Pourquoi chez-vous ? Marie-Anne Cambon – Microbiologiste des profondeurs à l’Ifremer
J’ai un cerveau qui travaille la nuit. Voilà, je vais travailler la journée, je suis sur l’ordinateur, je travaille avec mes étudiants ou avec mes collègues. Et puis il m’ont dit des choses que sur le coup, je n’ai pas forcément relevées ou j’ai lu ou vu quelque chose. Et dans la nuit, vers trois/quatre heures du matin, clac, je vais me réveiller, parce que je me dis : « Mais si c’est bien sûr, c’est exactement ça ! » et là je vais noter parce que sinon, le lendemain matin, je vais oublier. Et en fait, le cerveau est un peu comme un back-up, il continue à travailler. Et tout d’un coup, il va trouver et ça va revenir. On dit aussi que la recherche souvent est un art contemplatif. Il faut apprendre à observer, à regarder, à écouter, il faut savoir perdre du temps. On a le tort aujourd’hui de vouloir aller trop vite et de ne pas laisser aux chercheurs assez de temps justement pour réfléchir, pour poser les choses, poser les bonnes hypothèses pour faire les bonnes expériences. Il y a tout un extraordinaire autour de la mer : l’homme a toujours voulu descendre voir ce qu’il se passait en-dessous, au même titre que ce qu’il se passait sur la lune. C’est un émerveillement de tous les jours de voir que la vie est possible dans des milieux où il y a encore peut-être cinquante ans, on aurait jamais imaginé qu’il y avait une vie possible sur notre planète. Et ça donne peut-être l’idée que sur d’autres planètes qui sont un petit peu compliquées, la vie est possible, au moins sous cette forme microbienne. Quand on plonge, même si on connaît le site, on se retrouve devant le hublot avec ces merveilles sous les yeux, ces animaux qui grouillent de partout, ces couleurs. On aurait presque envie de sortir et de les toucher. Alors, on ne peut pas, évidemment, à cause de la pression. Ce sont des sulfures, donc c’est brillant. En même temps on se dit que ça doit être très très brûlant ou très pollué. Et en même temps c’est magnifique. On est impressionnés par la puissance du système Terre. Donc au-delà de la connaissance qu’on transmet, il y a aussi effectivement les valeurs et puis une certaine humilité face à notre planète. Disons, déjà, pour arriver à embrasser le milieu de la recherche, il faut être têtu. Il faut être très curieux. Si on n’est pas naturellement curieux, si on n’a pas envie d’aller au bout d’un bouquin ou suivre une petite fourmi qui se balade par terre, ça va être difficile parce que la curiosité est en permanence en éveil. Du coup, on a toujours à la fois la réalité des choses, la dure réalité. C’est un monde un peu dur, la recherche, qui demande pas mal d’humilité. Il ne faut pas penser qu’on est jugé personnellement quand on a raté quelque chose. C’est juste la manip qui a raté, c’est pas soi. Et en même temps, on a envie d’aller quand même plus loin même si on a pris deux fois la porte dans le nez, bah on va quand même essayer de la rouvrir une troisième fois. On blague souvent comme quoi les femmes sont multitâches, pas les hommes, raison de plus, les filles, pour faire de la recherche. C’est un métier qui demande d’être assez éclectique et puis être capable de mener plusieurs choses en même temps de front. Tout ça s’imbrique un petit peu parce qu’au milieu des courses, on pense à un truc, on le note sur un petit bout de papier. La petite fait ses devoirs, ça nous donne une idée ou on discute avec un petit bout qui a dix ans et qui vous pose une question et vous vous dites : « Mais elle n’est pas bête, cette question, on va la noter ! » On est tout le temps en train de faire tout et n’importe quoi en même temps. Et après, c’est énormément de relationnel humain. Le métier de la recherche, c’est avant tout un métier d’équipe.