Le dérèglement climatique : changer nos modes de vie ?
À travers 8 films, 21 experts répondent à de grandes questions à enjeux scientifiques, énergétiques, socioéconomiques et politiques. Leurs points de vue nous interpellent aux plans individuel et collectif, dans notre quotidien mais aussi en tant que citoyens du monde.
Réalisation : Alain Labouze
Production : Universcience
Année de production : 2015
Durée : 8min56
Accessibilité : sous-titres anglais, sous-titres français
Le dérèglement climatique : changer nos modes de vie ?
CHANGER DE VIE ?
Nicolas HULOT
Jean JOUZEL X 2
Bruno LATOUR X 2
Alix MAZOUNIE X 2
Teresa RIBERA
Christian de PERTHUIS
Catherine CHABAUD
Ronan DANTEC
Jean-Louis ETIENNE
1 - Bruno LATOUR,
Sociologue et philosophe des sciences
Est-ce qu’on peut demander aux gens de bouleverser leur mode de vie ? Il a été bouleversé en 50 ans, il a changé à une vitesse extraordinaire depuis les années 50. On sait donc ce que c’est de changer de mode de vie, de modes de consommation, de modifier la façon d’habiter, de construire les villes différemment, de changer les modes de transport… on a fait tout cela. On ne peut pas dire « on l’a fait, maintenant c’est irréversible, on ne peut plus rien changer ».
2 - Alix MAZOUNIE
Il faut mieux produire et moins consommer, c’est clair. Ca va exiger une réforme des comportements individuels, ce qui n’est pas forcément négatif. Il faut plutôt penser en termes de faire autrement, faire différemment, voyager différemment, ne pas prendre l’avion pour faire Paris-Agen, parce qu’il y a aussi un train qui fait ce trajet, et prendre l’avion uniquement quand on part très loin et très longtemps… Il va aussi falloir trouver des solutions économiques et technologiques, et notamment un système d’incitations qui permette de privilégier certaines solutions plutôt que certaines non-solutions.
3 - Christian de PERTHUIS
Aujourd’hui, lorsque le consommateur achète des produits qui ont utilisé beaucoup de gaz à effet de serre tout au long de leur procédé de fabrication, il ne paie pas les coûts du dommage climatique. Si j’avais un prix du carbone dans l’économie, l’ensemble des biens et services qui sont fortement carbonés, c’est à dire l’ensemble des biens qui ont utilisé des procédés de fabrication qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, seraient plus cher pour le consommateur que les produits qui sont sobres en émissions de gaz à effet de serre. Les consommateurs se retourneraient donc spontanément vers les produits faiblement carbonés.
4 - Ronan DANTEC
La transition écologique ne doit surtout pas paraître comme un gros mot. J’ai tendance à penser que nous faisons souvent peur aux gens sur le niveau d’effort nécessaire pour atteindre les objectifs. On essaie de les rassurer en leur parlant pas trop de la catastrophe à venir, et pourtant, cette catastrophe est extrêmement grave. Et finalement, on les terrorise sur l’effort à faire. Or, cet effort n’est souvent pas si compliqué que ça. Réhabiliter un logement, ça ne change rien à la vie des gens. Simplement, ils consomment moins d’énergie pour se chauffer et pour leur vie quotidienne. Prendre le bus ou aller à pied au travail, c’est parfois plus rapide que de prendre la voiture, surtout dans des villes congestionnées. Ce n’est donc pas non plus un bouleversement.
5 - Jean JOUZEL
Si nous voulons vraiment réussir la transition énergétique en France, c’est bien sûr beaucoup d’efficacité énergétique, mais aussi de la sobriété. La sobriété, c’est un peu regarder ce qu’on fait avec l’énergie dont on dispose, nous pouvons aussi regarder son régime alimentaire. Quand on parle de sobriété, aller plus d’un régime basé sur beaucoup de viande vers un régime plus végétarien, ce sont des pratiques qui concernent chacun d’entre nous.
6 - Bruno LATOUR
C’est sympathique, et il faut développer cette question de la décroissance et de la sobriété, de l’ascétisme même. Mais évidemment, quand on a 8 milliards de personnes, dont la moitié vit dans la misère, à qui nous avons donné l’idée de certaines valeurs de confort de santé, la sobriété est nécessaire au niveau personnel. Mais socialement, ce n’est pas la solution.
7 - Alix MAZOUNIE
Aujourd’hui, c’est peut-être un idéal non réalisé, et non réalisable à très court terme, mais on devrait arriver à entrer dans un mode de vie complètement sobre… Par ailleurs, tous les scénarii énergétiques à long terme tiennent compte du fait qu’il y aura une démographie croissante et qu’on sera 9 milliards en 2050, et pourtant ils arrivent à trouver des solutions pour que les énergies renouvelables répondent aux besoins de tout le monde, mais à condition de faire cela en accord avec une politique d’efficacité énergétique, une politique de sobriété, des changements dans les modes de production et de consommation de manière plus globale. Si on arrive à faire tout cela, on peut arriver, normalement, non seulement à nourrir toute la planète, mais aussi à apporter l’énergie dont on a besoin sans pour autant émettre des gaz à effet de serre. C’est donc possible. Mais c’est plutôt le modèle de croissance économique à tout va qui pose problème.
