Le virus qui circule aujourd'hui en Europe est un virus qui a des propriétés complètement inconnues de virulence, de distribution dans la faune sauvage de manière massive. On a un risque que l'on n'arrive pas à contrôler avec les méthodes traditionnelles qui, historiquement, sont censées nous permettre de contrôler l'influence de l'aviaire. Dans les Landes, l'élevage de canards de Christian Barros a été violemment touché par la grippe aviaire. Lorsque la vague de 2022 a déferlé, il a dû euthanasier tous ses animaux et respecter un vide sanitaire de 5 mois. Il vient d'accueillir de nouveaux canetons nés sur une autre ferme. Et à nouveau, il retient son souffle. Pourvu qu'aucun d'eux ne soit porteur du virus. - Donc c'est un lot de 2500 canard. Ça leur fait 30 jours aujourd'hui. Rien de notable vu le poids qu'ils font. Ils sont plutôt en avance sur la courbe. L'éleveur a enfilé un masque ; pas pour se protéger du virus mais des poussières. Comme il manipule ses canards tous les jours, il veut éviter de les respirer en trop grande quantité. Pour s'assurer qu'ils ne sont pas porteurs du virus de la grippe aviaire, le vétérinaire effectue un test PCR à plusieurs étapes clés de leur croissance. - Un écouvillon par le bec, ensuite au niveau du cloaque. Et on tourne, on passe derrière la langue. - Comme nous, avec le covid... - La porte d'entrée du virus est respiratoire. Donc dans les tous premiers moments de l'infection, on a une réplication du virus au niveau du respiratoire, au niveau de la trachée, du palais. La durée théorique maximale d'incubation est de 21 jours. Donc si on faisait le prélèvement plus tôt, on risquerait de passer à côté du virus qui serait vraiment présent à un niveau très faible dans l'organisme. Passé l'âge de 21 jours, l'absence de signe clinique et l'absence de détection de virus sur les prélèvements nous garantit que le virus n'est pas présent sur l'exploitation. - Quand on se rend compte du danger que l'on peut générer sur un département ou sur le territoire... - Le danger est très grand parce que si ça arrive, ça pourrait être une porte d'entrée théorique du virus dans les Landes. - Doucement... - L'évaluation clinique est bonne. Les écouvillons seront déposés au laboratoire dans le courant de l'après-midi. C'est toujours plus rassurant d'avoir le résultat noir sur blanc. Tu l'auras ce soir. Les virus de la grippe aviaire qui circulent actuellement sont tous des variants de H5N1, de lointains descendants donc de celui apparu en 1996 en Asie du Sud-Est. L'an dernier, plus de 50 millions d'oiseaux sont morts rien que sur le continent européen. La vague épizootique n'est pas retombée et les élevages comme celui de Christian sont sous pression en permanence. Depuis plus d'un an maintenant, on est passé par plein de situations différentes, avec des vagues épizootiques d'abord dans le Sud-Ouest, puis dans les Pays de la Loire, puis une circulation à très bas bruit qui ne s'est jamais arrêtée pendant l'été, et en parallèle, une contamination non-stop du compartiment de la faune sauvage avec des mortalités d'oiseaux qui sont décrites un peu partout sur le territoire national. On a très clairement une situation qui est extrêmement évolutive avec une extension que l'on n'a jamais connue qui fait qu'il faut rester en veille en permanence. Sachant que les virus - je dis bien les virus - qui circulent actuellement continuent d'évoluer. Et les élevages doivent s'adapter. Entre-temps, Christian a reçu le résultat du test PCR. Négatif ! Les animaux ne sont pas porteurs du virus. Mais il ne relâche pas la pression pour autant. - Tous les huit jours, je vais avoir un test à faire sur le bâtiment. C'est une chiffonnette qui va être analysée pour voir s'il y a des virus qui traînent. Cet élevage familial existe depuis 1985. Avec l'apparition de la grippe aviaire, Christian a dû changer radicalement de méthode. Chercheur et spécialiste de biosécurité aviaire à l'École nationale vétérinaire de Toulouse, Mattias Delpont fait le tour des nouvelles installations de l'éleveur. - Il faut que tu adaptes tout : les points d'eau, ceux d'alimentation. Il faut qu'il y en ait suffisamment parce qu'ils sont en permanence dedans. Ils ne font que ça, ils tournent dans le bâtiment, ils mangent et ils boivent. Avant 2021, via les huit trappes-là, ils pouvaient sortir sur ce parcours. Quand on est en période à risque, ils ne sortent plus. Ils sont confinés. Le dernier lot a été fermé pendant 6 semaines. Et celui-là ne va pas sortir. La première des choses, c'est la densité. Au lieu d'avoir 4 000 canards, je n'en ai que 2 500. Au lieu d'être à 10 canards au m2, on est tombé entre 5 et 4. - C'est pas mal d'adaptation en termes de biosécurité mais ça a des impacts sur la manière d'élever les animaux. Il faut garder la litière dans un bon état sanitaire, pas trop d'humidité donc ça veut dire bien ventiler. - Moi c'est un paillage journalier, tous les jours, le samedi ou dimanche c'est pareil. - Et qui dit re-pailler, dit plus de travail, plus de coûts s'il faut acheter des machines, et plus de vigilance aussi à ne pas faire rentrer ou sortir des agents pathogènes. Si jamais on fait rentrer le tracteur, la pailleuse, ça part ailleurs... - Je n'imaginais pas qu'un jour on puisse les laisser dedans comme du canard qui se fait enfermer. Quand j'ouvre un peu les portes, les canards regardent dehors. Le virus est partout, tout le temps. La communauté vétérinaire internationale privilégia jusqu'ici l'euthanasie des animaux à chaque apparition de foyers. Mais cette stratégie ne suffit plus. Trois vaccins sont en phase test : en France sur les palmipèdes, en Italie sur les dindes, et au Pays-Bas sur les poules. Les résultats seront publiés prochainement et la première campagne de vaccination pourrait commencer fin 2023. On est en train de travailler pour faire en sorte de démontrer qu'on peut avoir recours à la vaccination tout en maîtrisant le risque et en éradiquant la maladie. Puisque c'est bien ça l'objectif ! Il faut non seulement vacciner mais aussi surveiller intensivement les élevages vaccinés. Donc il y a tout une stratégie à mettre en œuvre, pour savoir quels sont les élevages qui vont être vaccinés. Est-ce qu'on vaccine les canards, les poules pondeuses, les dindes ? Dans les mois qui viennent, on va être dans une situation un peu intermédiaire puisqu'on va essayer les dispositifs. On va voir ce qui se passe en termes de risque d'exposition. Qu'est-ce qui circule dans la faune sauvage ? Et en fonction de ça, les degrés de liberté apparaîtront au fur et à mesure. En attendant, sur la ferme de Christian, ce sont les vaches qui profitent de la liberté. En réaction à la grippe aviaire, il a choisi de diversifier son élevage. - En cas de coup dur - ça m'est arrivé l'année dernière - j'ai vendu trois bêtes. C'était autour de 10 000 euros. C'est un capital qui dort, fait des petits, se renouvelle et progresse. Si l'arrivée prochaine de la vaccination se confirme, canards, poules et poulets plein air, bio et Label rouge, devraient enfin pouvoir remettre le bec à l'extérieur.