Et si l'avenir des antibiotiques se trouvait juste sous nos pieds, dans les jardins ou même à la sortie du métro ? Analyser les sols français pour trouver des nouveaux médicaments, c'est le travail d'une équipe de biologistes de l'INSERM. Une de nos plus grosses découvertes, ça a été de découvrir la molécule de la rapamycine à Denfert-Rochereau. Elle avait été isolée sur l'île de Pâque et on la trouve maintenant dans Paris. Cette recherche est née d'un inquiétant constat. Les maladies infectieuses résistent de plus en plus aux antibiotiques. Avec l'antibiorésistance, les bactéries évoluent et s'adaptent aux médicaments actuels qu'on utilise pour les inhiber et c'est voué à devenir un problème de santé publique majeur. L'OMS estime que d'ici 2050, ça coûtera 10 millions de morts chaque année, dus directement à l'antibiorésistance. Et une étude récente a estimé qu'en 2019, ça coûtait déjà 1,27 million de morts chaque année. Ça, c'est la situation actuelle. Il reste énormément à découvrir. On pense qu'on a découvert à peu près 3% des antibiotiques qui sont disponibles dans la nature. La médecine humaine est simplement en compétition avec les bactéries. Les bactéries essayent d'échapper aux médicaments de la médecine et on est en train de perdre la course. Les bactéries évoluent plus rapidement contre les molécules qu'on a actuellement. Donc le but de ce projet, c'est d'accélérer le rythme de découverte de nouveaux antibiotiques pour gagner cette compétition contre les bactéries pathogènes. Première étape du projet : collecter des échantillons de sol en abondance. Au début, les chercheurs eux-mêmes allaient les ramasser, puis ils ont lancé le projet de science participative, "Science à la pelle". On s'est baladés dans les espaces naturels et on a récolté du sol en région parisienne, que ce soit dans les parcs à l'intérieur des portes de Paris ou le bois de Boulogne et le bois de Vincennes. Et on s'est rendu compte que rien que dans cette région assez petite, dans cette ville, il y a une diversité de sols assez hallucinante et du coup aussi, des bactéries très différentes, qu'on a réussi à isoler. Ensuite on a décidé d'étendre ce projet sur l'ensemble du territoire français. Pour cela, on a besoin d'aide. On ne peut pas le faire nous-mêmes. On invite les citoyens à participer à ce projet à plus grande échelle et contribuer à notre science. Nous ce qu'on propose, c'est un peu mélanger loisir et science. C'est juste nous envoyer l'équivalent d'une cuillère à café de sol qu'on peut creuser par terre et nous envoyer ça par la poste. L'objectif est simple : colorier cette carte. Les scientifiques espèrent obtenir 10 000 échantillons d'ici la fin de l'année et parient sur la créativité des citoyens pour recevoir la plus grande diversité possible. Un pari qui semble avoir déjà porté ses fruits puisqu'une centaine de sols est parvenue au laboratoire depuis le lancement du projet, le 23 juin. Une fois le sol reçu, le travail au laboratoire peut commencer. Tout d'abord, les biologistes diluent le sol dans de l'eau pour analyser les bactéries présentes. Ils disposent le mélange sur des boîtes de Petri. Ce milieu nutritif permet aux bactéries de se développer et aux chercheurs de pouvoir les repérer et les isoler. Pour chaque sol, on prend uniquement des bactéries qui ont des morphologies différentes. Ensuite, on extrait leur ADN et on séquence. Là on peut vraiment comparer : est-ce que c'était la même espèce ou deux espèces différentes ? C'est la séquence ADN qui permet de prédire si la bactérie contient la recette d'une nouvelle molécule antibiotique, et après des tests supplémentaires, un potentiel médicament venant du sol. On trouve la plupart des antibiotiques utilisés aujourd'hui dans les bactéries qui poussent dans le sol. C'est parce que ces bactéries, elles sont en compétition les unes avec les autres dans le sol et elles fabriquent des antibiotiques en tant que molécules de défense pour inhiber la croissance d'autres bactéries autour d'elles. Ce que la médecine humaine a fait, c'est s'approprier ces molécules de défense bactérienne pour les retourner contre les pathogènes humains. Cela dit les bactéries issues du sol ne s'intéressent pas à l'être humain et ne sont pas des pathogènes pour nous, mais elles fabriquent ce fantastique arsenal de molécules de défense qu'on utilise un peu à leur insu. Reste encore à savoir si ces échantillons de sol abritent les trésors tant attendus, et si avec un peu de chance, ils permettront de disposer de nouveaux antibiotiques d'ici une dizaine d'années.
Réalisation :
Maud Cadoret
Production :
Universcience
Année de production :
2022
Durée :
4min52
Accessibilité :
sous-titres français