AU TABLEAU !
Joël de Rosnay
Comme chacun sait, on va vers la fin du pétrole (pas tout de suite mais dans 30, 40, 50 ans) et donc il va falloir le remplacer par d'autres produits qui font marcher les moteurs.
Eh bien, ce produit – parmi ces produits, il y a ce que l'on appelle les biocarburants. Alors est-ce que ces biocarburants sont aussi utiles qu'on le dit ? Est-ce qu'ils risquent pas de créer des problèmes et des désordres dans l'environnement ? Eh bien, c'est ce que l'on va voir avec ce que l'on appelle les biocarburants de 3e génération.
D'abord un petit rappel. Les biocarburants de 1ère génération, ce sont ceux qui utilisent des surfaces alimentaires, destinées à la croissance de produits alimentaires pour les animaux ou pour les humains. Par exemple, dans les biocarburants de 1ère génération, on a le maïs, surtout favorisé aux États-Unis, notamment, et le sucre de la canne à sucre au Brésil. Il y a des voitures qui tournent, au Brésil, avec de l'éthanol fabriqué par cette technique. Mais il y a un problème, c'est qu'il y a un conflit entre les surfaces utilisées pour l'alimentation humaine ou du bétail, et les surfaces utilisées pour l'alimentation, si j'ose dire, des voitures. Donc on s'oriente maintenant, plutôt vers ce qu'on appelle les biocarburants de 2e génération. Ces biocarburants de 2e génération, ils sont pas de source alimentaire mais lignocellulosiques. Ligno, lignine, le bois ; cellulosique, la cellulose. Et il y a des plantes qui sont à la fois, et on a lignine et de la cellulose. Il faut donc détruire cette lignine et cette cellulose, pour fabriquer un jus que l'on va pouvoir fermenter. Comment détruire la lignine et la cellulose ? Qui viennent de copeaux de bois, de plantes à pousse rapide, de roseaux, de toutes sortes de buissons qui poussent dans des zones non utiles pour les terres agricoles ? Eh bien, on va les détruire avec des enzymes, et ces enzymes existent, notamment dans – chez les termites. Les termites elles mangent bien le bois, comme chacun sait. Et dans leur tube digestif, il y a des bactéries qui fabriquent des lignases, des cellulases. Et donc on traite ces copeaux de bois, ces déchets de végétaux par la lignase et la cellulase, on a un jus sucré, et on le fermente pour produire de l'éthanol. C'est déjà un peu mieux. Mais le plus intéressant, ce sont les biocarburants de 3e génération. Ce sont d'eux dont je vais vous parler. Ces biocarburants de 3e génération sont faits à partir d'algues photosynthétiques, de bactéries photosynthétiques. Alors revenons un petit peu sur l'explication de ce que sont ces bactéries et ces algues photosynthétiques. On les appelle des cyanobactéries. En fait, on a pensé pendant longtemps – des cyanobactéries. On a pensé pendant longtemps que c'était des algues, vraiment des algues, et d'ailleurs on les appelait des algues bleues. Elles sont à l'origine de la vie, ces algues bleues, elles ont au moins 3 milliards et demi d'années, et elles se présentent sous la forme de petites cellules qui sont collées les unes aux autres, ce qui a fait penser que c'était des algues. Mais en fait ce sont des bactéries, et ces bactéries sont photosynthétiques. C'est-à-dire que comme les feuilles de nos arbres, photosynthétiques, elles fabriquent leur propre énergie à partir du soleil. Le soleil émet de la chaleur et de la lumière et la réaction de photosynthèse permet de transformer le carbone de l'air, le dioxyde de carbone, le CO2, l'eau, avec les rayons et l'énergie solaire, en sucre qui vont ensuite donner de l'amidon ou de la cellulose que nous mangeons, nous. Voilà. Donc ça, en gros, c'est la réaction de photosynthèse. Donc ces algues, ces bactéries, les cyanobactéries sont photosynthétiques et elles fabriquent de l'alcool directement. Alors regardons un peu comment elles font et vous allez voir que c'est extrêmement avantageux et très intéressant. D'abord, ces algues, ces bactéries, (on continue à