Comme l’activité incessante des vers m’effraie !
Ils me rongent jusqu’au creux de l’épaule
et me dévorent les yeux.
Poème eskimo
Chacun de nous reconnaît la pourriture à son aspect informe, à ses couleurs et son odeur répugnantes. La nourriture pourrie, envahie de vers ou de moisissures, suscite le dégoût, qui est une émotion aussi fondamentale que la peur, la joie ou la tristesse, ressentie et exprimée de la même façon par tous, quelque soit notre culture : le nez se fronce, la bouche s’entrouvre, la lèvre supérieure se relève. Il arrive même qu’un vomissement s’ensuive.
Nous éprouvons physiquement du dégoût pour une saveur ou une odeur putride, car la fonction première du dégoût est de se protéger des substances toxiques, mais nous éprouvons aussi un dégoût dit « associatif » et un dégoût moral.
On répugnerait à boire du jus de fruit dans un pot de chambre, même soigneusement lavé. Le jus de fruit hérite dans ce cas du caractère dégoûtant de l’objet considéré lui-même comme tel. C’est le dégoût « associatif ».
Plus abstrait, le dégoût moral s’exprime dans des expressions telles que « personnage puant », « tous pourris », « plaisanterie de mauvais goût » ou même « sentir le soufre ».
Les chercheurs ont observé que le dégoût associatif et le dégoût moral répondaient à des mécanismes en partie similaires au dégoût physique. Dans le cerveau, la région de l’Insula antérieure s’active dans les trois cas, même si des régions supplémentaires s’activent dans des émotions morales comme l’indignation, notamment dans la partie dite préfrontale du cerveau.
Le dégoût fait notamment l’objet d’un apprentissage. Tout petits, nous apprenons à forger notre identité à travers ce que nous mangeons. L’enfant apprend progressivement à accepter puis à aimer les produits qu’on lui fait goûter et qui font partie de son environnement et de sa culture. Les aliments qui ne font pas l’objet d’une telle habituation suscitent, à la longue, un réflexe de rejet. Il se constitue très naturellement des frontières gustatives qui correspondent à des frontières culturelles.
Quand l’émotion du dégoût glisse sur le spectre pathologique, elle devient une maladie grave. C'est « le syndrome de Cotard ». La personne malade, au cours d’épisodes délirants, est persuadée que son corps est en train de pourrir, que ses organes se putréfient.
Mais si les manifestations du dégoût sont universelles, ce qui le provoque est culturel : vin, pain, fromage, voilà des bactéries et des moisissures auxquelles on ne peut résister.