Sur Terre, les régions froides subissent plus intensément les conséquences du réchauffement climatique. La cryosphère, l’ensemble des zones terrestres gelées de la planète, voit ses banquises, ses neiges et ses glaces perdre du terrain… Au pôle nord, la superficie occupée par la glace de mer en hiver diminue encore plus vite que les prédictions scientifiques les plus pessimistes. Et moins de glace signifie moins de rayonnement solaire réfléchi vers l'espace, pour plus de chaleur absorbée. Alors les régions arctiques se réchauffent, deux fois plus vite que le reste de la planète. Et dans ces territoires en pleine mutation, un phénomène préoccupe de plus en plus les chercheurs : le dégel du pergélisol, aussi appelé permafrost. "Le pergélisol ce sont des sols situés dans les régions froides, en montagne ou en régions polaires, qui vont être gelés en surface et en profondeur." Issue des dernières grandes glaciations, une part importante de ces sols gelés est riche en résidus de faune et de flore. "On peut les voir comme des congélateurs qui vont stocker de la matière organique." Mais lorsque le thermomètre de ces congélateurs naturels affichent des températures positives, la matière organique qu'il renferme se réactive. Et c'est autant de carbone qui peut s'en aller dans l'atmosphère, sous forme de gaz à effet de serre. Or le pergélisol constitue le plus gros réservoir de carbone continental de la planète. Estimé à 1 700 milliards de tonnes, c'est plus que les réserves de pétrole ou de gaz naturel. Face à l’ampleur du phénomène, les chercheurs redoutent que son dégel vienne gravement amplifier le réchauffement climatique. Le Canada fait partie des régions les plus concernées par ce problème. En 2010, le pays a décidé de mettre sur pied une équipe de recherche internationale. Ce laboratoire emploie des dizaines de chercheurs, dans le but d’anticiper les conséquences à venir du réchauffement du pôle Nord. A seulement 1000 km au Nord de la ville de Québec, à la frontière subarctique canadienne, la vallée d’Umiujaq arbore les couleurs flamboyantes de l’automne. Située sur la côte Est de la baie d’Hudson, l’une des plus grandes baies du monde, cette zone est un territoire inuit. Une poignée d’habitants s’y est installée dans les années 80, pour tenter de perpétuer un mode de vie traditionnel. Mais la sédentarisation encouragée par les autorités canadienne, a apporté son lot de modernisation, peu compatible avec les coutumes ancestrales… Et les inuits voient aussi leur environnement changer. Depuis quelques années, des anomalies de températures sont enregistrées. En novembre 2016, la température de l'air en Arctique a dépassé de 15 à 20 degrès les normales saisonnières mesurées depuis 50 ans. En 2018, en plein hiver polaire, le thermomètre a de nouveau bondi par rapport aux valeurs de référence. En profondeur, les sols affichent 2 degrés de plus en moyenne qu'il y a 15 ans. Ce qui est considérable pour une région froide. A l’écart du village, une équipe de chercheurs du laboratoire TAKUVIK a installé une station de mesures. Ils scrutent avec attention le développement de la végétation, la température de l’air et du sol, mais aussi la hauteur de la neige. A partir d’octobre, et durant 6 mois, le tapis de lichens et d’arbustes laisse place à un épais manteau neigeux. Ici, le froid hivernal est extrême, le mercure chute jusqu'à moins 40 degrés. Durant la saison chaude, de mai à octobre, il y a pourtant un phénomène qui trahi l’influence polaire, mais il n’est pas détectable au premier regard, et pour cause : cela se passe dans le sol. Une part de glace cachée se trouve sous les pieds des scientifiques. Denis Sarrazin, du centre d’Etudes Nordiques, intervient dans de nombreuses missions scientifiques menées dans le grand nord canadien. Il supervise aujourd'hui une opération de carottage Cette manipulation nécessite du matériel robuste, ainsi qu'une bonne connaissance du terrain. « On va utiliser la foreuse, pour pouvoir percer dans le pergélisol, qui est pratiquement aussi rigide que du béton ! pour pouvoir prélever des échantillons." Le pergélisol, ou permafrost, est un sol qui reste gelé en moyenne deux ans d’affilé. Il constitue environ 20% des terres émergées de la