22h. Alors que le tout Lyon s’endort, des chercheurs mènent une étude clinique dans la plus grande discrétion… Claude Gronfier est chronobiologiste. Sur cet écran, l’un des participants, situé dans une pièce à côté. Un homme de 28 ans, arrivé ce matin, pour une expérience très particulière … « Il est dans des conditions d’isolation temporelle : il n’a ni montre, ni télévision, ni fenêtre, ni smartphone. Rien qui ne lui permette d’estimer quelle heure il est, quel jour nous sommes. » Pendant 5 jours, il est scruté 24h sur 24h et est soumis à une batterie de tests. Objectif de l’étude : déterminer les effets de l’éclairage nocturne sur la santé. « Quand on habite en ville, à l’exception de ceux qui ont de vrais bons rideaux totalement occultants, il y a toujours un peu de lumière qui entre. Tout cet éclairage urbain peut être considéré comme une pollution lumineuse, car il n’est pas de notre fait. On a pas le choix. » La nuit, les lumières artificielles sont désormais omniprésentes … Éclairage public, écrans publicitaires, vitrines et enseignes scintillantes… Depuis 1990, ces points lumineux ont augmenté de de 89 %. Rien qu’en France, on en compte chaque nuit plus de 11 millions. Au centre de recherche, derniers ajustements avant l’extinction des feux … Chaque nuit, le volontaire est exposé à 4 intensités lumineuses différentes … Ce soir, 3 lux seulement. « 3 lux, c’est très faible : c’est l’équivalent de 2-3 bougies à 1 mètre de l’œil en pleine obscurité. Certains sujets vont sans doute très bien dormir. Certains sont très peu sensibles à la lumière. D’autres vont être perturbés par cette lumière. Ils ne vont pas forcément se rendre compte que la lumière est allumée (ils ne vont pas nécessairement ouvrir leurs yeux), mais ils vont avoir une perception lumineuse qui va éventuellement perturber leur sommeil. » Même les yeux fermés, à quel point une faible intensité peut-elle perturber l’organisme de l'humain ? Les scientifiques ont encore beaucoup de nuits à passer pour trouver la réponse… Au Neurocampus, premier réveil du participant… Et sa journée ne va pas être de tout repos… « Olivier, est-ce que tu peux me donner un peu d’urine ? » Test urinaire, salivaire, tests cognitifs … Tout est prévu et répété à la minute près par le protocole. « Regardez la gommette rouge, ne clignez pas des yeux » « L’objectif de cette thèse est de regarder s’il y a des changements dans les performances de ce test, au cours de la journée, et aussi en fonction de la qualité de sommeil de la nuit précédente. » Une activité cérébrale mesurée grâce aux électrodes. « Ça nous donne une indication de la quantité de somnolence qui pourrait être présente dans l’activité que l’on voit ici. » Et quelles répercussions sur son alimentation ? Cette chercheuse analyse la moindre prise de repas. « La quantité, la vitesse de mastication, les expressions émotionnelles...» Le lien entre mauvaise nuit et prise de poids, déjà observé dans d’autres études, pourrait là encore se confirmer. « Lorsqu’il y a privation ou perturbation du sommeil, la prise alimentaire est souvent utilisée comme comportement compensatoire pour se soulager, se calmer, ou récupérer un peu de plaisir. » C’est prouvé. Les lumières artificielles perturbent notre horloge interne. Elles bloquent la sécrétion de mélatonine, l’hormone qui nous aide à dormir. Mais pour Claude Gronfier, même à de faibles intensités, les impacts sur la santé sont certainement plus néfastes. « On peut s’attendre, lorsque ces problèmes sont chroniques, à ces effets sanitaires que l’on observe dans le travail de nuit ou d’autres situations de la vie courante : prise de poids, troubles cognitifs, troubles affectifs, dépression, anxiété, difficulté à gérer la vie de tous les jours… » Les effets de cette pollution sur l’humain restent à préciser … Et pourtant, ils sont déjà établis sur ceux directement impactés … Ils vivent à l’extérieur de jour comme de nuit … Ce sont les animaux ! De l’autre côté de Lyon, voici l’un des plus importants laboratoire de France travaillant sur la biodiversité. Nathalie Mondy étudie les tétards. Dans cette salle expérimentale, ils sont exposés à plusieurs intensités. « On partage la salle en deux parties : une partie, ici, où les animaux expérimentent la pollution lumineuse, grâce aux leds mis sur les étagères, et une deuxième partie, ici, où les animaux témoins expérimentent, eux, une nuit noire, l’obscurité totale. » Ici, nous voilà en présence d’un lux seulement. La lumière est difficile à percevoir. Et pourtant, dans sa dernière publication, la chercheuse a pu mettre en évidence des perturbations. « À une très faible intensité, qui n’est même pas perceptible à l’œil humain – il nous faut des appareils pour avoir une mesure physique de cette pollution lumineuse – on a déjà des atteintes au niveau moléculaire, au niveau de l’expression des gènes. » Des gènes sous exprimés liés au système immunitaire et au métabolisme énergétique. Plus la lumière est intense, plus les effets sont amplifiés. « On a des têtards qui vont être immunodéprimés, moins résistants aux maladies, et qui vont avoir une énergie plus faible pour effectuer tous leurs comportements vitaux. » D’une vingtaine d’articles scientifiques, plus de 200 sont désormais publiés sur le sujet chaque année. Toutes les espèces sont touchées. « Ça va de l’échelle de l’individu impacté par la pollution lumineuse, à l’échelle des communautés – on a des modifications dans la composition des communautés animales – jusqu’à l’échelle du fonctionnement même des écosystèmes. » Des animaux désorientés, une vision perturbée, des hormones sexuelles dérégulées … Les conséquences observées sont nombreuses. « Il faut repenser notre utilisation de la lumière la nuit. Il existe beaucoup d’endroits où l’on utilise la lumière par habitude alors que l’on en a pas besoin parce qu’il n’y pas personne pour en profiter. » Comme à Lyon, plusieurs villes tentent de réduire leurs impacts. Diminution de l’intensité des lampadaires, extinction dans certains quartiers … Des expérimentations qui se multiplient dans l’Hexagone.