les appeler ou des algues ou des bactéries, donc je vais appeler tantôt l'un tantôt l'autre mais ce sont vraiment des bactéries accrochées – filamenteuses accrochées les unes aux autres) elles transforment la lumière solaire et le dioxyde de carbone dont on cherche à se débarrasser, le CO2, directement en éthanol qui est extrait de la cellule. La cellule, la voilà, ici. Le soleil, la lumière solaire arrive dans cette cellule et grâce au CO2 qui est ici, en permanence dans l'air comme source de carbone, elles vont fabriquer de l'éthanol. L'avantage de ces cyanobactéries, c'est qu'elles poussent dans l'eau salée, elles utilisent du CO2 dont on cherche à se débarrasser, elles poussent dans des serres très, très vite, elles se reproduisent à très, très grande vitesse et elles n'ont pas besoin de récolte – d'être récoltées, elles ont pas besoin d'engrais, elles ont pas besoin de biocombustibles, elles poussent dans des serres, dans des marécages, des grandes surfaces et l'avantage aussi qu'elles ont, en plus de séquestrer le CO2, c'est qu'elles désalent l'eau de mer. Elles désalent l'eau de mer à raison de trois litres d'eau de mer pour un litre d'eau douce. Donc vous voyez les avantages. Elles fabriquent de l'éthanol, elles poussent dans des serres, dans des déserts. Alors ça intéresse évidemment beaucoup de grandes entreprises dans le monde. Ça intéresse aussi en France l'INRA, qui est très avancé – l'Institut National de la Recherche Agronomique est très avancé dans ce domaine, ça intéresse le CEA qui a déjà fabriqué des prototypes de biocarburants selon cette forme. Ça intéresse Shell, ça intéresse Ecson, ça intéresse Total avec la compagnie Amyris. Alors Total, Ecson a financé un produit de biocarburant de 3e génération qui s'appelle Algenol. Et le Algenol, eh bien, en ce moment Algenol est cultivé dans des déserts, sous des serres – Algenol – est cultivé dans des – sous des serres et il produit – ces cyanobactéries sous le nom d'Algenol produisent de l'éthanol à raison de 50 000 litres d'éthanol par hectare. Donc c'est vraiment important, avec beaucoup d'avantages que j'ai décrits. Donc il est fort possible que ces entreprises aillent plus loin. Et comment ? Eh bien, pour fabriquer pas seulement de l'éthanol mais fabriquer de l'hydrogène. Comment ? Eh bien c'est là où intervient cette discipline nouvelle qui passionne tout le monde et qui en même temps inquiète aussi, qui s'appelle la biologie de synthèse. C'est-à-dire non plus comme le génie génétique de fabriquer des protéines en modifiant des gènes, mais de reprogrammer l'ensemble des cellules, y compris les cyanobactéries. Et qui, qui sont les personnes qui sont derrière ces projets ? Le célèbre Craig Venter. Craig Venter est le chercheur américain qui le premier a dit « j'ai synthétisé la vie », en – au mois de, au mois de mai 2010. Craig Venter, eh bien, lui il avait réussi à reprogrammer une bactérie en introduisant un ADN synthétique. Eh bien, il travaille en ce moment, avec des financements, (je vous dirai pas les détails, c'est énorme), Il travaille sur des cyanobactéries pour les faire non plus seulement fabriquer de l'éthanol mais de l'hydrogène. H2. Des quantités énormes d'hydrogène produites par photosynthèse. L'hydrogène par photosynthèse. Et cet hydrogène, à quoi il va servir ? Eh bien, il va servir dans ce qu'on appelle des piles à combustible, dans des piles à combustible qui dégradent l'hydrogène H2 pour donner des électrons. Et dans ces piles à combustible, il fait quoi ? De l'électricité. Et cette électricité pourra servir, et sert déjà, à faire tourner des moteurs, des moteurs de voiture, des moteurs de bus, des moteurs de moto. Et voyez comment une toute petite bactérie qui était probablement à l'origine de la vie, les cyanobactéries, 3 milliards et demi d'années, vont peut-être servir à faire tourner des millions de voitures dans le monde, sans pollution, grâce à l'énergie solaire.