"2101, sciences et fiction"
"Les données personnelles sur les réseaux"
Mathieu Cunche, informaticien.
-Ma recherche...
Globalement, notre équipe de recherche s'intéresse aux problèmes de vie privée qui apparaissent avec les nouvelles technologies de la communication, tout ce qui est numérique.
Les smartphones, tablettes, Internet, réseaux sociaux.
On essaie de regarder ces technologies et on essaie d'anticiper...
La plupart du temps en fait, on ne fait que se rendre compte en retard de pas mal de problèmes de vie privée qui peuvent exister.
Un des problèmes auquel je m'attache en ce moment, c'est la technologie Wi-Fi qui va révéler beaucoup d'informations sur les personnes qui l'utilisent.
Il faut savoir que, quand vous avez un téléphone portable, par exemple dans votre poche, qui a le Wi-Fi allumé, ce téléphone va émettre des petits signaux Wi-Fi, toutes les 20 à 30 secondes.
Dans ces petits messages, il y a un identifiant unique disponible en clair.
C'est un identifiant qui est une sorte de numéro de série de votre téléphone qu'il est relativement facile de collecter lorsque l'on a des outils, des connaissances techniques, pas extrêmement avancées, donc beaucoup de gens peuvent le faire.
Il est possible de collecter ces identifiants uniques.
Qui dit identifiant unique dit traçage.
Donc, ces informations se propagent sur les airs en radio à une distance de plusieurs dizaines de mètres.
Avec un récepteur Wi-Fi particulier, il est possible de collecter les identifiants uniques de toutes les personnes qui se retrouvent dans la zone de couverture.
On peut vraiment tracer les gens dans leurs déplacements tous les jours.
Savoir à quelle heure ils arrivent au travail, à quelle heure ils repartent, par quel magasin ils vont.
Cette technologie peut avoir des effets bénéfiques, mais ça a aussi des conséquences très importantes sur la vie privée puisqu'on peut tracer n'importe qui à son insu de manière passive.
Personne ne va savoir que vous collectez des informations sur les individus qui sont autour de vous et pourtant vous le faites.
Ça permet de collecter des informations de manière massive.
Là, je parlais d'identifiant unique, mais il existe aussi d'autres informations diffusées par ces appareils Wi-Fi qui sont la liste des réseaux auxquels vous vous êtes connecté.
Les noms des réseaux auxquels vous vous êtes connecté.
Par exemple, vous êtes allé au restaurant, vous vous êtes connecté au réseau Wi-Fi.
Ce dernier va être enregistré dans votre smartphone et, plus tard, vous vous promenez dans la rue et, lorsque votre smartphone cherche à se connecter à un réseau Wi-Fi, il va émettre toutes les 20 à 30 secondes des petits paquets dans lesquels apparaît le nom des réseaux auxquels vous vous êtes déjà connecté.
C'est une information supplémentaire qui va permettre d'en apprendre beaucoup sur le propriétaire du smartphone.
De mon point de vue, il y a assez peu...
Pas de publicité, mais il y a assez peu de campagnes faites vis-à-vis du public pour les informer de ces problèmes-là.
Du côté des fabricants, il y a une prise de conscience d'un point de vue technologique, comment peut-on faire pour améliorer le système.
Mais il y a des contraintes qui font que, je pense, ce type de problème va rester au moins encore pendant quelques années présent.
Il faudrait vraiment que le public prenne conscience qu'il y a des problèmes de ce côté-là et qu'il n'y a pas que sur Internet qu'on peut être tracé.
On peut être tracé aussi dans le monde physique.
C'est vrai qu'il y a une insouciance vis-à-vis de ces problèmes de données personnelles, de traçage, de vie privée.
On a tendance à dire que ce sont les jeunes qui s'en soucient peu, mais je ne suis pas convaincu que ce soit uniquement les jeunes.
Il y a beaucoup de moins jeunes qui sont à donner l'argument, par exemple, de : "Moi je n'ai rien à cacher".
Donc, ils ne se soucient pas de toutes les informations qu'ils peuvent laisser traîner et qu'on peut collecter sur eux.
Je pense vraiment qu'il y a...
Je pense que les gens n'ont pas vraiment conscience.
Ils ont conscience qu'on collecte des informations sur eux, mais le véritable problème c'est ce qu'on peut en faire.
Aujourd'hui, il y a une collecte d'informations principale dans tous les services qu'on utilise qui nous tracent essentiellement, à des fins commerciales.
Profiler nos habitudes de consommateurs de manière à avoir une publicité de plus en plus ciblée pour nous inciter à acheter de plus en plus de produits ou certains produits particuliers.
Il y a vraiment une économie qui existe, des technologies qui sont très au point.
Je ne dis pas que les plus grands cerveaux de ce monde travaillent sur ces problèmes-là, mais il y a des gens très intelligents qui travaillent à élaborer ce genre de techniques.
On a des techniques de profilage qui sont vraiment efficaces.
Typiquement, il y a des systèmes qu'on appelle le "retargeting".
Je pense que tout le monde en a fait l'expérience.
On va sur un site d'achat en ligne, on regarde pour un produit mais on ne l'achète pas et pourtant, plus tard, on va sur Facebook et sur la colonne de droite, on voit la publicité pour le produit qui émerge.
