes. Concernant les femmes issues de milieux populaires et vivant à la campagne, elles considèrent la ménopause comme un phénomène naturel qu'il faut endurer. Leur approche des médicaments est particulière avec une méfiance des traitements hormonaux qu'elles considèrent comme des médicaments chimiques et ainsi contre-nature. Elles se dirigent vers des traitements plus naturels et m'ont expliqué devoir supporter ces symptômes. Chez des femmes issues de milieux supérieurs et urbains, les représentations et usages sont différents. Pour ces femmes, les bouffées de chaleur sont une entrave à leurs performances, notamment au travail, elles les vivent donc comme un stigmate. Les traitements hormonaux leur apparaissent comme pertinents car ils permettent de canaliser leurs corps, de le rendre à nouveau performant dans des milieux professionnels présentant des rapports de pouvoir avec des hommes ou des femmes plus jeunes. Ce qui est intéressant, en parallèle de cette prise en charge médicale, c'est une prise en charge sociale. Elle existe, par exemple, en Belgique où des centres de santé proposent des groupes de parole pour discuter de la ménopause. Dans ces discussions, le symptôme n'est pas forcément le sujet principal sans être pour autant absent. Il n'est pas au cœur des interactions entre les femmes et n'est pas l'unique registre dans lequel cette expérience est appréhendée. Dans d'autres sociétés, des anthropologues l'ont démontré, la ménopause n'est pas pensée de la même manière qu'en Occident. Des travaux, comme ceux de Jeanne-Françoise Vincent chez les Beti au Cameroun montrent qu'à partir de la ménopause, les femmes peuvent accéder à des fonctions de pouvoir, que ce soit politique ou religieux, à certains métiers comme accoucheuse, à des places dans des sociétés secrètes alors que c'est interdit pour les femmes en période de menstruation. Les femmes ménopausées accèdent à un statut social valorisé presque égal à celui des hommes. C'est très facile à observer puisqu'une femme ménopausée, dans la langue des Beti, est une femme importante. Il y a d'autres exemples. Prenons celui issu du terrain de recherches de l'anthropologue canadienne, Margaret Lock, à savoir le Japon traditionnel. Dans la langue japonaise traditionnelle, il n'y a pas de terme qui renvoie à ce que nous appelons la ménopause. Et finalement, l'anthropologue se trouve contrariée de discuter de la ménopause avec les Japonaises qu'elle rencontre puisqu'il n'y a pas de mot pour l'évoquer. Dans ce Japon traditionnel, le vieillissement est pensé de façon unisexe. On utilise un même terme pour qualifier les femmes et les hommes. Il englobe l'arrêt des règles, de la reproduction mais aussi le blanchiment des cheveux ou le fait d'avoir mal aux os. Le vieillissement est pensé pour les deux sexes, il n'y a pas de terme concernant la ménopause. Cet arrêt de la reproduction et des règles est une expérience non médicalisée chez les Japonaises qui n'y prêtent pas une attention plus particulière qu'à d'autres manifestations du vieillissement.