"2101, sciences et fiction"
"L'énergie pour un voyage interstellaire"
Roland Lehoucq, astrophysicien.
-Avant même de se poser des questions techniques : comment vont vivre les humains ?
Va-t-on les cryogéniser ?
Les endormir ?
Est-ce qu'on en mettra cent ?
Mille ?
Trois ?
Ou pas d'humains parce que c'est trop compliqué ?
Quel genre de moteur ?
Quelle taille de vaisseau ?
Comment communiquer avec le vaisseau ?
Comment le protéger des rayonnements cosmiques ?
Avant de résoudre toutes ces questions aussi très importantes, il faut se poser la question : d'où sortir l'énergie qui servira à propulser le vaisseau pour lui faire atteindre en une quarantaine d'années l'étoile Alpha du Centaure ?
Si on veut arriver vers Alpha du Centaure en un temps raisonnable, il y a cette question de l'énergie.
On n'est pas à l'abri de trouver une idée géniale qui va révolutionner ce que l'on sait actuellement sur la production et la transformation d'énergie.
Si on doit se fonder sur ce que nous savons actuellement, c'est difficile du point de vue du volume, mais pas impensable au niveau de la physique.
Si on utilise la fusion thermonucléaire, cet assemblage de deux noyaux d'atomes légers, comme de l'hydrogène, du deutérium, du tritium, vous les assemblez pour faire un noyau plus lourd, de l'hélium 4...
Dans cette transformation-là, on produit de l'énergie.
L'intérêt de la fusion nucléaire, c'est qu'elle va produire, par gramme de matière, par gramme de combustible, un million de fois plus d'énergie que les réactions chimiques.
Donc la fusion contrôlée, c'est une voie sur laquelle l'humanité marche depuis une bonne quarantaine d'années, et dans peut-être 20 ou 30 ans, c'est quelque chose qu'on maîtrisera au stade d'un très gros laboratoire, le réacteur ITER.
Et peut-être qu'en 2070 ou 2080, on aura un réacteur qui produira de l'énergie pour les humains, distribuée sur le réseau électrique, un réacteur qui fonctionnera sur le mode de la fusion.
Après ça, il faudrait être capable de faire ce réacteur sur Terre, mais pour l'envoyer dans l'espace, pour le mettre dans le vaisseau qui ira vers Alpha du Centaure.
Si on dispose d'un réacteur à fusion contrôlée qui peut fonctionner plusieurs années pour propulser un vaisseau, c'est le genre d'effort à fournir pour commencer à discuter sereinement d'un voyage pas trop long vers Alpha du Centaure.
Une autre piste souvent évoquée dans les œuvres de science-fiction, ce sont les moteurs à antimatière.
L'antimatière est une sorte de matière ordinaire en miroir où la charge électrique des particules d'antimatière est opposée à celle des particules de matière.
L'électron a une charge négative, et l'antiélectron, appelé le positron, a une charge positive.
Le proton, qui est le noyau de l'atome d'hydrogène, a une charge positive, et l'antiproton a une charge négative.
Quand on rassemble une particule de matière et sa particule associée d'antimatière, elles s'annihilent, elles se transforment intégralement en énergie.
100 % de la masse mise en jeu est transformée en énergie.
C'est le rendement ultime, idéal.
Avec des quantités d'énergie tout à fait considérables.
Si vous étiez capable de transformer un gramme de matière, mettons la masse d'un sucre, avec un gramme "d'antisucre", l'équivalent d'antimatière, si vous rassemblez ces deux quantités, ces deux petits morceaux ensemble, vous produisez autant d'énergie que dans l'unique bombe d'Hiroshima.
Une quantité considérable d'énergie dans une toute petite quantité de matière avec son pendant d'antimatière.
Dans la fusion, on récupère 0,7 %, à peu près.
Dans la réaction matière-antimatière, on récupère 100 %.
100 % de la masse est transformée en énergie.
On a un rendement bien meilleur.
Et même si les machines qui récupèrent cette énergie n'auront pas un rendement idéal, on va se retrouver à avoir un moteur de vaisseau spatial infiniment plus efficace que la fusion.
La difficulté, c'est que l'antimatière n'existe pas à l'état naturel.
Il faut la produire avant.
Elle n'existe pas car dès qu'elle rencontre un morceau de matière, elle se transforme en énergie.
Donc, il n'y a pas, sur Terre, d'antimatière que l'on pourrait ramasser.
C'est un peu comme le pétrole.
