"2101, sciences et fiction"
"Analyses en art et en archéologie"
Michel Bouchard, scientifique de la conservation au CARAA.
-On va de plus en plus vers des techniques non invasives, qui ne nécessitent pas de prélèvements.
Un peu comme le cube de Margot, on dispose aujourd'hui d'instruments, souvent sous la forme de pistolets, parce qu'il faut pouvoir les tenir ergonomiquement, qui vont permettre de mettre cet objet en face d'un objet archéologique ou d'un autre type d'objet.
On va obtenir une composition élémentaire et savoir de quel élément chimique il est composé, ou structurale, et savoir de quelle molécule il est fabriqué.
Ça existe de nos jours.
Au niveau datation, on est encore obligés de faire des micro-prélèvements, invisibles à l'œil nu, mais on est encore obligés d'en faire pour obtenir une datation par carbone 14 ou d'autres techniques, il y a plein d'autres techniques.
Le carbone existe sous la forme de carbone 12 ou 14.
C'est le ratio entre ces deux éléments qui, quand on l'a estimé scientifiquement avec un cube ou un appareil, va pouvoir nous dire : "Cette proportion se situe là dans le temps, au XVIe siècle, à l'époque égyptienne."
Chaque proportion correspond à une période de l'histoire.
Il n'y a pas que le carbone 14, il y a l'uranium-thorium, le potassium-argon, qui ont le même principe.
C'est le rapport de deux éléments qui permet de les placer dans le temps et donc, de placer l'objet qu'on date.
À part les décompositions radioactives, certaines datations sont basées sur les défauts cristallins dans les minéraux, comme la thermoluminescence, qui est un autre type de datation.
C'était des datations directes.
La datation indirecte ou a contrario, c'est analyser un objet et trouver un pigment du XXe siècle.
Cet objet est présumé être du XVIe siècle.
Il y a un petit doute qui va s'instaurer, on se demande pourquoi on a des pigments du XXe siècle sur un objet du XVIe.
C'est une datation indirecte.
Il y a eu au moins une intervention sur l'objet au XXe siècle.
L'objet n'est pas forcément faux, mais il y a eu une intervention dessus au XXe siècle.
Et il faut garder à l'esprit qu'un restaurateur ou un particulier, ait voulu changer la couleur du tableau au XXe siècle, ce qui arrive souvent.
Les modes changent.
Les patines sur les sculptures changent intentionnellement.
Au XIXe siècle, on a repeint toutes les sculptures du XVIe.
Elles ne sont pas fausses.
Le scientifique doit avoir connaissance de ces données historiographiques pour ne pas mésinterpréter un résultat.
On a analysé beaucoup de peintures rupestres, il faut savoir que la palette des pigments n'est pas très variée.
On a des oxydes de manganèse et de fer, du carbone, il y a un peu plus de diversité, mais c'est limité par rapport aux pigments contemporains.
Si on tombe sur des pigments à base de carbone, on peut dater ce carbone, contrairement aux oxydes de fer ou de manganèse.
Quand on l'a caractérisé, si on a assez de matière, on peut dater la peinture, ce qui est intéressant et ce qui nous est arrivé.
Il faut savoir que l'analyse de ces pigments est complexe, parce que ce sont des milieux qui ont subi une dégradation.
Les peintures datent d'il y a très longtemps, elles se sont dégradées et effacées.
On ne les voit pas directement, on utilise des techniques d'imagerie pour voir les restes des pigments.
Elles se sont aussi dégradées à cause de l'homme qui est rentré dans certaines grottes, l'exsudation de la paroi, les changements de température, d'atmosphère, d'humidité, qui font que des voiles de calcite se forment sur les peintures, qui peuvent les cacher complètement et qui parasitent les résultats.
Ce serait intéressant que l'on puisse, dans le futur, donner des provenances pour les pigments, corréler des chemins, pas commerciaux, mais d'échange pour certains pigments à base d'oxyde de fer ou d'oxyde de manganèse.
Ce n'est pas encore le cas, c'est encore difficile.
On dispose de peu de matière et comme je l'ai dit, on n'a pas encore la composition des différents sites géologiques autour des sites préhistoriques.
Ce serait intéressant de savoir s'ils ont été chercher loin leurs pigments ou s'ils les ont pris à leurs pieds.
On est souvent confrontés à des faux, qui sont des déceptions, des découvertes négatives.
Les découvertes positives sont intéressantes au niveau scientifique quand on révèle des dessins préparatoires dans une peinture par imagerie ultraviolet.
On arrive à voir une coiffe qui n'existe pas dans le résultat final, sur laquelle le peintre aurait changé d'avis.