Cette méthode de publicité ciblée est extrêmement efficace.
C'est l'une des méthodes les plus efficaces.
Proposer une seconde fois un produit à une personne, ça va l'inciter.
Il y a un très fort taux de succès de ce type de campagne.
Très fort taux de succès dit des intérêts économiques certains derrière.
Il faut savoir aussi que toute la mécanique de traçage présente pour la publicité ciblée peut être utilisée à d'autres fins.
On sait, par exemple, que les agences gouvernementales de surveillance vont utiliser, exploiter l'existence de cette infrastructure de traçage pour collecter des informations sur les individus puisque lorsque vous êtes profilé par Google, vous avez un identifiant unique qui se promène à chaque fois que vous allez sur chaque page, des informations transitent.
Google est au courant de la majorité des pages que vous visitez.
C'est exactement ce que souhaiterait une agence de surveillance, savoir sur quels sites vous vous rendez.
Les agences de surveillance utilisent cette infrastructure déjà existante pour tracer les individus.
C'est vrai qu'aujourd'hui, on a des moyens de collecter des données, comme je le disais, en masse, une grande quantité de données.
On est capable de savoir à qui vous téléphonez, par où vous êtes passé, quels sites vous intéressent.
Ça, ça peut être exploité pour identifier des personnes qui auraient des comportements déviants.
Aujourd'hui, on dit que ce sont des terroristes.
Bien sûr, c'est important de lutter contre le terrorisme, mais est-ce que pour autant c'est suffisamment important pour compromettre la vie privée de tous les individus ?
Et puis d'ouvrir une boîte de Pandore et de dire que dans le futur...
Aujourd'hui, on est relativement bien loti, on vit en démocratie, on a des garanties, la situation politique est plutôt stable.
Mais dans notre futur, on ne sait pas ce qui pourrait arriver.
Toute cette infrastructure de surveillance, l'arsenal législatif qui va avec pourrait être détourné pour surveiller les individus.
Je serais vraiment inquiet...
Si on avait eu ce type de surveillance, de technologie de surveillance, au milieu du siècle dernier, je pense qu'on aurait eu vraiment des catastrophes.
Déjà, à l'époque, la surveillance, la collecte d'informations, c'était un élément central des dictatures.
Ils faisaient ça à la main.
Ils surveillaient éventuellement les correspondances papier, un petit peu le téléphone et un peu la radio, mais ce sont des choses qui étaient vraiment artisanales à l'échelle locale.
C'était vraiment de la surveillance ciblée.
Là, on arrive vraiment sur une surveillance globale.
C'est ça qui est inquiétant puisqu'il y a vraiment la possibilité de soupçonner n'importe qui.
Au-delà de la surveillance, le fait d'être, en tant que citoyen, même si je suis un citoyen qui n'a rien à se reprocher, le fait d'être surveillé, ça va induire sur moi un changement de comportement.
Comme je sais que je suis surveillé, je vais potentiellement, très probablement, me mettre à me comporter de la manière la plus standard.
Ne pas sortir des sentiers battus et faire en sorte d'être une personne lambda qui ne se ferait pas remarquer par l'appareil de surveillance.
Aujourd'hui, je me rends compte dans mes activités de tous les jours que, de temps en temps, je me dis : "Je fais ça, est-ce que ça ne pourrait pas être interprété soit aujourd'hui ou dans 10-20 ans comme un comportement déviant ?
Et qu'on pourrait me le reprocher ?"
Je pense que si les gens se rendaient plus compte de la surveillance, peut-être qu'ils seraient moins prompts à soutenir cette surveillance globale puisqu'ils n'ont rien à cacher.
Mais je pense qu'aujourd'hui, dire qu'on n'a rien à cacher, c'est faux.
Tout le monde a quelque chose à cacher.
Je mets au défi n'importe qui de me donner son mot de passe pour son compte Google, Gmail, Facebook, que j'aille fouiller dedans et que je publie toutes les informations sur Internet.
C'est quelque chose, je pense, d'inimaginable compte tenu des informations qui sont contenues dans ce type de services.
2101, sciences et fiction
Conception et réalisation : Patrick Chiuzzi
Avec la voix de Johanna Rousset
Avec la participation de Mathieu Cunche, informaticien, INSA-Lyon
Images bande dessinée 2101 : Guillaume Chaudieu
Développeur : Thomas Goguelin
Image et son : Patrick Chiuzzi et Robin Chiuzzi
Enregistrement voix : Studio Ghümes
Musique : Ludovic Sagnier
Montage : Yann Brigant
Chromatiques
Producteur : Patrick Chiuzzi
Assistante réalisateur : Cécile Taillandier
Assistante de production : Élodie Henry
Images additionnelles : Shutterstock
Universcience
Rédaction en chef : Isabelle Bousquet
Production : Isabelle Péricard
Responsable des programmes : Alain Labouze
Avec la participation d’Amcsti
Remerciements : Eloïse Bertrand, Alice Chiuzzi, Agate Chiuzzi, Delphine Boju, Romain Mascagni, Mathieu Gayon, Ela Sultan Baklan
Avec le soutien d’Investissements d’Avenir et la participation du Centre National de la Cinématographie et de l’image animée
© C Productions Chromatiques / Universcience / Centre de recherche astrophysique de Lyon / 2016