planète, principalement aux pôles et dans les régions montagneuses. Le Canada est particulièrement concerné : près de la moitié de son territoire est pergélisolé. La zone où l’équipe s’apprête à prélever est entourée d’affleurement rocheux surplombant des vallées très plates. Les reliefs de la baie d’Hudson ont été sculptés par d’immenses glaciers, à présent recouverts de toundra et de forêts boréales. En surface, la terre est gorgée d'eau. Mais après avoir foré un peu plus de 2m, l'équipe extrait une carotte très riche en glace. "Waouh, la belle !" Florent Dominé est un physicien français, membre du laboratoire Takuvik. Il cherche à identifier les facteurs qui accélèrent le dégel du pergélisol. "Et là, on tombe dans une masse sédimentaire, il y a nettement moins de glace. "Regardez ce mélange glace-sédiment ici, et puis le tout sédiment ici, là. vous voyez bien la différence." Il trouve ici un mélange de glace et de terre car la zone de prélèvement est très au Sud. Elle se situe à la limite du pergélisol arctique canadien. Le pergélisol y est morcelé, la glace d'eau persiste, sous forme d'enclaves parmi les sédiments. "Elle est toute belle ! elle est toute belle ! Magnifique, ça ! Elle est vraiment splendide. "Là tu penses qu'on est arrivé sur le plafond habituel ?" "On est sur le plafond du pergélisol." Le plafond désigne la zone stable, là où commence véritablement le pergélisol. Car la glace n'y subit pas de fonte saisonnière. La couche la plus superficielle, aussi appelée couche active, gèle partiellement en hiver, et dégèle en été. Selon Denis et Florent, la dernière carotte, extraite à plus de 3 m de profondeur, provient d'une nappe phréatique gelée lors du petit âge glaciaire, une période particulièrement froide, survenue au Moyen Age. Mais plus on se rapproche du Pôle Nord, plus le pergélisol s'épaissit et remonte le temps. Dans les régions les plus froides de l'Arctique canadien, le pergélisol peut atteindre jusqu'à 700 m d'épaisseur. Un peu moins en Alaska avec 400 m, et c'est en Sibérie que le pergélisol est le plus épais, atteignant jusqu'à 1 500 m. Sa formation remonte à plusieurs millions d'années. Le carottage est terminé, les scientifiques s’apprêtent à retourner vers le village Malgré la présence encore significative de pergélisol dans la région le réchauffement rapide des sols arctiques est extrêmement préoccupant. "Quelle est l’évolution de ce pergélisol ? C’est une problématique scientifique, mais c’est une problématique pratique aussi pour les structures. Les maisons d’Umiujaq ne sont pas à même le sol, elles sont sur des trépieds, des pilotis, etc. Pourquoi ? pour permettre au froid hivernal de venir rafraîchir le sol et de limiter le dégel du pergélisol." Car lorsqu'il dégèle, le sol devient instable et fragilise les fondations des bâtiments, les routes, ou encore les pistes d’atterrissage indispensables au ravitaillement de ces populations isolées Dans cette région, les conséquences des modifications du pergélisol se font clairement ressentir depuis le début des années 2000. Les habitations, les routes, mais surtout les pistes d’atterrissages sont menacées d’effondrement ou de déformation. Les données acquises par les scientifiques sont donc de première importance pour les populations inuites, qui doivent tirer les conséquences du réchauffement climatique et adapter leur mode de vie. Florent viens présenter les carottes de glaces prélevées à moins de 5 km du village aux élèves de l’école d’Umiujaq. Pour ces enfants, ce cours de sciences naturelle improvisé est une première… Florent Dominé : « Look, this is a permafrost core from the ground in the valley, you wanna touch it ? Hello what’s you name ? Melissa ? Have you touched a permafrost core before ? here, you see the ice ? Qui d’autre ? » « Look, look at it ! Oh your hands are dirty now ! Oh poor little thing ! » Un enfant : « You found it ? » Florent Dominé : « yes, we had a drill, a big machine, to drill a hole in the ground. And we put that out. » « Ok thank you kids, have a nice day, and you remember that you have permafrost under your feet. Not everywhere but you know in many places. » « Est-ce que vous avez entendu parler du changement climatique ? Donc qu’est-ce qui va se passer si le