Le propre de l'homme
Un épisode de la série "Au tableau Pascal Picq ".
Réalisation : Roland Cros
Production : Universcience
Année de production : 2010
Durée : 8min29
Accessibilité : sous-titres français
Le propre de l'homme
AU TABLEAU ! Pascal Picq
Quel est le propre de l'homme ? Longtemps, on a cru que l'homme était une espèce unique, ce que nous ont dit les philosophes et également les théologiens : l'homme, au centre du cosmos, est très différent des autres espèces. Alors, le propre de l'homme en fait a été défini dans une certaine connaissance de l'homme bien sûr, mais dans l'ignorance totale de ce que sont les espèces qui sont autour de nous, notamment les grands singes. Alors, depuis trois siècles, on sait que l'homme fait partie d'un groupe qui s'appelle les grands singes, les Hominoïdes. Mais, en définitive, les études sur le comportement, ce qu'on appelle l'éthologie, ont commencé il y a très peu de temps, on va dire, une cinquantaine d'années. Donc "éthologie", ça veut dire donc "ethos", le comportement et aussi l'éthique. Donc, allons voir ce qui se passe chez nos frères d'évolution, c'est-à-dire les plus proches de nous dans la nature actuelle qui sont les chimpanzés. Le premier grand caractère, c’était la bipédie - à chaque fois au singulier, bien sûr. Donc l’aptitude à marcher debout et à se tenir debout, comme je le fais là. Est-ce que la bipédie est le grand caractère de l’homme par rapport aux espèces les plus proches ? C’est le caractère qu’on utilise par exemple pour dire qu’un fossile comme Aurorine, Tumaï ou Ardipithecus, qui nous viennent d’Afrique, dataient de 6 à 7 millions d’années et bien, ce critère consiste à dire : « Ah, ils marchaient debout…», ce qui est certainement vrai, « … donc ils sont sur notre lignée ». Malheureusement, on ignorait ce qui se passe chez les chimpanzés. Or, tous les grands singes et notamment les chimpanzés, et plus particulièrement les bonobos, qu’on appelle les chimpanzés graciles, tous marchent debout, dans beaucoup de circonstances. A la fois sur des grosses branches et aussi, lorsqu’ils sont au sol, donc l’aptitude à marcher debout, à être bipède, n’est pas exclusive à notre lignée. Bien sûr, notre bipédie est très perfectionnée : l’homme est une bête de course formidable. Mais c’est pas pour ça qu’il est le seul. Donc les australopithèques avaient d’autre bipédie, et d’une manière assez intéressante aujourd’hui, tout ça s’est un peu retourné, parce qu’on considère que l’aptitude à marcher debout s’est développée dans notre lignée, c’est indéniable, mais que, apparemment, gorilles et chimpanzés auraient perdu la facilité à se déplacer debout. Quant aux bonobos, c’est plus fréquent. Donc ce n’est pas la bipédie, mais ce sont les bipédies. Et on s’aperçoit que ce n’est pas exclusif à l’homme, si ce n’est sa vision très perfectionnée d’aujourd’hui. Par ailleurs, les philosophes ont souvent affirmé que l’homme, c’est l’outil. Mais rendez-vous compte, Charles Darwin savait en 1871 que les chimpanzés utilisaient des outils de pierre pour briser des noix. Depuis maintenant 40 ans, on a observé ces communautés de chimpanzés, et bien, ils utilisent 70 types d’outils pour faire des tas de choses, notamment aller à la pêche aux termites, aller à la pêche aux fourmis. Par ailleurs, ils utilisent de la pierre pour briser des noix ou ailleurs des gourdins. Et à partir de là, ils inventent des gestes. Ils ont des traditions et donc on parle de culture. Mais cette culture se retrouve aussi dans les habitudes pour manger : on mange certains aliments chez certains chimpanzés et chez d’autres, on mange autrement. Et puis « culture » dans les manières de se saluer, se faire la bise, hein, s’embrasser. Donc tout ça, ce sont des choses qui sont apprises. Donc il y a des cultures chez les chimpanzés, c’est-à-dire qu’ils développent des habitudes et des traditions qui sont propres à chaque groupe. Les chimpanzés sont omnivores, c’est-à-dire qu’ils mangent toutes sortes de nourriture, végétale et bien sûr, carnée. Alors ça peut être les insectes, mais ils chassent. Les chimpanzés sont d’excellents chasseurs, donc ils savent très bien coordonner leurs actions pour attraper des petits cochons et d’autres singes. Et ils partagent, c’est-à-dire que le repas, qui consiste à partager avec des convives une nourriture qu’on apprécie, eh bien, ça existe chez eux. Mieux encore , ils prennent des feuilles dont ils aiment le goût, ils mélangent avec de la viande et ce sont des sushis version chimpanzés – je ne peux pas dire ça autrement – donc c’est le seul exemple que l’on connaisse de la recherche d’un nouveau goût par l’association de différents aliments. Vous voyez, les chimpanzés ont un côté gastronome. Les chimpanzés vivent dans des sociétés comme les hommes, c’est-à-dire