8 - Nicolas HULOT
Quand vous pouvez acheter un frigidaire aujourd’hui qui sera fabriqué à côté de chez vous, mais finalement, vous vous retrouvez avec un frigidaire qui aura traversé le monde entier – juste un exemple parmi d’autres – tous ces circuits longs sont un gâchis énergétique… Quand vous voyez cette civilisation du jetable, où on en est encore à programmer l’obsolescence d’un certain nombre de produits, alors que le modèle de l’économie circulaire est totalement envisageable et viable… Quand vous voyez que pour exploiter la forêt, pour gagner un peu plus, on va faire en réalité des coupes sélectives, quand vous voyez les méthodes de pêche, où on remet 50 % des prises à l’eau… Voilà une petite liste d’exemples probants de la civilisation du gâchis.
9 - Jean-Louis ETIENNE
Nous sommes les consommateurs. Et c’est vrai que tant qu’on n’a rien d’autre à proposer, le citoyen fait avec ce qu’on lui propose. En matière d’énergie, c’est donc charbon, pétrole, gaz. Effectivement, il y a aussi les énergies renouvelables, mais les énergies renouvelables ne vont pas pouvoir tout changer. Et de toutes façons, elles ont besoin d’énergies d’appoint sur lesquelles ont peut compter, si jamais il n’y a plus de vent ou plus de soleil. Ce ne sont donc pas que des concepts ou des attitudes, il va quand même falloir fournir des kilowatts, et il va falloir les fournir tous les jours. Essayons donc petit à petit de décarboner notre dépense énergétique. Et c’est quelque chose qu’il va falloir penser à l’échelle individuelle, à l’échelle d’une commune, et l’élargir au pays. Quand on voit à quel point c’est difficile de changer ses propres habitudes, si on s’interroge honnêtement… Si chaque citoyen se dit « Qu’est-ce que j’ai fait depuis le début de la semaine, ou depuis le début du mois ou de l’année, pour changer l’évolution du climat ? » On nous dit qu’il faut être économe en énergie, c’est à dire peut-être prendre les transports en commun, isoler l’habitat, mais qu’est-ce que j’ai fait vraiment ? Avant de se dire « Il faut que la Terre change ! » La globalisation de la pensée est facile. L’action locale, c’est quelque chose que l’on s’impose à soi-même, et qui est beaucoup plus complexe. Donc chaque citoyen doit en devenir l’acteur dans son comportement quotidien.
10 - Jean JOUZEL
Si on regarde la France, la moitié des émissions de gaz à effet de serre, environ la moitié des émissions dans notre pays sont liées au transport, et au domestique, ce qu’on fait chez soi en termes de chauffage, d’utilisation d’appareils électriques de tous genres, ce sont environ la moitié des émissions, et ce sont des émissions sur lesquelles finalement, chaque matin, nous pouvons nous dire qu’on va essayer d’influer, en tout cas les décisions que nous prenons, la façon dont on va se déplacer, la façon dont on chauffe chez soi, la façon dont on utilise des appareils électriques, électroniques, toute notre vie de tous les jours, nous pouvons en tout cas, à travers des petits gestes, influer sur la moitié des émissions de gaz à effet de serre en France. Ce n’est pas rien, cela montre donc que le comportement individuel est aussi une clef dans la lutte contre le réchauffement climatique.
11 - Catherine CHABAUD
Pour répondre à la question « est-ce qu’on y va franchement, est-ce qu’on met tout en œuvre pour répondre aux enjeux climatiques ? » je pense qu’on y réponde beaucoup trop lentement, mais on y répond. Quand on regarde les dix années qui sont derrière nous : aurait-on parlé autant de transition énergétique il y a dix ans ? Dans ma filière, c’est à dire dans le maritime, je vois les évolutions, je vois la prise de conscience venir. Je suis une femme optimiste, et je me dis « on va y arriver ». Mais il faut qu’on y arrive collectivement. Il faut arrêter d’opposer ceux qui polluent et ceux qui… Il n’y a pas les bons pollueurs d’un côté et les bons écologistes de l’autre, je pense que nous avons tous notre part à faire. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi les partis politiques ne s’approprient pas tous le modèle du développement durable, avec toutes ces déclinaisons : l’économie circulaire, la consommation de proximité, le recyclage de tous les matériaux, le traitement des eaux, etc… Je crois beaucoup aux éco-innovations, et moi-même, j’essaie d’en développer dans la filière qui est la mienne, c’est à dire la filière nautique. Que ce soit les entreprises, les collectivités territoriales, les gouvernements, le citoyen lambda, chacun a sa part de colibri à faire, pour reprendre une belle expression de Pierre Rahbi.
Réalisation : Alain Labouze
Production : Universcience
Année de production : 2015
Durée : 8min56
Accessibilité : sous-titres anglais, sous-titres français