Vous ramassez du pétrole, vous le mettez dans un bidon et, plus tard, vous utilisez ce qui est dans le bidon...
Vous l'avez transporté avec vous et, plus tard, vous utilisez ce qui est dedans pour faire du feu, faire rouler votre voiture, faire tourner quelque chose.
Donc, c'est une façon de transporter de l'énergie de façon compacte et de la récupérer avec un très bon rendement.
Mais il faut d'abord avoir payé l'énergie nécessaire à produire l'antimatière.
Avec une petite subtilité, l'antimatière, vous ne la mettez pas dans un bidon.
Enfin, pas un bidon de matière.
Sinon vous détruisez le bidon et l'antimatière mise dedans.
Donc, comment transporter l'antimatière sans la mettre dans une boîte de matière ?
On peut le faire, c'est imaginable.
Il faut la mettre dans des champs magnétiques, utiliser une sorte de bouteille magnétique qui va confiner cette antimatière dans un volume d'espace.
Dans ce volume va rester l'antimatière, confinée par le champ magnétique produit par de la matière, des aimants, des électroaimants, tout un système, et confiner cette antimatière.
Le moteur antimatière, c'est une chose à laquelle on peut penser.
Il n'y a pas de physique impossible, d'impossibilité théorique.
Il y a juste de très grandes difficultés pratiques.
Et encore une difficulté vue tout à l'heure, c'est qu'il faut beaucoup d'énergie pour produire quelques grammes, a fortiori quelques kilogrammes d'antimatière, car elle n'existe pas à l'état naturel.
Cette grande énergie, il faut la sortir de quelque part qui ne peut pas être l'antimatière qu'on cherche à produire.
Si on imagine un voyage interstellaire qui ne concerne pas des humains, mais des robots, des sondes, la chose se simplifie considérablement.
Il y a toujours le coût énergétique à mettre dans le mouvement, pour que la vitesse soit grande et que la sonde arrive en 30 ou 40 ans.
Ça veut dire envoyer une sonde à un dixième de la vitesse de la lumière.
Mais si votre sonde est suffisamment légère...
Elle ne contient pas d'humains, donc il n'y a pas tous les systèmes pour les faire survivre : l'eau, les plantations, les ressources, tout ce qu'il faut pour occuper, nourrir et soigner les humains pendant un voyage de 30 ou 40 ans.
Ça allège considérablement.
Vous n'envoyez que des machines qui peuvent être assez simples, des caméras, des choses qui analysent des environnements, des communications.
Parce que c'est bien joli d'envoyer un appareil photo en orbite autour d'Alpha du Centaure, encore faut-il que ces photos reviennent sur Terre pour qu'on en voie les images.
Donc, il faut un système de communication.
Si on a une sonde de quelques tonnes, ça devient un objet beaucoup plus léger, et on peut peut-être imaginer envoyer un objet comme ça, beaucoup plus léger, à des grandes vitesses, vers Alpha du Centaure, en un temps raisonnable.
Ça reste une entreprise difficile mais, parce que l'objet est moins massif, on n'envoie que des machines, de la matière inerte, ça s'envisage de manière plus proche de nous temporellement qu'un voyage avec des humains dans le vaisseau.
2101, sciences et fiction
Conception et réalisation : Patrick Chiuzzi
Avec la voix de Johanna Rousset
Avec la participation de Roland Lehoucq, astrophysicien
Images bande dessinée 2101 : Guillaume Chaudieu
Développeur : Thomas Goguelin
Image et son : Patrick Chiuzzi et Robin Chiuzzi
Enregistrement voix : Studio Ghümes
Musique : Ludovic Sagnier
Montage : Yann Brigant
Images additionnelles :
ESO
A fly-through of the Alpha Centauri system – ESO/L. Calçada/Nick Risinger (skysurvey.org)
Shutterstock
Chromatiques
Producteur : Patrick Chiuzzi
Assistante réalisateur : Cécile Taillandier
Assistante de production : Élodie Henry
Universcience
Rédaction en chef : Isabelle Bousquet
Production : Isabelle Péricard
Responsable des programmes : Alain Labouze
Avec la participation d’Amcsti
Remerciements : Eloïse Bertrand, Alice Chiuzzi, Agate Chiuzzi, Delphine Boju, Romain Mascagni, Mathieu Gayon
Avec le soutien d’Investissements d’Avenir et la participation du Centre National de la Cinématographie et de l’image animée
© C Productions Chromatiques / Universcience / Centre de recherche astrophysique de Lyon / 2016