de communautés composées de plusieurs mâles adultes et plusieurs femelles adultes et bien sûr, leurs enfants. C’était comme ça dans toutes les sociétés humaines avant l’invention des cités, c’était il y a seulement 10 000 ans. Autre chose : chez toutes les espèces, ce sont les femelles qui restent ensemble toute leur vie et les mâles qui migrent à l’adolescence. Il n’y a pas d’inceste dans la nature. Par contre, ce qui se passe, c’est que chez les chimpanzés, c’est l’inverse, et aussi chez les hommes. Chez les hommes, les mâles restent ensemble et ce sont les femelles qui s’en vont à l’adolescence ou dans les sociétés humaines, les femmes qui vont dans la famille du mari, comme l’avait bien vu Claude Lévi-Strauss. Eh bien, seuls les hommes et les chimpanzés – quelques rares exceptions ailleurs, ceci dit – font cela. Donc pas d’inceste, les mâles qui restent ensemble toute leur vie et qui migrent à l’adolescence. Autre conséquence : les chimpanzés se font la guerre. Les chimpanzés sont les seuls à monter des coalitions et à aller agresser ceux d’à côté, pouvant aller jusqu’à les tuer. Donc les chimpanzés se montrent aussi très agressifs, mais les chimpanzés sont très futés. Ils font aussi de la politique, c’est-à-dire, ce n’est pas le plus fort qui a le pouvoir. Celui et celle qui ont le pouvoir, ce sont ceux qui sont capables de monter des coalitions, de monter des groupes d’influence et une fois qu’ils ont le pouvoir de s’accorder des avantages et autres, donc voilà. Les fondements de la politique, c’est aussi chez les chimpanzés. Alors on croyait que tout ça, ce n’était qu’avec le langage, bah d’accord, le langage, alors. Il y a 50 ans, on a pris des chimpanzés et d’autres grands singes, bien sûr, et on leur a appris le langage gestuel, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas prononcer les mots comme nous, notamment les voyelles, donc on a utilisé le langage des sourds et muets. Et bien, les chimpanzés peuvent apprendre 500 mots comme chez nous. Ils apprennent même plus vite que nos enfants notre langage. Après deux ans, chez eux, ça sature, alors que chez nous, ça explose. Alors bien sûr, il y a une différence énorme mais les fondements du langage, on les retrouve aussi chez eux. Les chimpanzés sont doués d’empathie et de sympathie. L’empathie, c’est la capacité de comprendre l’autre, donc on appelle ça la théorie de l’esprit. Donc on comprend l’autre, les sentiments de l’autre. Mais on peut les partager ces sentiments, ce qui fait de la sympathie. A partir de là, les chimpanzés, contrairement à ce que disait Rabelais, sont capables de rire – mais ça aurait plu à Rabelais cette affaire-là. Donc les chimpanzés rient. Ils se font des farces, ils se chatouillent. Et puis, ils peuvent pleurer, lorsque, évidemment, il y a un drame, un jeune qui meurt, ou quelqu’un qui meurt ou quelque chose de très triste. Par ailleurs, chez les chimpanzés, comme on peut se mettre à la place de l’autre et partager les sentiments de l’autre, eh bien, on peut aller, ce qui est sinistre, comme chez l’homme, jusqu’au meurtre. Mais on peut aller dans l’amitié, le partage d’une vie ensemble, et puis on a des notions de bien et de mal. Chez les chimpanzés, il y a des choses qu’on fait et des choses qu’on ne fait pas. Donc voilà ce que sont les chimpanzés, et puis, il reste l’amour peut-être. Alors, l’amour, oui. On a cru longtemps que seul chez l’homme, enfin l’espèce humaine, on pouvait faire l’amour face à face. Eh bien, chez les chimpanzés et les bonobos notamment, eh bien, il y a des choix de partenaire, il y a des personnages que l’on préfère. On partage la nourriture, négociation sexe-nourriture, comme chez l’homme d’ailleurs. Et des partenaires se préfèrent, se caressent, se font des échanges. Bref, la sexualité chez eux n’est pas liée qu’à la reproduction. Elle rentre aussi dans la construction de relations affectives et plus pérennes, dirait-on, avec certains partenaires. Alors, du coup, qu’est-ce qui reste à l’homme ? Eh ben, tout, tout. C’est simplement les chimpanzés qui sont devenus plus humains, mais ils ne l’ont pas fait exprès. Et c’est nous qui les avons ignorés. Alors la chose qu’il reste, néanmoins, c’est qu’on n’est pas prêt d’avoir un chimpanzé qui vous fasse cet exposé et l’homme, en tout cas, l’espèce humaine, est un être de récit. Et ces récits nous amènent des fois à ne pas voir ce qui est à côté de nous, ce qui s’est passé pendant des siècles. Mais ce récit permet de nous raconter ces grandes histoires qui sont absolument fascinantes, donc, l’homme est un être de récit et c’est peut-être la dernière chose qui manque au chimpanzé, mais qui sait.
Réalisation : Roland Cros
Production : Universcience
Année de production : 2010
Durée : 8min29
Accessibilité : sous-titres français