On arrive à retrouver une peinture par radiographie X, en dessous d'une autre peinture, qui est souvent retournée quand la toile a été réutilisée pour repeindre au-dessus.
Ça arrive assez souvent.
C'est aussi intéressant quand on arrive à corréler des artistes par le biais des matériaux utilisés.
Un sculpteur de bronze, quand on arrive à retrouver la même composition d'alliage dans une autre sculpture, c'est très intéressant, surtout quand la composition est très spécifique et singulière.
Ça permet de corréler un artiste et ses œuvres.
Ça fait partie d'un projet de recherche du laboratoire pour comprendre, pour les sculpteurs de bronze de la fin du XIXe, début du XXe, les matériaux qu'ils utilisaient, quelles étaient leurs interactions avec les fondeurs.
Des sculpteurs comme Giacometti, Moore, Brancusi sont étudiés au laboratoire, ou Maillol.
On essaie de comprendre les matériaux qu'ils utilisaient, de voir s'ils sont spécifiques à ces artistes et à un genre de sculpture.
"2101"
Au niveau du domaine non invasif, on va de moins en moins faire de prélèvements sur les objets.
Dans le futur, ce sera le cas aussi.
Grâce à la technologie et aux avancées de la technique dans le domaine de l'imagerie et de la caractérisation des matériaux, on pourra, je pense, obtenir des clichés, des cartographies d'un tableau en entier instantanément au niveau pigmentaire.
On pourra déterminer la composition du pigment sur toute la surface, mais aussi de manière confocale, en rentrant en profondeur dans le tableau, et décomposer les restaurations ou les travaux préparatoires.
De nos jours, ça existe à l'échelle inférieure au millimètre.
Ça prend énormément de temps et d'énergie au niveau de la source d'analyse.
Dans le futur, l'instantanéité du résultat, la précision et la sensibilité seront révolutionnaires.
"SF"
Je ne suis pas un spécialiste de la science-fiction, mais je pense que la science-fiction peut être prédictive ou peut ne pas l'être.
Sur la base de ce que j'ai lu, certains ouvrages traitent de la science-fiction de manière peu plausible.
Jules Verne, par exemple, dans certains ouvrages, ne s'embarrassait pas de logique scientifique.
En contrepartie, certains auteurs contemporains, comme Clarke, grand public, qui sont physiciens ou chimistes à la base, élaborent des scénarios qui seraient scientifiquement plausibles dans le futur.
Voilà mon point de vue.
D'autre part, j'ai toujours à l'esprit des auteurs, des scientifiques, des chercheurs comme Léonard de Vinci qui, au XVIe siècle, ont élaboré des théories, des schémas qui aujourd'hui prennent forme.
Les schémas de Léonard de Vinci avec des hélices deviennent des hélicoptères.
Avait-il imaginé l'hélicoptère comme on le voit aujourd'hui ?
Voilà comment je vois l'interaction entre la science et la science-fiction.
La science-fiction a permis de préparer le terrain dans l'esprit du grand public pour l'exploration spatiale.
À l'époque où elle n'existait pas, on imaginait déjà des fusées aller dans l'espace, marcher sur des planètes.
Ce qui fait que, quand ça s'est réalisé, le public était là, présent.
2101, sciences et fiction
Conception et réalisation : Patrick Chiuzzi
Avec la voix de Johanna Rousset
Avec la participation de Michel Bouchard, scientifique de la conservation au Centre d’analyses et de recherche en art et archéologie
Images bande dessinée 2101 : Guillaume Chaudieu
Développeur : Thomas Goguelin
Image et son : Patrick Chiuzzi et Robin Chiuzzi
Enregistrement voix : Studio Ghümes
Musique : Ludovic Sagnier
Montage : Yann Brigant
Chromatiques
Producteur : Patrick Chiuzzi
Assistante réalisateur : Cécile Taillandier
Assistante de production : Élodie Henry
Images additionnelles : Shutterstock, archives Chromatiques
Universcience
Rédaction en chef : Isabelle Bousquet
Production : Isabelle Péricard
Responsable des programmes : Alain Labouze
Avec la participation d’Amcsti
Remerciements : Eloïse Bertrand, Alice Chiuzzi, Agate Chiuzzi, Delphine Boju, Romain Mascagni, Mathieu Gayon
Mostra di Leonardo Da Vinci
Avec le soutien d’Investissements d’Avenir et la participation du Centre National de la Cinématographie et de l’image animée
© C Productions Chromatiques / Universcience / Centre de recherche astrophysique de Lyon / 2016