Ceci est une voiture électrique. Ça, c'est une éolienne. Ces transformateurs adaptent la tension pour le réseau électrique d'une petite ville qui se trouve... dans ce laboratoire de recherche. Notre civilisation moderne fonctionne grâce à l'électricité et les réseaux électriques qui transportent le courant depuis les zones de production jusqu'au consommateur. Ce réseau tentaculaire de plus d'1,4 million de kilomètres rien qu'en France repose sur un jeu d'équilibriste permanent. La production d'électricité doit être égale à la consommation.
- Il faut mettre en place plein de stratégies pour qu'à tout instant je sois sûre que la production soit égale à la consommation. Sinon, c'est simple : je perds le réseau, comme les exemples de ce qu'on appelle les black-out. Mais la stabilité de ce réseau est mise à l'épreuve par les profondes transformations de nos habitudes, tant au niveau de nos nouveaux modes de consommation que dans notre adoption massive d'énergies renouvelables. Une énergie décarbonée, mais dont la production d'électricité dépend de facteurs hors de notre contrôle.
- Si je n'arrive pas à contrôler ma production pour l'adapter à ma consommation, il faut que je trouve d'autres moyens pour le faire. Bien sûr, il y a des solutions, mais il y a beaucoup d'incertitudes. Il n'y a pas de consensus : personne ne peut dire en 2050 ou en 2100 quel sera le mix énergétique, quelle sera la part du véhicule électrique, et des énergies renouvelables ? Au G2Elab, laboratoire de génie électrique de Grenoble, des équipes de recherche se mobilisent pour élaborer des solutions permettant de maintenir cet équilibre stratégique des réseaux électriques pendant cette période de disruption technologique. Une de ces solutions : trouver le meilleur moyen de piloter en temps réel ces nouveaux équipements dits non-conventionnels et dont les comportements sont difficiles à anticiper.
- Nous avons ici deux moteurs électriques que nous utilisons pour faire nos tests. Ils permettent de simuler le comportement d'autres appareils, de type voiture électrique, éolienne, hydrolienne. On utilise un premier moteur comme source et un deuxième qui va être notre consommateur non-conventionnel. On peut basculer l'ordre, c'est-à-dire que l'un peut être consommateur et l'autre qui va être le producteur, et inverser le rôle des deux éléments. Tantôt producteurs, tantôt consommateurs, et souvent avec des comportements imprévisibles, ce sont les caractéristiques de ces équipements non-conventionnels qui se branchent de plus en plus sur le réseau électrique et qui suscitent des questions encore sans réponse. À un instant donné, une maison équipée de panneaux solaires, va-t-elle être consommatrice ou productrice d'énergie ou encore quel sera l'impact sur le réseau de millions de voitures électriques à charger ?
- On ne pourra pas charger tout le monde, typiquement à 19 heures, quand tout le monde est connecté en même temps, ce n'est pas possible. Le réseau ne peut pas tenir, la production non plus. Donc de fait, il faut être plus malin sur cette charge et la première chose à faire, c'est d'étaler les charges dans le temps. Déjà ça, c'est non-conventionnel, dans la mesure où on ne consomme pas quand on veut, comme on veut. Et une deuxième possibilité qui est étudiée dans les laboratoires, qui est envisagée pour le futur, c'est de pouvoir utiliser ce consommateur d'énergie sous la forme d'une sorte de producteur, c'est-à-dire que la batterie va pouvoir se charger, mais aussi se décharger, et donc fournir des services au système électrique. Afin de créer un réseau électrique plus réactif, plus adaptable, plus intelligent en quelque sorte, il faut pouvoir tester ces solutions de pilotage, ces algorithmes, dans une situation complexe, à l'échelle d'une petite ville. Cette petite ville, la voici. Des alternateurs pilotables représentent les producteurs d'électricité : éoliennes, champs photovoltaïques, centrales thermiques, alors que des moteurs et des résistances représentent les consommateurs : industries, habitations.
- On a cette diversité de consommateurs et de producteurs qui permettent de représenter l'hétérogénéité de tout ce qu'on trouve dans un réseau. Et ça, on va le mettre en interface sur un réseau, sur un système compliqué, et on va essayer de changer les topologies. Changer les topologies où la configuration du réseau permettrait de le rendre plus adaptable et résilient. Et c'est depuis cette plateforme de contrôle que les réseaux de la petite ville de laboratoire devient le cobaye des scientifiques.
- On a ouvert la ligne. Du coup, cette ligne-là a changé la topologie de mon réseau. On va essayer de trouver des algorithmes, avec de l'intelligence dedans, ce qui va permettre de faire des réglages. On pourrait imaginer une reconfiguration du réseau. Plutôt que de passer par une ligne qui est très congestionnée, on dévie le courant sur une autre ligne. On va essayer d'équilibrer production et consommation en raccourcissant les longueurs de ligne. Tous ces algorithmes et tous ces artifices vont nous permettre de régler le système. Au-delà de l'intelligence algorithmique des logiciels de contrôle, c'est une autre intelligence qui sera requise pour assurer une transition vers le réseau électrique de demain : l'intelligence des humains, qui doivent eux aussi s'adapter aux nouvelles réalités énergétiques qui se dessinent en réponse au changement climatique.
- Il y a des contraintes économiques : quel modèle économique va-t-on mettre sur le fait que j'ai une voiture électrique et que j'accepte qu'on la décharge pour le réseau ? Des verrous sociaux : est-ce que j'accepte ou pas de donner accès à ma charge et de ne pas consommer quand je veux ? Des verrous environnementaux : si je consomme à la pointe, je sais que mon coût en CO2 de l'énergie est plus important. Et en dernier lieu, des critères techniques. Le réseau électrique de demain sera plus intelligent, à condition d'être plus collaboratif. Un défi technologique, donc, mais surtout un défi de société.