Jean-Paul Moatti
Économiste de la santé Université Aix-Marseille
-Il y a un paradoxe français, c'est que notre système de santé est souvent classé parmi les meilleurs au monde par les organisations internationales.
L'espérance de vie a augmenté rapidement ces cinquante dernières années.
Elle est de 78 ans pour les hommes, ce qui nous met au septième rang européen, et 85 ans pour les femmes, ce qui nous met au deuxième rang mondial après les Japonaises.
En même temps, notre pays est celui de la partie occidentale de l'Union européenne où les inégalités d'espérance de vie, les inégalités face à la mortalité en fonction des catégories sociales sont les plus accusées.
Seule la Finlande fait pire, en quelque sorte.
Aujourd'hui, à 35 ans, un homme cadre supérieur a en moyenne six ans de plus à vivre qu'un ouvrier.
Cet écart est moins prononcé, il est de trois ans pour les femmes.
Il faut s'interroger sur les succès en matière de système de soins et leur non-traduction en termes d'indicateurs de santé et d'inégalités sociales de santé.
Le plus inquiétant, c'est que ces inégalités sociales de santé n'ont pas tendance à diminuer, mais ont plutôt tendance à augmenter au cours du temps.
Elles augmentent essentiellement par un mécanisme qu'on appelle dans notre jargon un mécanisme de progrès différentiel.
Globalement, la santé s'améliore.
Le tabagisme, par exemple, se réduit d'année en année.
Mais ce sont les catégories déjà plus favorisées en matière de santé qui progressent le plus vite.
Vous comprenez que si ceux qui, au départ, étaient les plus favorisés s'améliorent plus vite que ceux qui étaient les plus défavorisés, mécaniquement, arithmétiquement, l'écart se creuse.
Il y a un vrai enjeu pour l'ensemble de notre pays, notre système de santé, nos professionnels, mais aussi pour la population, à essayer de corriger ce paradoxe.