sol se réchauffe ? La glace va fondre. Et ensuite ? Le sol va s’affaisser. Donc est-ce que c’est un problème ça que le sol s’affaisse ? C’est un problème parce que si vous avez une route sur du pergélisol et que le sol s’affaisse, et bien la route elle va se casser. La route de l’aéroport elle s’est cassé pourquoi ? Parce qu’il y a du pergélisol qui a fondu. » Le dégèle progressif du pergélisol modifie la morphologie du territoire, bien au-delà du périmètre du village. Pour s’aventurer plus loin dans les vallées inuites du Nunavik, et constater l’une des plus importantes transformations à l’œuvre dans cet environnement sauvage, Florent Dominé propose de survoler les environs. A présent, un paysage surprenant se dévoile : une myriade de lacs se découvre à perte de vue ! ITW Florent Dominé : « là tu vois on passe par-dessus des mares de thermokarst, c’est un champ de mares de thermokarst. » Appelés mares ou lacs de thermokarst, ces plans d’eau sont issus de la fonte du pergélisol. ITW Florent Dominé : « En fait c’était une zone qui était visiblement très riche en glace qui a donné lieu à cette géomorphologie typique des mares thermokarstiques. » L’hélicoptère se pose au sommet d’une colline, pour bénéficier d’une vue panoramique sur cet environnement entièrement sauvage, à une centaine de km au Nord-Est du village d’Umiujaq (carte). Le sol est jonché de lichens et de baies comestibles : myrtilles, canneberges… En contrebas, il n’y a quasiment que des mares générées par la fonte du pergélisol. Un milieu marécageux, où des arbustes de la famille des bouleaux, ainsi que des végétaux aquatiques s’épanouissent. ITW Florent Dominé : Ici on est quand même dans une zone assez froide, où la température moyenne annuelle est de l’ordre de -4 degrés. On voit toutes ces mares de thermokarst et on voit aussi des buttes de pergélisol qui sont encore pleine de glace qui sont en train de se dégrader, qui sont en train de fondre et jusqu’à donner ces mares de thermokarst. On voit quand même énormément, plusieurs dizaines de mares de thermokarst, avec des buttes de pergélisol dans divers stades de dégradation. INFOGRAPHIE : l’hiver, la neige tombe en grande quantité. Le front arctique balaye la région avec des vents puissants et la neige s’accumule dans les creux. Or, la neige agit comme une couverture isolante : dans ces creux le sol est préservé du froid hivernal. Au contraire, les monticules, appelés buttes de pergélisol, sont constamment balayées par le vent glacial, et la neige ne s’y accumule pas. Mais là où l’érosion fait son œuvre, le processus d’enneigement et de dégèle survient. Pas clair, on retire ? ITW Florent Dominé : Donc il y a deux types de thématiques qu’on va étudier : d’abord à quelle vitesse le pergélisol va se dégrader, dégeler. Ça c’est la première chose. Et pourquoi on s’intéresse au dégèle du pergélisol ? c’est parce que dans le pergélisol il y a beaucoup de matière organique : des débris végétaux essentiellement qui se sont accumulés et comme il fait froid la plupart du temps ils sont pas dégradés entièrement. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce sont bien de minuscules organismes, principalement des bactéries, qui inquiètent les scientifiques quant au devenir de ces immenses territoires. INFOGRAPHIE : Contrairement à la matière organique transformée en pétrole ou en gaz naturel au fil du temps, et enfouie profondément sous les couches géologiques. La matière organique qui s’est retrouvée piégée lors des dernière glaciations, n’est pas entièrement dégradée. Le dégel, même superficiel du pergélisol, relance donc le cycle de dégradation bactérien, et avec lui, la production de carbone et de méthane issus du métabolisme naturel de ces microbes. ITW Florent Dominé : On voit ici il y a des mares de couleurs différentes càd qu’il y a différents processus qui s’y passent. D’abord ils ont une composition minérale et des minéraux en suspension différents et puis surtout ils ont des communautés bactériennes différentes qui vont dégrader la matière organique qui tombe dans ces mares de thermokarst avec différentes vitesses. Par leurs émssions de gaz à effet de serre, ces bactéries vont-elles être responsable d’un emballement du réchauffement climatique