Jean-Paul Moatti
Économiste de la santé, Université Aix-Marseille
-Le fait que la France soit, en dépit du succès de son système de santé et d'une bonne espérance de vie, en moyenne pour toute la population, le pays d'Europe occidentale, seule la Finlande fait pire, où l'espérance de vie est la plus différente, selon qu'on soit un cadre supérieur, un professeur d'université, ou plus bas dans l'échelle sociale, est évidemment un scandale contre lequel il faut se mobiliser.
Il faut en faire une priorité des politiques de santé.
Mais ce scandale est sans commune mesure avec les inégalités dès qu'on prend une perspective planétaire.
Il y a eu des progrès.
Ce n'est pas vrai qu'on n'a pas fait de progrès spectaculaires à l'échelle de la planète.
En matière de mortalité infantile, avant 5 ans, dans les années 1990, chaque année, 12 millions d'enfants mouraient dans le monde avant 5 ans.
Aux dernières statistiques, année 2012, il n'y en a plus que, c'est un euphémisme, 6,5 millions.
Donc on a divisé cette mortalité par 2.
Et tant mieux.
Les efforts d'aide en matière de santé ont eu des effets positifs, dans la lutte contre le sida, le paludisme, la tuberculose.
Mais, en même temps, les inégalités se creusent.
Aujourd'hui, la malchance, pour un enfant qui naît en Afrique subsaharienne, de mourir avant 5 ans est 20 à 25 fois supérieure à celle d'un enfant qui naît dans la maternité voisine du studio où je vous parle.
Donc, ces inégalités Nord/Sud en matière d'accès à la santé et en matière d'état de santé sont un scandale planétaire, qui est totalement insupportable.
Et il faut bien comprendre que se mobiliser pour réduire cette inégalité Nord/Sud, c'est bien sûr un impératif moral, mais on pourrait se dire, certains me le disent, y compris des politiciens : "Aujourd'hui, avec la crise, ne vaut-il mieux pas s'occuper de nous ?" Et il y a des problèmes d'inégalités sociales de santé en France dont il faut s'occuper.
Mais ce serait une erreur, pour des raisons morales, mais aussi car c'est notre intérêt de réduire ces inégalités Nord/Sud, car cela pousse à des mouvements migratoires incontrôlés, et aussi car un certain nombre de maladies, les maladies émergentes, infectieuses, ne connaissent pas de frontières.
On l'a vu avec le sida ou les hépatites.
Le chantier prioritaire, c'est de faire une aide au développement dans le domaine de la santé, mais qui permette aussi à ces pays de se développer et de consacrer les ressources nécessaires à l'amélioration de leur santé.
Par exemple, tous les économistes insistent sur le fait que l'éducation des filles peut être un élément clé du développement, car cela permet d'augmenter la productivité de l'économie du pays, mais aussi parce que ça a des bénéfices directs sur la santé des femmes, sur le contrôle de la reproduction, et sur la prise en charge sanitaire de leurs enfants.
Donc, c'est rentable.
De la même façon, il ne faut pas négliger l'investissement dans l'aide au développement pour la santé.
Les Français ne savent pas assez qu'ils doivent être très fiers de l'action de leur pays des vingt dernières années, donc ce n'est pas une question de droite et de gauche, car notre pays est à la pointe de grandes initiatives multilatérales, comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria, ou le Fonds mondial pour la vaccination, qui ont permis des progrès dans la lutte contre les maladies infectieuses.
Aujourd'hui, notre expérience française de la Sécurité sociale, de la couverture maladie universelle, est mise en avant, par l'OMS et les organisations internationales, comme le prochain objectif pour la santé mondiale.