Fukushima, des particules et des hommes
Module 6
Un rapport au monde perturbé
Muneo Kanno en voiture
06 00 37 00
On nous a d’abord dit de ne rien toucher à l’extérieur, de ne pas avoir de contact avec la
terre sur la peau, puis on nous a interdit de cultiver quoi que ce soit. Et là, eh bien, on
prend conscience qu'on vous a enlevé la sécurité de votre quotidien, la base de votre vie.
Et ensuite, cela est concrétisé par le fait de devoir quitter aussi la maison dans laquelle
on vit.
Alors oui, quand ce moment arrive, c’est un arrachement.
06 01 16 00
Comme il n’y plus personne ici dans le village d'Iitate, les animaux sauvages comme les
sangliers et les singes viennent faire des dégâts.
Muneo Kanno dans sa maison
06 01 36 00
Ici, c’est ma maison. On est à Iitate.
Nous étions quatre générations ici. Mon père de 90 ans, mes deux petits‐enfants ‐ l’un en
primaire, l’autre en maternelle à l’époque ‐ et leurs parents, mon fils et sa femme, et ma
femme et moi. Nous étions sept personnes.
06 01 58 00
Je faisais l'élevage des vaches pour la viande, je cultivais aussi du riz, et des légumes, des
concombres, pour la vente.
Comme vous le voyez, il n’y a aucun dégât matériel visible, mais comme il y avait
beaucoup de radioactivité, on nous a dit qu'il fallait partir.
Sophie Houdart
06 02 27 00
Le territoire autour de la centrale, le territoire de la préfecture de Fukushima, n’est plus
un territoire continu, c’est un territoire qui est devenu discontinu,
avec des zones délimitées sur des cartes, qui ont des implications dans la vie des gens.
Ce ne sont plus des territoires où ils vivent précisément, ce sont des territoires où ils
sont censés passer, hein, ils viennent dans la journée, ils s’occupent de leurs fermes, de
leurs champs, de leurs potagers, de leurs animaux, et puis, le soir, ils repartent dans des
zones d’habitation temporaire, dans lesquelles ils vivent effectivement, avec des vies,
donc, qui sont morcelées, comme ça, entre des espaces qui n’ont plus de rapport les uns
avec les autres.
06 03 12 00
Futaba. Maisons dévastées, sans musique.
Sophie Houdart
06 03 31 00
Il y a perturbations qui sont très différentes. Il y a la perturbation liée au tremblement
de terre, qui est immédiate, qui est sensible, qui est dans l’expérience physique, qui se
traduit physiquement ; et puis il y a les perturbations de longue durée, dans lesquelles
on va s’installer, qui sont liées à la radioactivité, cette radioactivité qu’on ne sent pas,
qu’on ne voit pas, dont on ne peut pas faire l’expérience en deçà de la mesure qu’on peut
en faire.
Keiko Ookoshi
06 04 03 00
On est revenus ici parce que, c’est chez nous, mais on ne peut plus rien faire, on ne peut
plus travailler les champs à cause de la radioactivité. Et puis ces histoires de
radioactivité, c’est vraiment dur, n’est‐ce pas ? Je ne sais pas si je mourrai à cause de ça
ou pas. Mais on est revenus quand même.
06 04 25 00
Avant, ici, on n’avait pas grand‐chose, mais quand les gens venaient, ils nous disaient que
c’était vraiment bien ici, que l’air était pur, que la nourriture était délicieuse. Maintenant,
ce n’est plus vrai. C’est très dur.
Avant, je cultivais des légumes et j’en étais fière, ils étaient tellement bons… Je les
distribuais à tout le monde, à toute la famille, aux enfants…
Grâce au climat, on pouvait produire de très bons légumes ici. Les choux étaient tendres
et juteux.
06 04 57 00
Maintenant, on ne peut plus rien offrir, ni même manger. Comme cela me rend malade
de ne plus rien pouvoir cultiver, alors j’ai commencé à faire pousser des fleurs.
Sophie Houdart
06 05 13 00
C’est presque un changement de monde, on sait que le monde dans lequel on a vécu
jusque‐là est amené à être radicalement différent. Et les gens en parlent en disant… j’ai
rencontré quelqu’un qui disait : c’est soit on s’adapte à ce nouveau monde‐là, on est
passé… comme un monde parallèle, en fait. Soit on s’adapte, il y a ceux qui s’adapteront à
ce nouveau monde‐là, à ce nouvel air qu’on respire, et puis il y a ceux qui ne s’adapteront
pas.